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Essai Mustapha Hadj Ali- "Prisons et camps de concentration...."

Date de création: 01-02-2022 19:21
Dernière mise à jour: 01-02-2022 19:21
Lu: 508 fois


HISTOIRE -BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-ESSAI MUSTAPHA HADJ ALI - « PRISONS ET CAMPS DE CONCENTRATION …. »

« Prisons et camps de concentration  de la guerre d’Algérie 1955-1962 », Editions El Amel, 2021

 

 

© El Moudjahid/ Entretien avec Kader Bentounes, mardi 1/2/2022 (Extraits)

 

 

El Moudjahid : Dans quel sens l’internement a été une arme d'oppression pour couper tout lien entre le peuple et les moudjahidine ?
Mustapha Hadj Ali :
 La peine de l'internement administratif fut créée en 1841 par arrêté du maréchal Soult, ministre de la Guerre. Depuis, les Algériens révoltés étaient condamnés à l'internement dans d’anciennes casernes militaires devenues centres d'internement pour prisonniers algériens, sur simple décision du gouverneur général de la colonie. Il y avait le fort Brescou dans l’Hérault ; les forts Saint-Louis et Saint-Pierre à Sète (1845-1858) ; le fort de l'Île Sainte Marguerite, au large de la ville de Cannes (1840-1884) ; le dépôt de Calvi, en Corse (1871-1903) ; trois pénitenciers agricoles en Corse : Casabianda, Castelluccio et Chiavari (1855-1907). C’étaient des déportations en métropole. A partir de 1874, la peine de l’internement administratif figurait dans le «Code de l’indigénat», prévu pour un septennat, mais il a perduré jusqu’en 1944, année de son abolition. La peine en question fut réactivée en 1955 suite au vote le 3 avril de la loi sur l’état d’urgence, suivie de la création de camps de différentes sortes. On a commencé par l’implantation de camps militaires au niveau des villages, ainsi que les Sections administratives spécialisées (SAS). Ensuite, ce fut le tour des camps de regroupement : des villages étaient vidés de leurs habitants qu’on parquaient dans des espaces ceints de barbelés électrifiés.
C’étaient, pour les colonialistes, des opérations de maintien de l’ordre... pacification, disait-on. Vinrent ensuite les bombardements de ces mêmes villages, et du coup, furent créées les zones interdites. Les ponts étaient donc coupés entre les moudjahidine et la population qui leur assurait le gîte, le couvert, l’information et l’enrôlement de nouvelles recrues. Pour ce faire, on s'inspire du célèbre slogan du Grand Timonier Mao Tsé-toung : «Le rebelle dans la population est comme un poisson dans l’eau, enlevez l’eau et le poisson crève». Les populations, après avoir abandonné leurs terres nourricières et leur cheptel, étaient tenues d’improviser elles-mêmes leur gîte de fortune. Ces camps abritaient entre 1.000 et 6.000 individus (hommes, femmes et enfants) — livrés au froid de l’hiver, à la canicule de l’été, au manque terrible d’hygiène dû au rationnement de l’eau — qui ne recevaient même pas le minimum vital en nourriture. Ils en mouraient en moyenne quatre individus par jour et par camp (dans un camp à Jijel, abritant 5.200 regroupés, 250 sont morts en un mois, 30% de l’effectif total étaient tuberculeux). Ce ne sont que quelques exemples seulement. C’est pour ces raisons que j’ai titré mon livre «camps de concentration».
Outre l’emprisonnement dans les départements français d’Outre-Mer et en Algérie, les geôles de l’Hexagone ont été une arme du colonisateur pour tenter de mettre fin à la résistance du peuple algérien...
Effectivement, à l’issue de chaque révolte populaire, au 19e siècle, les chefs étaient, après être ruinés par le versement d’une amende de guerre et l’apposition du séquestre sur leurs biens immobiliers, déportés vers les bagnes coloniaux français d’Outre-Mer : Cayenne (1852 – 1938), Nouvelle Calédonie (1864 – 1897), Obock (1886 – 1895) ; mais aussi vers les dépôts insulaires de métropole (1836 – 1907). Durant la guerre d’Algérie, le conflit fut exporté aussi dans l’Hexagone. Avant 1957, nos émigrés reconnus «activistes» étaient expulsés vers les camps en Algérie. Le 26 juillet 1957 fut votée une loi étendant une partie des «pouvoirs spéciaux» en métropole, et depuis furent créés quatre camps d’assignation à résidence (CARS) exclusivement pour l’internement des Algériens. Comme en Algérie, les militants indépendantistes étaient déférés devant les TPFA avant d’écoper d’une peine de prison à temps ou d’une peine capitale.

A-t-on des statistiques sur le nombre d’Algériens internés, déportés, torturés ou guillotinés durant les 132 ans de colonisation ?

J’ai cité des chiffres dans mes trois ouvrages précédents, consacrés aux déportations d’Algériens. Environ 4.000 étaient déportés vers les dépôts insulaires de métropole ; 20.000 (dont 20 femmes) condamnés à la transportation au bagne de Cayenne (18.700 forçats et 1.300 relégués) entre 1852 et 1938 ; 2.000 en Nouvelle Calédonie (123 déportés politiques, 60 relégués et 1.800 forçats) entre 1864 et 1897 ; 20 au bagne d’Obock (forçats) en 1886. Hormis des milliers d’exécutions sommaires (fusillés) durant les révoltes populaires, 3 furent exécutés à la guillotine dans la place de Bab El Oued, à Alger, lors de l’insurrection de 1871. Le premier guillotiné algérien fut Abdelkader Ben Zellouf Ben Dahmane en février 1843. Durant la guerre d’Algérie, on a dénombré 2.392 camps de regroupement de populations ayant accueilli 3.525.000 individus (soit 50% de la population rurale algérienne) ; en avril 1959, fut atteint le pic de 11.000 internés dans les camps en Algérie ; celui des détenus aussi se chiffre à des milliers. En France, il y a eu 10.000 détenus algériens dans les prisons ; celle de Fresnes fut appelée «prison algérienne», avec ses 1.100 détenus. 67.000 Algériens passèrent par le centre d’identification de Vincennes entre 1957 et 1961, dont près d’un tiers avaient fini dans les «CARS». En 1970, 375 dépouilles de chouhada de la Fédération de France étaient rapatriées vers l’Algérie, puis inhumées au carré des martyrs d’El Alia. Le nombre total de condamnés à mort durant la guerre d’Algérie avoisinait les 1.600, parmi lesquels, ceux d’Algérie et ceux de la Fédération de France. Parmi ce chiffre, plus de 300 étaient suivis d’exécution. 222 furent exécutés à la guillotine : 200 en Algérie, de 1956 à 1959, dont un grand nombre à la prison de Serkadji (Ahmed Zabana en fut un exemple). Au-delà de 1959, les condamnés à mort en Algérie, au nombre de 100, étaient passés par les armes devant un peloton d’exécution (l’Etat leur avait reconnu le statut de prisonniers de guerre). 22 était le nombre de guillotinés en France dont 11 à la prison de Montluc à Lyon.

Peut-on avoir des statistiques sur le nombre de camps de regroupement, d’internement et de prison durant la guerre de libération nationale ?

Au total, on dénombre tout au long de la guerre, 2.392 camps de regroupement de populations ; un camp militaire au niveau de chaque village ; 80 camps d’internement, entre «camps d’hébergement», «camps de transit et de tri» ; «camps militaires d’internés». Quant à la torture, elle avait cours dans tous les villages. Pour les prisons, j’ai cité les cinq principales. En France, les militants algériens étaient, avant 1959, disséminés à travers 130 maisons d’arrêt, avant de les regrouper dans six maisons centrales au-delà de cette date. Il y eut aussi quatre CARS (camp d’assignation à résidence surveillée), ainsi que Rivesaltes dans le Sud (pénitencier/camp)(……………………………………………)