Nom d'utilisateur:
Mot de passe:

Se souvenir de moi

S'inscrire
Recherche:

Salah Bey (Constantine)

Date de création: 04-06-2022 12:59
Dernière mise à jour: 04-06-2022 12:59
Lu: 557 fois


HISTOIRE- PERSONNALITES- SALAH BEY (BEY DE CONSTANTINE)

 

 ©Rachid Lourdjane/El Moudjahid, 21 février 2021

 

Il y a 229 ans, le 1er septembre 1792, par une nuit sombre et glaciale de la citadelle de Constantine, Salah Bey, enchaîné, fut réveillé par ses bourreaux pour être étranglé à l’aide de son turban. Ainsi était le sort infligé aux dignitaires de haut rang accusés de rébellion ou de trahison. Une fin tragique après un complot contre sa personne et une vaine tentative séparatiste montée, à son insu, par ses propres partisans outrés par sa destitution.

Qui est cet homme de légende dont la gloire traverse le temps ? Qu’est-ce qui explique que de nos jours encore, le tout Constantine et l’est du pays portent en secret un deuil émotionnel que berce cette douce oraison funèbre «Galou el Arab Galou» en malouf et en chaâbi, composée par un poète anonyme que d’autres sources attribuent à Cheikh El-Kurde. L’histoire de Salah Bey est assez singulière. Né à Izmir en 1725, Salah Ben Mostapha débarque à Alger où il est embauché comme cafetier. Il s’engage plus tard dans le corps des Karaghol, un métier de milicien qui convient mieux à son tempérament fougueux. Lors d’un siège contre Tunis, il se fait remarquer comme un Dali ou redoutable guerrier par son chef Ahmed el Colli, futur Bey de Constantine. La vie de Salah Bey est résumée dans un tableau saisissant sous la plume d’un certain Borsali, Secrétaire du Bey du Titteri qui a dû avoir des versions de première main. Le texte original de Borsali serait conservé dans la grande bibliothèque d’Alger. Mais l’essentiel de l’histoire de Salah Bey était narré de bouche à oreille dans les cercles familiaux.

J’ai eu le privilège d’enregistrer de mémoire de longues heures durant, l’Oncle Layachi, de son vrai nom Bennaceur El Ayachi, décédé centenaire à Bologhine il y a une vingtaine d’années. C’était un constantinois de vieille souche, courtois, cultivé et rompu dans le métier de la justice. Il était doté d’une mémoire fabuleuse, pour avoir retenu des détails surprenants et inédits sur ce qu’il appelait «L’Affaire Salah Bey», nommée ainsi par déformation professionnelle.

Tout a commencé par la décision de Mohamed Pacha d’Alger de mettre fin à l’exportation des céréales à destination de la France, au cours des années difficiles qui ont précédé la Révolution de 1789. La famine en France, qui fragilisa grandement la monarchie, était devenue endémique depuis 1747. Mohamed Pacha était irrité par le cumul des échéances non payées . C’est alors qu’il décida l’arrêt des exportations vers les ports français. L’ordre de stopper les ventes de blé fut réceptionné par Salah Bey et tous les autres Beylicats. Mais voici qu’un dorgman «officiel» parvint à Constantine ordonnant le mouillage de bâtiments français à Jijel pour le chargement de blé à destination de Toulon. Salah Bey exécute. Suite à cette affaire, il est convoqué à Alger pour s’expliquer. Il présente alors le document officiel portant le sceau du Pacha lui ordonnant la levée du boycott commercial à destination de la France. On dit que c’est de la confiance que naît la trahison, le Pacha d’Alger en fut l’exemple parfait. En effet, Mohamed Pacha avait une entière confiance en son gendre, le mari de sa propre fille. Il circulait librement dans le palais et avait accès aux lieux les plus secrets. Il pouvait donc se servir du sceau et obtenir des avantages financiers auprès de courtiers d’Alger spécialisés dans le commerce de blé. Pour un tel crime commis par l’entourage proche, c’est la peine suprême. Le gendre fut emmuré vivant dans le sous-sol de Dar Eslah, le Secrétariat d’État aux Armements situé dans la Basse-Casbah à quelques dizaines de mètres de la mosquée Ketchawa. Le bâtiment sera affecté à la Mouhafada FLN en juillet 1962.

Après 26 ans de pouvoir, Mohamed Pacha quitte ses fonctions, le 9 août 1791, auréolé d’une éclatante victoire en juin 1775 sur l’armada espagnole menée contre Alger sous le commandement d’un infortuné général irlandais du nom d’Alexandre 0’Relly. L’empire espagnol avait mobilisé près de 450 bâtiments, 22.000 hommes et un matériel considérable. L’attaque était préparée sur de longues années. L’échec fut cuisant. Dans cette confrontation, Salah Bey, à la tête de ses contingents de chameliers en ordre de bataille, stoppa les Espagnols, le 8 juillet, dans l’embouchure d’Oued El-Harrach, malgré le retranchement qu’ils avaient construit.

L’héritier au pouvoir, Hussein Khaznadji Pacha, prit ses fonctions sous le signe d’un féroce remaniement. Brahim Chergui, Caïd de Sebaou, remplaça Salah Bey dont le sort fut scellé par la veuve du gendre accusé de faux et de trahison. La jeune femme accepta la demande en mariage du nouveau Pacha, et exigea la tête de Salah comme unique dote.

Brahim Chergui, nouveau Bey de Constantine, avait pour mission d’exécuter Salah au moment favorable.

Le tout Constantine était en effervescence. Dans ce climat terrifiant, les proches de Salah Bey, Slimane Zemirli, Caïd El-Casbah, le Kheznadar et Ali El Gherbi, Caïd des Meskoura, décidèrent de ne pas subir les évènements, et, nuitamment, ils passèrent au fil de l’épée le nouveau Bey et trois de ses proches à l’insu de Salah. Devant le fait accompli, et ne pouvant plus reculer, Salah Bey fit battre le tambour dans toute la contrée et déploya les Sandjak (drapeaux) sur les murs de la ville, en proie à une euphorie qui sera de courte durée.

Quand la nouvelle parvint à Alger, le Pacha mobilisa un contingent d’élite avec l’ordre de mâter la rébellion sous la conduite du nouveau Bey de Constantine Boulahnak. Les portes de la ville s’ouvrirent. C’était la fin de Salah Bey, après 20 ans de règne.