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Article Malika Aichour Romane (2015) (I/VI)

Date de création: 05-09-2021 16:47
Dernière mise à jour: 05-09-2021 16:47
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CULTURE- CINEMA- ARTICLE MALIKA AICHOUR ROMANE (2015) (I/VI)

Le cinéma algérien : en quête de l’intime

© La Pensée janvier 2015/4 (janvier N° 384), pages 67 à 78

 Mis en ligne sur Cairn.info le 22/03/2020

Le « cinéma algérien » d’aujourd’hui ne manque pas de moyens mais plutôt de public qui ne se retrouve pas dans ses films peut-être justement par manque de représentation et d’intimité car entrer dans un film, c’est bien comme entrer dans une demeure, celle de la pensée et de l’expression d’un metteur en scène qui désire nous montrer, nous dire quelque chose. L’absence du subjectif et de l’intime dans les films algériens convoque d’emblée une autre absence : celle de la femme. Ce sont pourtant bien ces vecteurs qui font battre le cœur et apportent de l’émotion au cinéma. Ce trio de l’absence dans le cinéma algérien en fait souvent un art sans tempérament, sans cœur et sans désir.

Le cinéma de l’intime est complexe car il touche au privé, à l’expérience vécue, aux liens d’un individu à un autre, à d’autres. Et ce premier autre est bien la femme pour l’homme et inversement. Ce premier rapport est presque invisible dans nos films simplement parce qu’il porte en lui la puissance de l’amour et son corolaire immédiat, la puissance sexuelle. L’intime prospecte au plus profond de soi et pousse donc au dévoilement. Or le voilé/dévoilé est le ressort fondamental de la société algérienne versée dans la réserve extrême et que le fond religieux a plus qu’exacerbée depuis quelques années. Chacun se sent l’ordonnateur du licite et du non licite. Les films algériens n’échappent pas à ce diktat qui produit des films licites à une société dont on peut croire qu’elle le réclame, en particulier pour une consommation en famille. La multiplicité des écrans de télévision à la maison et celle des satellites valident ce constat.

La projection en salle, quant à elle, est un acte rassembleur, un fait social, une communion. Comment élever alors le cinéma au rang d’objet d’étude dans sa dimension sociologique et populaire ? Pourtant, un film est a priori une fiction à travers laquelle le réalisateur doit prendre toutes les libertés sans avoir à y rendre des comptes. Mais ce n’est pas le cas et il n’est pas besoin d’évoquer une quelconque censure officielle à supposer qu’elle existe, l’autocensure ayant pris largement le dessus pour expliquer la difficulté et la peur d’être du créateur, à l’écrit comme à la mise en scène. L’autocensure est à chercher du côté de l’intime et de la posture subjective du réalisateur. L’intime, frappé d’interdit, n’est pas montré or c’est bien lui qui fait le processus de focalisation du spectateur. L’intime est bien le plus petit dénominateur commun, le révélateur de nos parts de mal et de bien, d’ombre et de lumière. Le spectateur peut alors « vivre » une identification qui le touche et le pousse à l’introspection quand les autres processus le tiennent à bonne distance du réel. Le cinéma intime est rétif à la performance, il exacerbe plutôt les imperfections, les failles et les faiblesses de l’individu dans tous les registres et genres : comique, dramatique, fantastique ou autre.

Par le passé, le cinéma algérien, démonstratif, enclin à la moralisation, voulait s’adresser à tous et toutes, dans une sorte de portée nationale avec des films populistes, orientés, dictant une culture pelliculée, fruit d’un consensus politique, administrée par des politiques et qui allait façonner ce peuple acculturé. Un cinéma tutélaire qui a néanmoins ensemencé le cinéma algérien de quelques beaux fruits, indéniablement. Mais la méfiance a toujours été grande face aux réalisateurs chahuteurs, soupçonnés de tous les péchés et nuisances, de tous les complots et alliances obscures. La politique d’abord et la culture ensuite donc.

 « Un seul héros, le peuple » ! murmure une archive filmée sur le mur d’une ruelle populaire d’Alger en guerre. Le peuple paysan ayant habité le premier cinéma de ses visages burinés et miséreux, de ses femmes muettes et besogneuses, de ses paysages secs et rocailleux, comment se frayer alors un chemin vers l’intime et le subjectif à travers un cinéma qui produit de la pensée et du sens, du singulier et de l’individuel ? En brouillant les pistes identitaires, si intimes, complexes et singulières, en tuant l’insolence et l’indépendance des auteurs, si salutaires pour l’art, le cinéma algérien ne s’est pas érigé en véritable cinéma national car il a souvent conduit à nombre d̕exclusions.

Les premières imageS, Filmske Novosti, le vivier du maquis : La riposte du Front

Contrairement à l’égypte, le Zaïre et l’Inde que l’empire britannique a pourvus de structures de production cinématographique, l’empire colonial français n’a pas laissé en Algérie d’industrie cinématographique derrière lui. On a peu fait usage du pays dans le cinéma français. C’est une vraie question.

Aussi les balbutiements du cinéma se feront en même temps que la lutte pour la libération du pays : dans les maquis ! C’est la première école de cinéma en 1958 avec une poignée de réalisateurs formés sur place par des étrangers, dont René Vautier, mais aussi une contribution slave exceptionnelle encouragée par le Maréchal Tito déjà bien engagé aux côtés des Algériens. Les agences de presse yougoslaves telles Tanjug ou Filmske Novosti dépêchent des reporters et formateurs du côté algérien.

Parmi eux, Zdravko Pečar (1950), futur diplomate en Afrique qui soldera son expérience algérienne avec un livre unique : ALGERIE, témoignage d’un reporter yougoslave sur la guerre d’Algérie (Enal 1987), Dragan Savič (1923-2009), un dessinateur, illustrateur et reporter hors pair qui croque les maquisards au crayon noir et au fusain avec un réalisme exceptionnel et surtout Stevan Labudovič, cameraman personnel de Tito, qui forma nombre des jeunes premiers cinéastes et qui a donné à la révolution algérienne un visage de l’intérieur, une brèche qui porta le combat algérien hors du pays. La riposte est alors urgente face à la machine propagandiste française : la crise algérienne doit absolument déborder les frontières du pays. Ce sera vrai lorsque Djazairouna (1960/1961 René Vautier, Djamel-Eddine Chanderli, Mohamed Lakhdar Hamina et Pierre Chaulet) sera visionné à l’ONU et changera la perception de la Guerre d’Algérie et de la légitimité des Algériens à arracher leur indépendance.

Premières images guerrières et urgentes qui fixent une réalité historique dans un nouvel ordre mondial en marche où chaque nation doit (ré)occuper une place, pérenne si possible. Une guerre des images, inégale certes, mais qui contribuera incontestablement à cette « première image » de l’Algérie dont elle jouit encore tant elle est forte. Plaidoyer intelligent, sensible et aussi efficace qu’une colonne de blindés.

Cette origine maquisarde du cinéma influera beaucoup sur le cinéma premier de l’Algérie. L’héritage sera visible jusque dans les années 1970 avec des films de fiction triomphalistes, lyriques, qui ont tant emprunté au cinéma soviétique largement et gratuitement diffusé à Alger. Livrer une nation avec des héros et héroïnes clefs en mains dans une théâtralisation poussée à l’extrême. La paysannerie, cette fabrique du peuple héroïque, l’injustice coloniale, la révolte sont les sujets dominants, plus rarement et de façon schématique l’émancipation de la femme. Dès le commencement, le cinéma national s’est donné pour mission de solder les comptes avec le colonialisme et ses multiples pertes et dépossessions, un cinéma comptable en somme. Peut-être fallait-il commencer là : construire une mémoire collective pour les générations à venir. Des réalisateurs, des comédiens et comédiennes l’ont portée avec puissance et élégance dans de nombreuses œuvres.

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