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Propriété presse France 2022 (I/II)

Date de création: 27-02-2022 18:24
Dernière mise à jour: 27-02-2022 18:24
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COMMUNICATION- ETRANGER- PROPRIETE PRESSE FRANCE 2022 (I/II)

© Check news, Mathilde Roche et Marie Thimonier, 27 février 2022 (Extraits)

Est-il vrai que «90% des grands médias appartiennent à neuf milliardaires» ?

Bolloré, Drahi, Arnault, Dassault, Pinault. Les noms des quelques milliardaires devenus patrons de la presse française sont largement connus du grand public. Les rachats successifs de ces dernières années, à commencer par Vincent Bolloré avalant le groupe Canal + (dont iTélédevenu CNews), ont fait naître de fortes inquiétudes pour la liberté de la presse et l’indépendance des journalistes. Avec un point commun à la plupart de ces articles, publications et même propositions de loi critiquant cette concentration : l’affirmation selon laquelle neuf milliardaires se partagent 90 % des médias français.

La formule a été reprise encore récemment, dans le documentaire Média Crash - qui a tué le débat public ?, sorti le 16 janvier et réalisé par Valentine Oberti et Luc Hermann, respectivement journalistes à Mediapart et Premières Lignes. «Jamais la France n’a connu une telle concentration des médias privés : neuf milliardaires détiennent plus de 90 % des grands médias, télévision, radio, journaux», explique la voix off dans les premières minutes destinées à planter le décor.

Vous nous demandez de quelle étude vient cette assertion rarement, voire jamais sourcée. Contactée, Valentine Oberti explique que l’équipe du documentaire s’est basée sur deux sources : un article de Basta !, et l’essai de l’économiste Julia Cagé, coécrit avec l’avocat Benoît Huet, l’Information est un bien public. C’est aussi Julia Cagé qui est citée par Oxfam évoquant ce chiffre. Et encore elle qui le donne régulièrement en interview, comme dans cet entretien avec l’Humanité, où elle indique que «neuf milliardaires possèdent 90 % des médias».

Une enquête de 2017

L’économiste explique auprès de CheckNews qu’elle s’appuie entièrement ou presque sur la première source citée par Valentine Oberti, à savoir l’enquête de Basta !, publiée en 2017. Dans cet article, intitulé «Le pouvoir d’influence délirant des dix milliardaires qui possèdent la presse française», on pouvait lire : «90 % des quotidiens nationaux vendus chaque jour appartiennent à 10 oligarques ! D’après les calculs de Basta !, les mêmes possèdent des télévisions et radios qui totalisent respectivement 55 % et 40 % des parts d’audience».

Les dix milliardaires en question étaient alors : Bernard Arnault, PDG du groupe de luxe LVMH (les Echosle Parisien) (fortune de 157 mds euros)  Vincent Bolloré, actionnaire majoritaire du groupe éponyme de transports et de logistique (Canal +, Prisma Media) (fortune de 8,2 mds euros) ; Martin Bouygues, patron des télécoms du même nom (TF1) (fortune 3,2 mds euros) ; Serge Dassault, constructeur aéronautique (le Figaro) (fortune de 26,6 mds euros) ; Patrick Drahi, principal actionnaire de SFR (BFM-TV, RMC, en partie Libération et l’Express) (fortune de 13 mds euros) ; Xavier Niel, PDG de Free (en partie le Mondel’ObsTélérama…) (fortune de 8 mds euros) ; François Pinault (le Point) (fortune de 41,5 mds euros) ; la famille Mohn, qui contrôle le groupe allemand Bertelsmann (M6, RTL, Gala) (fortune de 2,7 mds euros)  Lagardère (Europe 1, JDD, etc.) (fortune de 330 millions euros)  et Marie-Odile Amaury (l’Equipe).

En reprenant ces statistiques, Julia Cagé, comme Valentine Oberti et Luc Hermann, ont volontairement écarté Marie-Odile Amaury, qui ne détient que des titres sportifs, pour se concentrer sur les médias d’information généraliste. D’où le passage de dix à neuf… qui néglige en revanche l’arrivée dans le paysage de Daniel Kretinsky (MarianneElle, en partie le Mondel’Obs) (fortune de 3,5 mds euros) , Iskandar Safa (Valeurs actuelles) (fortune de 1,1 mds euros) ou encore le millionnaire Alain Weill (l’Express).

Un calcul devenu un raccourci

Au-delà d’être un peu datée au vu des récentes évolutions du paysage médiatique français, la statistique de Basta! cumule un double problème. D’abord, elle était formulée de manière trompeuse ; ensuite, elle a été simplifiée avec le temps, jusqu’à devenir inexacte. La présentation comportait une erreur à la base de certaines confusions : la phrase «90 % des quotidiens nationaux vendus chaque jour appartiennent à 10 oligarques» était incorrecte. De fait, il n’existe que six quotidiens nationaux français dont les chiffres de diffusion sont connus : la Croix, l’Humanité, les Echos, le Figaro, le Monde et Libération. Seuls quatre d’entre eux étaient détenus par cinq milliardaires quand Basta ! a publié son enquête, et non «dix oligarques».

Ces quatre journaux représentaient donc 90% de la diffusion de la presse quotidienne nationale. Une formulation plus exacte aurait donc été : un groupe de 10 milliardaires pèse 90% des ventes de quotidiens nationaux vendus, 55% de l’audience des télés, et 40% de celle des radios. Avec les années, ce pourcentage de 90%, qui concernait donc les exemplaires de presse quotidienne nationale, a été étendu de manière abusive aux médias audiovisuels, pour lesquels Basta ! donnait pourtant des chiffres significativement inférieurs. «C’est un chiffre qui est très mal compris et mal expliqué», reconnaît Julia Cagé. «Il faut redéfinir le contexte et surtout la méthodologie utilisée.»

CheckNews a refait les calculs en se basant sur les chiffres de diffusion de la presse et des audiences TV et radio en 2021, publiées par l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM) et Médiamétrie.