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Date de création: 16-12-2020 18:25
Dernière mise à jour: 16-12-2020 18:25
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COMMUNICATION- ENQUETES ET REPORTAGES- WEB- INFOX

 

 D’ESPACE DE LIBERTÉ, LE NET A SUSCITÉ LA MÉFIANCE AU CŒUR DU “PRINTEMPS ARABE”

Quand l’“infox” tue le cyberactivisme

© Afp/Liberté, mardi 1er décembre 2020

Aux  fausses  informations  diffusées  par  des  médias  sous  le joug de régimes en déroute, s'ajoutait soudainement la désinformation polluant le net, pourtant perçu jusque-là comme un refuge contre la censure et la propagande. 

Blogueurs douteux et riposte des pouvoirs en place face aux cyberdissidents: l'espace numérique est vite devenu un champ de bataille lors du Printemps arabe de 2011, inaugurant l'ère des grandes “infox” sur le net et fragilisant les militants de la région. Après la fuite du dictateur tunisien Zine el Abidine Ben Ali le 14 janvier 2011, “la nuit a été horrible, traumatisante”, se souvient Houeida Anaouar, ex-militante en ligne. Rumeurs de viols en série, de meurtres : “le cocktail d'inconnu et d'intox a créé une situation de panique et d'hystérie”, raconte-t-elle à l'AFP.

Aux fausses informations diffusées par des médias sous le joug de régimes en déroute, s'ajoutait soudainement la désinformation polluant le net, pourtant perçu jusque-là comme un refuge contre la censure et la propagande. Pour le journaliste et chercheur Hakim Beltifa, les contextes nationaux étaient “propices à la propagation des fausses nouvelles”. 

“Les fake news se nourrissaient de la méfiance à l'égard des médias traditionnels contrôlés par les États arabes qui occultaient (...) la réalité  et maintenaient le peuple dans l'opacité et l'ignorance”, écrit-il dans un article publié dans le magazine The Conversation. Ainsi, début 2011, la télévision d'État égyptienne accuse la chaîne de fast-food américaine Kentucky Fried Chicken (KFC) de rémunérer par des repas gratuits les manifestants pro-démocratie de la place Tahrir au Caire.

Cette allégorie de l'ingérence de puissances internationales s'ajoutait aux nombreuses rumeurs, difficiles à vérifier, d'infiltration étrangère dans les rangs des protestataires. Si l'histoire déroutante du KFC a marqué les esprits, elle a été démentie par de nombreux militants et médias indiquant que le poulet en question était inexistant parmi des manifestants qui se nourrissaient surtout de kochari, plat typique à base de riz, pâtes et lentilles. 
    
Blogosphère infiltrée 
Mais “l'exemple le plus emblématique de la désinformation” au début des soulèvements de 2011 reste sans conteste celui de la tristement célèbre “Gay Girl of Damascus”, (lesbienne de Damas), indique à l'AFP le chercheur Yves Gonzalez Quijano. Amina Abdallah Arraf, qui se présentait comme une Américano-Syrienne lesbienne, jeune militante contre le régime, tenait sous ce pseudonyme un blog suivi par des milliers de personnes.

Lorsqu'elle  disparaît  soudainement,  “enlevée”  à  Damas,  ses  lecteurs s'inquiètent et une mobilisation internationale est lancée pour la sauver des mains du régime de Bachar al-Assad. La quête révèle une inimaginable supercherie. La blogueuse devenue une icône du mouvement démocratique syrien était en réalité un Américain barbu de 40 ans, Tom MacMaster, à l'époque étudiant en Écosse et en quête de reconnaissance littéraire. “Cela paraît presque anecdotique aujourd'hui, car on a davantage appris à se méfier de ce type de fabrications, mais à l'époque, la méfiance était loin d'être aussi présente”, rappelle M. Gonzalez Quijano.

Autre personnage inventé de toutes pièces, une soi-disant journaliste d'Atlanta (États-Unis) couvrant le “Printemps arabe”, se présentant comme Liliane Khalil, et dénoncée quelques mois après le cas de la Syrienne Amina. Elle affichait des positions ambiguës pro-gouvernement, notamment dans le cas du Bahreïn, et était impossible à traquer malgré toutes les informations publiques à son sujet. Si elle a été dénoncée comme une usurpatrice par de nombreux militants et chercheurs, il est toujours impossible de dire qui se cachait derrière ses comptes sur les réseaux sociaux. 
    
“Méfiance sur le net”
Pour M. Gonzalez Quijano, les “supercheries” d'Amina et Liliane sont “les premières manifestations de manipulations numériques incontestables”. Avec d'importants moyens, ce sont surtout les “agents du pouvoir qui se sont immiscés au sein de diverses discussions” pour contrer les informations défavorables et dénonciations d'abus, et “semer confusion et désinformation”, explique le chercheur Romain Lecomte. Peu à peu, la multiplication des manipulations d'informations ou d'images en vient à ébranler une perception jusque-là largement positive d'un internet libérateur et de réseaux sociaux bienveillants.

En plus de la contre-offensive des régimes, “la massification des usages politiques d'internet change la donne”, estime M. Lecomte. Certains cybermilitants commencent à questionner la force démocratique du web. Des forums de discussions ou des blogs comme “A Tunisian Girl”, tenu par la jeune militante Lina Ben Mhenni, ont alimenté la contestation naissante en contournant la censure pour dénoncer les régimes en place. Mais, pour M. Gonzalez Quijano, la désinformation tous azimuts a fait perdre son crédit au cyberactivisme.

“Il ne s'est jamais remis de son utilisation, ou plutôt de sa manipulation, par des puissances politiques mieux organisées que les militants sur le terrain”, dit-il. Dix ans plus tard, la prolifération massive d'informations et d'images n'a fait qu'amplifier le phénomène des infox. Pour le contrer, campagnes de sensibilisation et plateformes de fact-checking ont vu le jour, aux côtés de nouvelles législations censées endiguer les abus, mais potentiellement liberticides.