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Projets de lois / Pr Redoune Boudjema/El Watan/Entretien

Date de création: 04-08-2021 18:14
Dernière mise à jour: 04-08-2021 18:14
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COMMUNICATION- OPINIONS ET POINTS DE VUE -PROJETS DE LOIS- Pr REDOUANE BOUDJEMA/EL WATAN/ENTRETIEN

© Propos receuillis par Mustapha Benfodil, El Watan, mardi 3 août 2021

 

Redouane Boudjema est professeur à la faculté des sciences de l’information et de la communication de l’université d’Alger. Dans cet entretien, il décrypte l’avant-projet de loi sur l’information et celui sur l’audiovisuel que vient d’élaborer le ministère de la Communication. Le chercheur plaide pour un «changement de paradigme» et la rupture du système médiatique «avec une organisation construite sur la rente et la propagande».

 

Mustapha Benfodil : Quelle lecture faites-vous, professeur, de «l’avant-projet de loi organique sur l’information», qui vient d’être élaboré par le ministère de la Communication ? Avez-vous relevé des nouveautés significatives, des avancées, par rapport aux lois sur l’information de 1990 et 2012 ?

Redouane Boudjema : Une partie de réponse à votre question se trouve dans l’exposé des motifs de cet avant-projet de loi, où il est précisé que cette «loi organique n’est qu’une mise en conformité avec l’esprit de la Constitution et qui portera l’intitulé de Loi organique relative à la liberté de communication».

Cette «mise en conformité» répond-elle à la situation actuelle du secteur ? L’état de l’exercice professionnel du journalisme dépasse, à l’évidence, la «liberté de communication» et appelle un changement profond et structurel pour émerger de la crise vécue par la profession.

Très clairement, nous éprouvons la nécessité d’un cadre juridique pour la liberté de la presse et non pas «la liberté de la communication». La liberté de la presse est le droit d’informer et de s’informer, le droit du journaliste à exercer son métier librement, et le droit du public à une information complète sur la gestion des affaires publiques qui reflète la diversité politique, sociale, économique et culturelle.

Le journaliste active dans l’information et non pas dans la communication. L’éthique journalistique impose de ne pas basculer dans la communication ; le rôle du journaliste ne doit pas être confondu avec celui de l’agent de police, du magistrat, de l’avocat ou de l’agent publicitaire. En revanche, les acteurs sociaux, politiques, etc., communiquent sur leurs actions et leurs objectifs, pour les faire connaître et les valoriser. Il s’agit naturellement de pure communication alors que les journalistes cherchent à informer et à diffuser des informations que les communicants ne souhaitent pas toujours mettre à la disposition du public.

Il n’est pas pertinent de comparer ce projet de loi avec la loi de 1990, car ce texte avait été conçu à l’époque pour organiser la transition d’une presse de parti unique vers un pluralisme médiatique. Il s’agit d’une loi liée à la philosophie des réformes pour un changement de système de gouvernance. Rappelons que cette démarche a été suspendue en juin 1991 et définitivement interrompue en février 1992 avec le décret portant instauration de l’état d’urgence, et ceci, jusqu’à la promulgation de la loi de 2012. Il est important de souligner le fait que les lois sur l’information n’ont le plus souvent été ni respectées ni appliquées.

Pratique qui trouve son explication dans la nature administrative et autoritaire de la gestion du secteur médiatique, une gestion hors des institutions et en contravention avec les lois de la République. Ce nouveau texte, en dépit de quelques changements formels, exprime une vision ancienne du système médiatique : les concepteurs de cette loi ne font pas la distinction entre communication et information, entre régulation et censure, et entre la liberté de la presse et la liberté de la communication.

M.B : On remarque dans la nouvelle mouture la consécration du régime déclaratif pour la création de nouveaux organes d’information alors que la règle dominante, jusqu’à présent, pour lancer une nouvelle publication, était l’octroi d’un agrément. Cette disposition, qui vaut également pour la presse électronique, va-t-elle rendre plus facile, selon vous, le lancement de nouveaux titres et de nouveaux sites et booster un paysage médiatique moribond ?

R.B : Les articles 9 et 10 de cet avant-projet de loi nuancent fortement le sens du régime déclaratif pour la création de nouveaux organes d’information. Cette interprétation restrictive aboutit quasiment à la reproduction du système. Ainsi, l’article 9 stipule : «Le récépissé de dépôt est soumis par le postulant à un enregistrement devant le procureur territorialement compétent ou le président de cour, au choix, du lieu de parution de la publication.»

L’article 10 précise qu’«en cas de non-conformité avec les dispositions de la loi, la déclaration n’est pas enregistrée et le dossier est rejeté». Le système déclaratif est donc lié à un enregistrement auprès du procureur. L’article 13 de la loi de 2012 parle d’agrément délivré par l’Autorité de régulation de la presse écrite – jamais instaurée – dans un délai de 60 jours. L’avant-projet de la loi 2021 évoque quant à lui un système déclaratif après enregistrement auprès du procureur, qui a le pouvoir d’accepter ou de refuser.

Le procureur jouit-il d’une indépendance réelle vis-à-vis du pouvoir exécutif pour accepter une demande d’enregistrement refusée par l’administration, qui a la mainmise sur la gestion du système médiatique ? Peut-on vraiment parler de système déclaratif en lisant les articles 9 et 10 de ce projet de loi ? S’agit-il d’un exercice de communication politique ou de marketing un peu sournois ?

M.B : On note d’ailleurs que le nouveau texte enterre définitivement l’Autorité de régulation de la presse écrite et la remplace par un Conseil national de la presse. Quelle analyse faites-vous de ce changement ?

R.B : L’avant-projet de loi enterre effectivement l’Autorité de régulation de la presse écrite, qui n’a jamais vu le jour, une structure qui a existé dans une loi qui n’a jamais été appliquée neuf ans après sa promulgation. Constat suffisant pour conclure que le secteur médiatique est géré d’une manière bureaucratique, en dehors de la loi ou même en violation de la loi.

Qu’est-ce qui a changé pour dire que cette loi, une fois promulguée, n’aura pas le même sort que la loi actuelle ? Sur le plan de la forme, j’ai toujours défendu l’idée d’une régulation de ce secteur par un Conseil de presse, comme dans la majorité des pays démocratiques ou en voie de démocratisation.

Un tel Conseil de presse existe en Côte d’Ivoire, en Tunisie, au Maroc, mais aussi en Norvège, en Finlande et en Suède ainsi que dans d’autres pays. Ces pays connaissent des systèmes médiatiques différents : certains consacrent la liberté de la presse et d’autres encadrent le secteur en le mettant sous tutelle administrative ou sécuritaire. Les organes de régulation de la presse dans les systèmes démocratiques représentent une autorité morale et déontologique.

A l’opposé, dans les organisations bureaucratiques, ces structures ont pour mission de justifier les atteintes à la liberté de la presse ou de fournir des cautions «régulatoires» à des décisions de censure administratives. La Norvège, la Finlande et la Suède figurent depuis des années en haut de tous les classements en tant que pays de référence en matière de liberté de la presse et de transparence dans la propriété des mass médias.

Un pays en «transition démocratique», comme la Côte d’Ivoire, figure à la 66e place du classement ; la Tunisie occupe le 73e rang. Loin de ces performances, un pays autoritaire comme le Maroc est à la 136e place, l’Algérie est à la 146e... Le Conseil national de presse (CNP), prévu par l’avant-projet de loi dans son article 38, est constitué de 9 membres.

Le même article 38 indique que le CNP est composé de «cinq personnalités désignées par le président de la République, dont le président, parmi les personnalités connues pour leur expérience, leur compétence et l’intérêt qu’elles portent à la sauvegarde des libertés publiques et au développement de la communication ; deux membres désignés par le syndicat ou association des éditeurs regroupant le plus grand nombre de titres, conformément à la législation en vigueur ; deux membres désignés par le syndicat ou association de journalistes le plus représentatif en termes de journalistes, conformément à la législation en vigueur».

L’ensemble des membres de ce Conseil national de presse est donc désigné et non pas élu. Pour enfoncer le clou, l’article 40 dispose que «les modalités de fonctionnement de ce Conseil sont précisées par décret présidentiel».

Peut-on parler d’un Conseil de presse indépendant et libre si le président de la République en désigne les membres et définit les modalités de son fonctionnement ? Je ne souhaite pas développer d’autres aspects de cet avant-projet de loi. Ce serait trop long. Mais il est aisé de conclure qu’il est plutôt question d’une opération de marketing politique.

M.B : Il y a également l’avant-projet de loi sur l’audiovisuel qui sera bientôt soumis à l’approbation du gouvernement. Ce texte se propose de «normaliser la situation de l’audiovisuel» et sa pléthore de chaînes de télévision offshore. Cet arsenal réglementaire est-il mieux adapté, d’après vous, aux transformations fulgurantes que connaît le champ audiovisuel dans notre pays par rapport à la loi du 24 février 2014 ?

R.B : La loi sur l’audiovisuel n’a jamais été respectée ni appliquée. Cet avant-projet de loi sur l’audiovisuel, qui comporte 88 articles (l’actuelle en comprend 113), remplace l’actuelle Autorité de régulation de l’audiovisuel (ARAV) par une Autorité nationale indépendante de régulation de l’audiovisuel (ANIRA), dont la composition passe de 9 à 7 membres, tous désignés par le président de la République, selon l’article 44.

En revanche, l’article 57 de la loi en vigueur établit que «cinq membres, dont le président, sont désignés par le président de la République ; deux membres non parlementaires sont proposés par le président du Conseil de la nation ; deux membres non parlementaires sont proposés par le président de l’Assemblée populaire nationale».

Il s’avère ainsi que la centralisation des nominations par l’Exécutif a été nettement renforcée. En dépit de cela, l’article 45 de cet avant-projet de loi affirme : «L’Autorité nationale indépendante de régulation de l’audiovisuel (ANIRA) exerce ses missions en toute indépendance.» Il s’agit d’une reproduction, à l’identique, de l’article 58 de l’actuelle loi.

Or, tout le monde sait que l’ARAV n’a pas été indépendante et n’a pas œuvré à l’application de la loi. Cette structure termine son mandat en juin 2022 sans produire un seul rapport, comme le stipule la loi. Pour le reste des articles, il n’y a aucun changement significatif.

M.B : Entre la multiplication des télés privées, l’émergence de web radios, la place prépondérante des médias sociaux, la presse papier qui est en voie de disparition et les «pures players», les médias numériques, qui sont encore économiquement fragiles et peinent à s’imposer... la scène médiatique en Algérie est en pleine mutation.

Ce nouveau cadre juridique permet-il, en définitive, d’accompagner et d’anticiper cette mutation, et de revivifier un secteur profondément ébranlé ?

R.B : Je pense que la mutation doit s’opérer dans une perspective claire. La question stratégique est la suivante : aspire-t-on à un système médiatique au service de l’Etat ou à un système médiatique au service du pouvoir ? Subsidiairement : souhaitons-nous des appareils chargés de communication et de propagande ou bien des médias professionnels d’information ? Un système médiatique au service de la nation et des institutions ou bien un système médiatique au service des personnes et des hommes du pouvoir ?

La crise des médias algériens est une crise multidimensionnelle. L’actuel décret exécutif sur la presse électronique n’encourage pas la promotion du contenu algérien sur la Toile. L’Algérie, pour avancer, doit changer de paradigme de gouvernance. La condition principale pour l’évolution du système médiatique est la rupture définitive avec une organisation construite sur la rente et la propagande. Le reste n’est que littérature.