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Interview Président A. Tebboune/"L'Opinion", France, 13/7/2020 (I/II)

Date de création: 15-07-2020 11:58
Dernière mise à jour: 15-07-2020 11:58
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VIE POLITIQUE- DOCUMENTS POLITIQUES- INTERVIEW PRESIDENT A. TEBBOUNE / « L’OPINION », FRANCE, 13/7/2020 (I/II)  

 

© Popos recueillis pour  L’Opinion par Pascal Airault • 13 juillet 2020 

 

 

Vous avez eu jeudi un entretien téléphonique avec le président Macron. Ensemble, vous avez décidé de poursuivre le travail commun sur les questions mémorielles. En quoi ce travail de réconciliation va-t-il consister ?

Nous avons évoqué cette question avec le président Macron. Il connaît bien les évènements qui ont marqué notre histoire commune. L’historien Benjamin Stora a été nommé pour accomplir ce travail mémoriel du côté français. Il est sincère et connaît l’Algérie et son histoire, de la période d’occupation jusqu’à aujourd’hui. Nous allons nommer son homologue algérien dans les 72 heures. Ces deux personnalités travailleront directement sous notre tutelle respective. Nous souhaitons qu’ils accomplissent leur travail dans la vérité, la sérénité et l’apaisement pour régler ces problèmes qui enveniment nos relations politiques, le climat des affaires et la bonne entente. L’Algérie est incontournable pour la France, et la France l’est pour l’Algérie. Il faut affronter ces évènements douloureux pour repartir sur des relations profitables aux deux pays, notamment au niveau économique. La mémoire ne peut être estompée et nous ne pouvons pas en faire ce que nous voulons. La remise récente des restes mortuaires des combattants qui se sont opposés, il y a un siècle et demi, à l’installation de l’armée coloniale constitue un grand pas. D’autres crimes méritent d’être racontés, comme la prise de l’oasis de Zaatcha où les troupes françaises du général Emile Herbillon ont massacré les combattants du cheikh Bouziane. Le maréchal de Saint-Arnaud a aussi perpétré de nombreux massacres, qui ont fait plus de victimes qu’à Oradour-sur-Glane. Beaucoup d’historiens français traitent ces évènements historiques en toute honnêteté. Une fois ces problèmes de mémoires dépassées, nous pourrons avancer avec beaucoup de sérénité. Il existe une coopération humaine, scientifique et économique entre les deux pays. La France vient de perdre sa première place de pays fournisseur de l’Algérie mais ce n’est pas irréversible. Nous avons aussi une très forte communauté en France que nous voulons également servir et préserver.

 

️En 2017, le candidat Macron avait parlé de la colonisation comme un crime contre l’humanité. Cette qualification justifie-t-elle, selon vous, des compensations ?

L’histoire algérienne ne peut être jugée par mimétisme par rapport à ce qui s’est fait ailleurs, notamment quand la Libye a demandé des excuses à l’Italie qui a ensuite payé une dette coloniale. Les Algériens tiennent beaucoup plus à la reconnaissance de l’Etat français de ses actes qu’à une compensation matérielle. La seule compensation envisageable est celle des essais nucléaires. Les séquelles sont encore vives pour certaines populations, notamment atteintes de malformations. Et certains sites n’ont toujours pas encore été traités.

 

️Emmanuel Macron a aussi demandé pardon àla veuve de Maurice Audin

Il y a aussi presque 20 millions de Français qui ont eu, de près ou de loin, une relation avec notre pays de par leur service militaire et ou l’histoire de leurs aïeux. Le président Mitterrand a donné l’ordre pour faire guillotiner le premier Algérien ; Jacques Chirac a fait son service militaire dans notre pays pendant la guerre ; François Hollande a fait son stage de l’ENA à l’ambassade de France à Alger... Emmanuel Macron appartient à une nouvelle génération. Au moment de l’indépendance, il n’était pas né et il n’a jamais été en accointance avec les lobbies anti-algériens. Il a reconnu que la colonisation est presque aussi dramatique que la Shoah. De 1832 à 1962, nous avons comptabilisé plus de 5,6 millions de martyrs.

 

Diriez-vous, comme Mao Zedong, que l’avenir est radieux mais le chemin tortueux ?

Il est plus que tortueux. Et le président Macron doit lutter contre le parasitage de lobbies minoritaires mais très dangereux qui essaient de saper son travail, notamment des personnes revanchardes connues pour leur anti-algérianité. Ils pensent toujours que l’Algérie a été bradée et n’a pas été libérée, que le général de Gaulle est un traître. Il existe aussi un conglomérat hétéroclite qui pense que l’Algérie ne doit pas émerger et être tenue sous haute surveillance, en la maintenant dans une certaine faiblesse pour l’empêcher d’influer sur son environnement. C’est contre nature. L’Algérie a toujours influencé les événements au Maghreb et en Afrique subsaharienne. Personne ne peut arrêter le cours de l’histoire. L’Algérie est en train de se développer, de retrouver sa puissance diplomatique. Elle a l’obligation et le devoir de jouer ce rôle-là.

 

Le Front de libération nationale (FLN) a longtemps incarné un nationalisme tiers-mondiste et anti-impérialiste. Serez-vous le promoteur d’un nationalisme plus démocratique, comme l’incarnaient Ferhat Abbas et Messali Hadj ?

Mon marqueur est plutôt le patriotisme. J’ai grandi dans une famille patriotique. Mon père a vécu douze ans de résidence surveillée car il appartenait à l’organisation des oulémas algériens. Je n’ai pas de modèle précis. Nous sommes au XXIe siècle et non plus au XXe, plus idéologique. Je raisonne plus comme un Algérien lambda qui a vécu, dans sa jeunesse, les affres du colonialisme et les privations, qui aime et vénère son pays. Notre pays a souffert. Les Romains y sont restés des siècles. Les Espagnols sont ensuite venus, puis les Turcs au nom du califat, et enfin des Français. Nous sommes aujourd’hui libres et entendons le rester. L’Algérie ne se laissera plus caporaliser par quiconque.

 

 «L’Algérie a souffert de la maladie de l’ex-président et surtout du gaspillage des gangs qui l’entouraient. Elle doit retrouver sa place et son influence naturelle»

 

La diplomatie algérienne a pâti de l’affaiblissement du président Bouteflika, particulièrement lors de son dernier mandat. Quelle place souhaitez-vous redonner à l’Algérie dans le concert des nations ?

L’Algérie a souffert de la maladie de l’ex-président et surtout du gaspillage des gangs qui l’entouraient. Elle doit retrouver sa place et son influence naturelle. Nous restons un leader tiers-mondiste, un des pays majeurs du mouvement des non-alignés. Nous souhaitons accentuer notre africanité et renforcer nos actions diplomatiques en Méditerranée, au sud du Sahara et dans le monde arabe. Une étude américaine en 1994 avait conclu qu’il y avait trois pays pivots sur le continent : l’Algérie, le Nigeria et l’Afrique du sud. Nous avons été une porte d’entrée pour la colonisation, nous avons été de tous les combats pour les indépendances, nous avons ouvert la voie – à tort ou à raison – au régime de parti unique puis au multipartisme. Nous n’avons pas de visées géopolitiques comme d’autres puissances étrangères. Nous prônons une culture pacifique, menons des médiations et cherchons à établir la paix entre belligérants. C’est notre vocation, même s’il y a eu un recul dans une période récente. Nous avons effacé récemment 1,4 milliard de dollars de dettes des pays africains, sans le claironner sur tous les toits.

 

 

️Vos alliés naturels ne sont-ils pas davantage la Chine, sur le plan économique, et la Russie dans le domaine militaire ?

Ce sont effectivement nos alliés naturels. La Chine a reconnu le gouvernement provisoire de la République algérienne le 20 décembre 1958, ouvrant la voie à des relations diplomatiques sans discontinuer. Nous avons été un des pays qui a bataillé le plus pour que la Chine soit admise à l’ONU. La Russie nous a aussi aidés au début de l’indépendance et nous poursuivons aujourd’hui cette coopération. Mais ce n’est pas un choix dogmatique ou idéologique. Nous entretenons aussi une relation étroite avec les Américains et tous les pays impliqués dans la crise libyenne.

 

️Regrettez-vous que les Etats-Unis n’aient plus le même intérêt pour le monde arabe ?

Les Etats-Unis étaient hypermondialistes. Ils sont devenus isolationnistes. Le président Donald Trump a été élu pour cela. Nous respectons son point de vue. Mais le système de gestion politique américain et sa projection dans l’avenir ne s’incarnent pas forcément dans les dirigeants du moment. Il est transpartisan. Les Etats-Unis restent une grande puissance, une voix à l’ONU. Ils ont une vision géostratégique globale, s’intéressent à l’Afrique et au monde arabe, même si ce n’est plus avec la même intensité. La politique étrangère est souvent le corollaire de la situation intérieure. Il ne faut pas oublier l’impact de la crise financière de 2008-2009 puis de cette nouvelle crise sanitaire et économique. Toutes les puissances ont revu à la baisse leurs ambitions.

 

️Comment jugez-vous le comportement de la Turquie en Libye, autre sujet de la discussion avec le président Macron ?

La Libye nous a aidés pendant la guerre de libération en accueillant sur son sol des moudjahidin. Il est de notre devoir de lui porter secours. Cela peut déplaire aux pays qui agissent au nom de leurs intérêts économiques. Le jeu de gagne-terrain militaire n’est pas la solution. Nous travaillons sérieusement à la pacification de ce pays avec lequel nous partageons certaines communautés tribales. L’Algérie est prête à accueillir sur son sol des pourparlers sous l’égide des Nations-Unies. Nous avons reçu les représentants des deux pôles belligérants et les chefs des tribus puissantes. Les Libyens veulent la paix. Toutes les solutions mises en œuvre depuis 2011 ont échoué. Il faut travailler à une nouvelle feuille de route menant à des élections apaisées d’ici deux à trois ans, sous la supervision de l’ONU et d’un gouvernement de transition issu d’un consensus national.