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Moufdi Zakaria

Date de création: 18-08-2020 19:28
Dernière mise à jour: 18-08-2020 19:28
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HISTOIRE –PERSONNALITES- MOUFDI ZAKARIA

© Ahmed Cheniki, août 2020

 

MOUFDI ZAKARIA, LE GRAND POETE DONT ON NE CONNAIT QUE QASSAMAN, le grand poète dont on ne connait que le symbole, Qasaman

-Il y a 43 ans, le 17 août 1977 décédait le poète et militant Moufdi Zakaria. Je reproduis, à cette occasion, un texte que j'ai écrit il y a tout juste deux mois.

Gandourah verte, chemise blanche, cravate rouge frappée d’une étoile et du croissant, Chéchia rouge, il était reconnaissable de loin, il était présent dans tous les meetings du PPA et du MTLD. Moufdi Zakaria est le symbole d’une Algérie libre, nouvelle. Depuis les débuts du mouvement national, il est aux avant-postes pour revendiquer l’indépendance, combattant férocement l’assimilationnisme et l’indifférence qui sévissaient dans certains milieux. Natif de Beni Izguen dont je garde un excellent souvenir, bibliothèque pleine de manuscrits anciens qui donnent à lire la présence d’une grande culture, cet enfant d’une famille de commerçants établis à Annaba où il fait ses premiers pas dans l’apprentissage du fiqh et de la grammaire avant d’aller à Tunis, va poursuivre ses études à la Zaytouna. Etudiant, il s’initie à la poésie et au patriotisme, l’un ne semble pas aller sans l’autre, il se lie d’amitié avec deux grands poètes, Aboul Qacem Chabbi et Ramdane Hamoud. Ils vont, tous les trois, animer entre 1925 et 1930, une association littéraire affublée du nom « El Wifak ». A Tunis, il découvre la dimension nord-africaine, il en fera l’un des thèmes fondateurs de sa réflexion. Il est membre de l'Association des Étudiants musulmans de l'Afrique du Nord à partir de 1925. Ce n’est pas sans raison qu’il épouse les thèses indépendantistes de l’Etoile Nord-Africaine (ENA).

Zekri Chikh, son véritable nom, beaucoup de gens le connaissent uniquement comme l’auteur de Qasaman, mais son parcours va au-delà, lui qui a rencontré les pires prisons coloniales, la torture et les insidieuses conséquences de ces espaces carcéraux. Il est aussi un grand homme de lettres, un poète et également quelqu’un qui ne peut ne pas emprunter les sentiers sinueux de l’écriture historique et sociologique. Il n’arrête pas d’écrire, de fonder des associations et de créer des journaux et des revues. Même s’il sympathise avec les Oulémas de Ben Badis, il opte pour le PPA dont il a même occupé le poste de secrétaire général. Il sera l’un de ceux qui organiseront le secteur éditorial de cette structure patriotique. A son retour de Tunis en 1933, il lance une revue, El Hayet. Il est d’une activité débordante, ponctuée par des séjours en prison. Il participera à la constitution de nombreux journaux du PPA, Echaab, Al Watan, L’Action algérienne, Le Parlement algérien.

Son militantisme va de pair avec la création littéraire, il le mènera aussi dans les geôles coloniales. Il sera, emprisonné à cinq reprises, la première fois, le 22 août 1937 avec Messali et d’autres membres du comité directeur du PPA, il ne sera libéré qu’en 1939. Il est de nouveau arrêté en 1940, puis après les massacres du 8 mai 1945. Les geôles n’y peuvent rien devant sa pugnacité légendaire et son extraordinaire résistance. Moufdi Zakaria croyait dur comme fer à l’indépendance, rien ne pouvait le changer d’avis, incapable de reculer, il avait fait son choix, lui qui découvrant l’organe de l’ENA, El Oumma, se serait juré de se battre pour l’indépendance de l’Algérie et de l’Afrique du Nord, quel qu’en soit le prix. Il le dit ainsi : « Je jure sur l'Unicité de Dieu que j'ai foi dans l'unicité de l'Afrique du Nord pour laquelle j'agirai tant qu'il y aura en moi un cœur qui bat, un sang qui coule et un souffle chevillé au corps. ». Ses choix étaient clairs : la libération de l’Algérie et de l’Afrique du Nord.

On disait de lui qu’il était infatigable, un grand bosseur qui avait des objectifs clairs. Il a été l’auteur de plusieurs hymnes, le plus connu, c’est Qasaman, commandé par Abane Ramdane, mis en musique une première fois par Mohamed Triki, puis par le compositeur égyptien, Mohamed Fawzi et enregistré à la télévision tunisienne en 1957. Il a mis en forme d’autres hymnes dont Fida’el djazair (PPA) et d’autres chants révolutionnaires. C’était un homme de conviction dont la raison de vivre était la patrie. Il a composé des chants en Tunisie (Union des Femmes Tunisiennes, armée marocaine).

Son combat s’inscrit dans une perspective maghrébine, il insiste sur ce volet, sa patrie, aimait-il dire, dépassait un seul pays, englobant l’Afrique du Nord. D’où ses va et vient et ses implications militantes dans les trois pays. C’est ce qu’il déclare lors du 4e Congrès de l'Association des Étudiants Musulmans d’Afrique du Nord (AEMAN) à Tlemcen en 1931: « Je ne suis ni musulman, ni croyant, ni Amazigh si je ne sacrifie pas mon être, mes biens et mon sang pour libérer ma chère patrie (l'Afrique du Nord) des chaînes de l'esclavage et la sortir des ténèbres de l'ignorance et de la misère vers la lumière du savoir, de la prospérité et d'une vie heureuse. (…) Ma patrie est l'Afrique du Nord, patrie glorieuse qui a une identité sacrée, une histoire somptueuse, une langue généreuse, une noble nationalité, Amazigh. Je ne fais aucune distinction entre un Tunisien, un Algérien, un Marocain ; ni entre un Malékite, un Hanéfite, un Chaféite, un Ibadite et un Hanbalite: ni entre un Arabe et un Kabyle, un citadin et un villageois, un sédentaire et un nomade. Tous sont mes frères, je les respecte et les défend tant qu'ils œuvrent pour la cause de Dieu et de la patrie. Si je contreviens à ce principe, je me considérerai comme le plus grand traître à sa religion et à sa patrie. ».

L’Afrique du Nord considérée comme espace attenant du Machrek, allant dans le sens de la mise en œuvre d’un discours syncrétique, constitue l’élément central de la philosophie de Moufdi Zakaria qui a rejoint le FLN en 1955 avant de retrouver encore une fois les affres de la prison de Barberousse et de la torture. Il en sort trois années après, en 1959, meurtri, mais toujours aussi fort, c’était un homme debout qui ne pouvait abdiquer devant l’arbitraire colonial. Il rejoint Tunis, après un séjour au Maroc, et écrit pour les pages culturelles d’El Moudjahid. Ces passages fréquents entre Alger, Tunis et Rabat consacrent son option pour une identité maghrébine. Ce qui caractérise aussi Moufdi Zakaria, c’est sa maturité politique. Quand éclate la crise du MTLD au début de 1952, il a décidé de ne prendre position pour aucune partie en conflit, il s’en est allé, son bâton de militant en main, mener des actions en Tunisie et au Maroc.

L’indépendance acquise, il prend une décision radicale, mécontent du train où allaient les choses, les conflits de l’été 1962 avaient fini par le désarçonner et provoquer chez lui un désamour définitif de Boumediene, il se met à faire ce qu’il aimait par-dessus tout, la littérature. Et, pour vivre, il n’avait besoin de personne, il a choisi un métier simple, représentant de commerce d’une firme belge de parfumerie.

C’est ainsi qu’il décide de rompre toute relation avec les gouvernants du moment. Boumediene ne l’aimait pas à tel point qu’il avait cherché à changer l’hymne national, mais lui aussi n’accordait point d’importance à celui qui avait suivi, comme lui, le cursus de la Zaytouna. Le sens de son combat entrait en collision avec le discours de Boumediene, lui qui a accompagné le mouvement nationaliste depuis l’Etoile Nord-Africaine jusqu’au FLN de la lutte de libération qu’il abandonnera en 1962, en grand militant, une fois la victoire contre le colonialisme actée, pour plonger dans les jeux ludiques de la littérature et de l’écriture historique. Il publie ses textes ici et là, dans des revues, des recueils paraissent comme « Le Feu sacré » , « À l’ombre des oliviers », « Sous l’inspiration de l’Atlas », « l’Iliade de l’Algérie ».

L’auteur de l’hymne national a toujours été, avant son décès, oublié, ignoré, alors que c’est un patriote qui a tout apporté au pays et à l’Afrique du Nord. On a même du temps de Chadli décidé d’enlever un vers où il est question de la France coloniale, comme pour faire plaisir à Mitterrand. Maintenant, il serait temps de regrouper tous les textes inédits de ce grand militant et poète et les éditer, ce qui serait le moindre homme que son pays devrait lui rendre. Il y aurait encore des manuscrits non édités « Lumières sur la vallée du M’Zab », « le Livre blanc, Histoire de la presse arabe en Algérie », « La Grande Révolution » (pièces de théâtre), la « Littérature arabe en Algérie à travers l’histoire ».

Je suis vraiment curieux de lire ces textes, cet homme mérite tous les hommes. Chaque fois que nous entonnons Kassaman, son nom est présent.

Moufdi Zakaria marche, va vers Tunis, puis Casablanca, rencontre Kateb Yacine qui rit, tout en clamant si bellement que les oiseaux se mettent à écouter : Ici est la rue des Vandales. C’est une rue d’Alger ou de Constantine, de Sétif ou de Guelma, de Tunis ou de Casablanca. Ils poursuivent leur chemin…