COMMUNICATION- ETUDES ET ANALYSES- LANGAGE/SIGLES EN ALGÉRIE
LANGAGE(S): LE POIDS DES SIGLES, LE
CHOC DES SIGNES
Par Belkacem AHCENE-DJABALLAH
Durant les années 70 , l’Algérie croulait sous le poids des sigles avec une
domination sans conteste des SN (Sociétés nationales) , des UN
(Unions nationales) et des UG (Unions générales) , la politique
socialiste ne permettant alors aucune incursion dans le domaine de l’entreprise
individuelle ou même de celui des associations .Seuls , l’Administration (dont
l’Armée), le Parti du FLN (unique dans
le domaine de la politique) et leurs démembrements avaient droit à l’existence
.
La traduction en langue arabe paraissant trop longue,
pour ne pas dire
compliquée, la dénomination en langue étrangère (en l’occurrence
le français) étant, elle aussi, longue et/ou incompréhensible pour
beaucoup , on s’est donc rabattu sur le langage des sigles , rassemblement ordonné des premières lettres
de chaque mot composant l’appellation déposée*. Avec, bien souvent , des recherches
et des trouvailles graphiques géniales ou étranges , les plus fortunées des
entreprises faisant appel à des « conseils » , la plupart du temps
sinon toujours non-algériens ,qui ont « fabriqué » et
« habillé » le sigle en inventant le logo (le transformant en signe ?)
et sa garde-robe , sorte de manuel de procédures à utiliser sans dévier….dans
les placards publicitaires , les en-têtes de courrier, les enseignes ,etc…..
Toute la société, du simple citoyen au grand
décideur, ne communiquait alors plus que par sigle interposé. Ceci s’était
tellement développé que les visiteurs étrangers arrivaient difficilement à s’y faire….Et, on a même entendu un nouvel étudiant africain,
fraîchement débarqué à Alger, demander à un buraliste du côté du boulevard Amirouche
(alors siège de l’Union nationale des étudiants algériens et du restaurant
universitaire le plus important) , de lui donner un « paquet d’Ugta » !
La manie s ‘étant étendue aux produits de
consommation courante (la Snta , à l’époque , venait de créer la cigarette Afras,
contraction d’ « Afro-asiatique »), la confusion n’avait pas
tardé à s’instaurer.
Certains sigles restent encore bien ancrés dans les
mémoires des 60-80 ans , charriant avec eux tout un
grand pan de l’histoire économique , politique et socio-culturelle du pays.
Même disparus dans la tourmente des réformes à partir du milieu des années 80 , ils restent présents et sont souvent évoqués avec une
certaine nostalgie : Rsta , Jfln , Atu, Ate,
Gse, Sns, Pri, Prc, Sonacome,
Mara, Mic, Rta, Rsta, Sogedia,
Unea, Sncg, Jfln, Sogedia, Sonacob, Sned, Sonitex, Sneri, Oncic, Anaf, …
Par la suite, les plus entreprenants d’entre les
nouveaux collectifs , en économie, en sports ou
ailleurs, ont réussi à conserver ou à récupérer l’ancien sigle qui, affublé de
significations algéro- arabisées , surtout en sports
, redonne l’espoir d’une composition du futur sans couper véritablement avec un
passé peut-être trop mythifié.
On peut même dire que ce fut là une
« langue » qui a contribué à forger une certaine solidarité, tous les
citoyens, arabophones , francophones (et, aujourd’hui
amazighophones et anglophones) ou
analphabètes bilingues , sympathisants ou opposants au système, se retrouvant
sur une même longueur d’ondes langagières.
A partir de la fin des années 80, donc, les réformes
aidant, avec une très large restructuration des entreprises, les grands sigles
sont cassés en deux , en trois ou en plusieurs
morceaux avec des tentatives désespérées , et parfois vaines , de conserver un
tout petit peu ce qui fut le flambeau de l’entreprise ou de l’association .
On traverse alors une période de créativité délirante
, jusqu’au ridicule , l’anarchie et le bricolage faisant la part belle au sigle
fabriqué en « francarabe », créé dans
l’arrière-salle du café du coin , dans un salon enfumé ou au domicile avec l’aide de Madame et des
enfants, chacun y allant de son délire .Des centaines de sigles , accompagnant
des centaines d’entreprises nationales , régionales et locales, virent le jour,
parfois n’ayant aucune prise avec le réel ou même frisant le ridicule .Tout
cela ne durera que le temps de la grande éruption «
réformatrice ».
A partir des années 90, avec l’éruption
« démocratique » , vint le temps du réveil
et de la décantation .Le sigle perd de sa superbe et se trouve assez vite
submergé par une vie active économique , sociale et politique très ouverte ,
presque sauvage soumise au règne des produits, des résultats et à la
concurrence (étrangère). . Les
rédacteurs de textes se trouvent donc submergés et « inventent » parfois
n’importe quoi. Ainsi,
en Octobre 2003, on a créé un Centre opérationnel national
d’aide à la décision siglé …… « CONAD » !….Un N
de trop, certainement pour éviter la
dérive langagière de « COAD » . Mais ,
de Charybde en Scylla ! Le sens populaire de « CONAD » relevé, le
sigle fut assez vite « rectifié »,
dans le JO de fin novembre de la même année, en « CNAD ».
Ce dernier fut purement et simplement supprimé début 2013. Autre exemple , en fin 2012, début 2013 , la ZALE
(Zone arabe de libre-échange) qui a une
connotation populaire vulgaire en certaines parties du pays a été
transformée (au niveau du discours public et médiatique du ministère du Commerce dirigé depuis septembre
2012 , dans le nouveau gouvernement de A. Sellal, par
un arabo-islamiste, Mustapha Benbada, nouveau
ministre du Commerce ) en GZALE, Grande Zone Arabe de Libre –Echange )
. L’essentiel n’était plus à la forme et
au paraître .Même l’Histoire n’arrivait plus à imposer
son mot . Ainsi ,le sigle le plus fameux du 20ème
siècle ( dixit Jean Lacouture, un grand journaliste français des années
60-70) , FLN , se retrouvait bousculé et contesté, ramené bien souvent,
du fait des dérives , des volontés récupératrices et des ambitions
politiciennes, au rang de formation politique banale.
Aujourd’hui, le sigle –ou la marque- (avec sa plus
belle réussite quand il devient un nom commun s’inscrivant sans capitales initiales) continue à
fleurir mais, s’il est encore dominant , il n’est plus dominateur . Beaucoup
plus informatif et moins racoleur , il épouse de
très près l’activité couverte et il a acquis une signification véritablement
utilitaire.
Il n’existe que par nécessité ,
pour gagner du temps , pour se faire comprendre assez vite par le maximum de
gens.
Hélas, l’absence du réflexe de s’adresser à des
« conseils » spécialisés , la rareté de ceux-ci ,ainsi qu’un certain
mépris des gestionnaires pour la « Com’ » rentable font que le sigle
reste à parfaire dans sa présentation et dans son utilisation, afin qu’il soit
immédiatement accepté et compris par
tous , d’ici ou d’ailleurs, et qu’il ait une durabilité certaine.
Parmi les plus gros utilisateurs (ou
"faiseurs") de ce langage , il y a
,évidemment, la presse écrite qui déverse sur le marché , journellement des
millions de pages destinés à des millions de lecteurs
Coincée entre un espace rédactionnel réduit et le
flot de nouvelles , soumise aux règles du temps et à
la rareté de personnels qualifiés , la presse écrite - quotidienne tout
particulièrement- transmet les informations , parfois sans trop de larges
explications.
Ici, les règles rédactionnelles élémentaires
,concernant les appellations, sont souvent irrespectées
et le lecteur se retrouve inondé d’abréviations , de sigles et d’acronymes
incompréhensibles tant en langues
nationales qu’en langues étrangères. Et, cela va en empirant car si le
"langage des sigles" est appelé à se développer ,
les nouvelles technologies de la communication et mouvement de mondialisation accélérant les
choses, il se retrouve encore plus complexifié avec le
nouveau “langage des signes”
* On distingue les acronymes, qui
se prononcent comme des mots ordinaires et s’écrivent en majuscules et sans
points (UNESCO,
ENA, UA ),
des sigles, dont chaque lettre est épelée et dans lesquels on devrait placer
des points après chaque lettre (S.A.R.L, E.T.U.S.A, O.G.M, P.-D.G).
Le genre d’un sigle ou d’un acronyme est déterminé par le
genre du noyau du groupe nominal que le sigle ou l’acronyme formait avant la
réduction. Ainsi, on parle de la S.N.T.F (Société
nationale des transports ferroviaires) puisque société,
noyau du groupe nominal, est un nom féminin, et on parle d’un C.M (Conseil des ministres)
puisque Conseil est un nom masculin. Par ailleurs, sigles et acronymes
ne prennent pas d’accent et sont invariables. La liaison devant les sigles se
fait selon l’usage ordinaire Notez
qu’un acronyme lexicalisé (delco, sida) se comporte comme un
nom commun : il perd ses majuscules et s’accorde en nombre.