HABITAT-
VILLAGE- STORA (SKIKDA)
© par Emile Ledermann , 1935 (Extraits)
Cette
ravissante baie dont le grand axe est long de 4 kilomètres et le petit de 2,
est une de celles qui furent certainement des plus fréquentées de l'Afrique du
Nord romaine. Les Phéniciens qui, les premiers se réfugièrent dans ses eaux si
calmes, la dédièrent à Vénus : ASTARTE, ASTOREH ou ASTORA, peut-être aussi
parce que les navigateurs venaient également d'un port portant le même nom,
assez répandu à cette époque.La Bible mentionne, en effet, quelques ports
identiques créés par les Phéniciens.
ASTORA,
servit de base au trafic avec l'interland et c'est ce qui explique pourquoi les
Romains consacrèrent également RUSICADE à Vénus, d'autant plus, que cette
déesse était considérée comme la protectrice de la famille impériale régnante.
Stora devint un faubourg de la ville neuve dont les historiens parlent
exclusivement par la suite
Plus tard lorsque Rusicade disparaît ,le nom de Stora revient alors dans les
récits des voyageurs et des historiens.
Le géographe
arabe Edrissi signale MERS ESTORA comme port sur la côte de Numidie.
Au XVIe
siècle l'Espagnol Marmol écrit qu'ESTORE est une ancienne ville à quatorze
lieues de COL (Collo) du côté du Levant dans le golfe d'Estore et de Numidie,
ajoutant que Ptolémée donne à ce port le nom de RUSICADE. Léon l'Africain, un
Maure de Grenade, l'appelle SUCAYDA. Au XVIIe siècle Gramaye, explorateur, le
médecin hollandais Olivier Dapper citent SUCAYDA, tandis que Peysonnel parle de
STORAS ancienne Rusicade et le Dr Shaw, anglais, écrit STORA-SGIGATA.
La petite
cité dont la population vit presque entièrement de la pêche et des industries
s'y rattachant, s'étale au flanc de la montagne qui l'encercle entièrement. Son
port qui connut autrefois la foule des navires venant chercher les produits de
l'Annone prélevé sur les provinces de l'intérieur, pour les transporter à
Ostie, abrite aujourd'hui les barques, les balancelles et les chalutiers les
plus modernes.
Les Romains
ont laissé des traces profondes de leur passage et de leur occupation.
A 116 mètres au-dessus de la mer, sur la route de Stora à Collo, au ruisseau de
la Fontaine ferrugineuse, autrefois l'Oued Chadi (rivière des singes) ils
avaient capté les eaux et construit une piscine de décantation (piscina
Limaria)
Deux bassins
en contrebas, avec vannes de dégorgement existent encore. La conduite descend
pendant 45 mètres et déverse son contenu dans un autre bassin qui reçoit une
autre source, puis continu en pente rapide pendant 135 mètres, traverse un
tumulus dans un tunnel de 50 mètres qui fut restauré par le génie militaire en
1842 et fonctionne encore. A la sortie du tunnel, la canalisation se dirige
vers les citernes toujours en service. Ces citernes sont des types admirables
de la conception romaine en hydraulique. Elles ont 25 mètres de long, 29 de
large et 14m50 de profondeur. L'intérieur est divisé en 6 compartiments
communiquant entre eux, et peuvent contenir 3 750m3 d'eau.
L'extérieur restauré, sans aucun goût, par des maçons modernes, ne donne pas
l'impression de la beauté intérieure du travail romain.
A 160 mètres
de cette grande citerne, à 42 mètres d'altitude, s'en trouve également une
autre au milieu du village. Elle mesure 9m15 de long sur 4m60 de large et 9 de
haut.
La grande
citerne devait être en communication avec cette citerne secondaire, mais la
canalisation n'en a jamais été retrouvée. Par contre, une canalisation partant
de la citerne actuelle, aboutissait à un autre bassin de décantation qui se
déversait directement dans une fontaine monumentale dont on remarquera la voûte
(8m de large et 9m de haut) où les ménagères viennent faire leur provision
d'eau.
Jusqu'en 1840, d'autres citernes étaient également visibles mais servirent
d'assises aux habitations actuelles.
Stora est
donc alimentée en eau potable de la même façon et par les mêmes moyens à peine
restaurés que l'antique cité romaine.
C'est la
seule ville de l'Afrique du Nord qui utilise encore le travail des Romains.
En 1840
existaient les magasins généraux de l'administration de l'Annone. Ils
mesuraient 75 mètres de façade sur la mer et avaient une profondeur allant de 4
à 15 mètres. Ils consistaient en de nombreuses voûtes très élevées. Une
inscription emportée par un Officier et retrouvée au Musée de Toulouse en 1881,
rapprochée d'un fragment de pierre du Musée de Philippeville, a permis de
déterminer que ces magasins ont été construits sous Vanetinien et Valens par "PUBLIUS
CACIONNUS CAECINA ALBINUS, clarissime consulaire à six faisceaux, de la
province de la Numidie Constantinienne, pour la sécurité du peuple romain et
des provinciaux".
L'Annone
était la redevance en nature, l'impôt agricole payé par les provinces de
l'Afrique Proconsulaire, et consistait en céréales, huiles, vins, vinaigre
etc…Rendu à Rome, l'Annone était distribué gratuitement aux citoyens indigents
de la Capitale inscrits sur des tables de bronze, et porteurs d'un ticket : le
TESSERE FRUMENTAIRE. La distribution s'en faisait au portique de Minucius qui
avait 45 portes correspondantes aux 45 quartiers de Rome. L'Annone entretenait
un nombreux personnel, depuis le Préfet commandant en chef de cette armée dans
l'Empire, jusqu'aux commis, surveillants de greniers, mesureurs et portefaix,
hommes libres ou esclaves. Stora était un dépôt centralisateur et devait avoir
un nombre respectable d'employés et d'esclaves. Les bateaux chargés du
transport des denrées de l'Annone étaient parmi les plus imposants de la flotte
commerciale. L'écrivain Lucien décrit l'un d'entre eux, l'Isis, trois mâts de
58 mètres de long, 14 de large et jaugeant 1 375 tonneaux. Stora envoyait les
navires à Ostie et les plus gros à Pouzzoles, ainsi que le relate une
inscription transportée au Musée du Louvre.
L'Annone
était considérée, par le peuple, comme une véritable divinité. Une inscription
retrouvée à Rusicade fait connaître que le citoyen M. AEMILIUS BALLATOR,
bienfaiteur de la cité a fait ériger une statue à l'Annone sacrée.
Stora fut
donc sous la domination romaine un port débordant de vie et de mouvement. Sur
les ruines des magasins sont actuellement construits les bâtiments de la
Douane. Certains immeubles comme celui du Commandant Guillou possèdent encore
des caves aux murs d'une épaisseur formidable, et qui constituaient une partie
des magasins de l'Annone.( ces écrits sont de 1935) Sur le côté gauche de la
grande citerne existait un grand cimetière phénicien. Plus à l'Est se trouvait
la nécropole romaine.Les maisons actuelles sont bâties sur ces nécropoles qui
n'ont pas été sérieusement fouillées.
Pendant la
période de la domination turque, les tribus des montagnes de Stora, étaient
réputées pour leur sauvagerie. Quatre caïds exploitaient, en particulier, les
marchands européens. Elie de la
Primaudaie prétend que les capitaines de navires qui allaient à Stora avaient
ordre d'y séjourner le moins longtemps possible et d'exercer la plus grande
surveillance.
Ils devaient
établir une forte garde sur un des rochers de la baie connu des marchands
européens sous le nom de presqu'île de Bramepau. Il leur était aussi défendu de
s'arrêter à Skikda (Philippeville) et d'y faire leurs chargements. Ils ne
pouvaient stationner que dans le port de Stora. Les barques du navire et
quelques bateaux du pays, loués à cet effet, allaient chercher sur la plage de
Skikda les grains achetés.
Stora n'a
jamais eu de comptoir français. Par contre les Anglais venaient y commercer et
étaient bien accueillis. Les marchands Génois y arrivaient même si nombreux
qu'ils appelaient Stora le port Génois. Le Bey de Constantine les protégeait,
et avait installé des constructions pour les recevoir au sommet de la montagne,
face à l'îlot des singes.
La compagnie
anglaise connue sous le nom de Compagnie des 20 vaisseaux, la TURKEY COMPAGNY
avait obtenu en 1607 grâce à son agent résident à Alger, l'autorisation
d'établir des comptoirs à Stora et à Collo, en concurrence avec les Provençaux
qui avaient ce privilège. Il en résulta de nouvelles réclamations du Consul de
France qui n'eurent pas plus de résultat que les précédentes.Le succès des Anglais
était dû à ce qu'ils fournissaient d'armes et de poudre le Dey d'Alger.
Un capitaine
Français Louis Pascal, a raconté dans une lettre datée de Marseille du 23
novembre 1613, la lutte entre Anglais et Français, à laquelle il avait été
mêlé, pour s'assurer le monopole du commerce sur la côte barbaresque, il
écrivait :
"Il y a 6 ans environ, l'ambassadeur d'Angleterre résidant à cette époque
à Constantinople, était désireux de trouver, dans la mer Méditerranée, un bon
port pour servir de relâche aux bâtiments de sa nation. Il signale à son roi un
lieu situé sur la côte de Barbarie, du nom de ESTORA, qui est désert et
inhabité, et que, sous prétexte d'y établir des pêcheries de corail, on
occuperait de manière à empêcher désormais tout corsaire chrétien d'y aborder.
Le dit
ambassadeur avait remis de grandissimes présents à Sinan, pacha de la mer, pour
être offerts au Grand Turc, afin d'obtenir de lui des lettres patentes
autorisant la création de ces prétendues pêcheries, avec magasins.
Sur ces
entrefaites, arrive la note du Seigneur de Brèves, ambassadeur du roi de France
à Constantinople, lequel avait découvert la malice des Anglais qui
dissimulaient leurs projets afin de prendre possession d'un bon port de refuge
sur la côte barbaresque. Il agit de telle façon, que les diplômes délivrés aux
Anglais furent révoqués et qu'il obtint la même concession pour le compte de la
nation française.
A cette
époque, étant capitaine de navire, j'allais à Constantinople. Le dit sieur de
Brèves me communiqua cette négociation, me chargeant, à mon retour à Marseille,
d'en faire part aux personnes qui me paraîtraient capables d'entreprendre les
pèches, la construction des magasins et le commerce, au dit port de Stora en
leur promettant de leur délivrer les patentes nécessaires pour cela. Aussitôt
un bâtiment de Marseille armé et muni de tout le nécessaire alla à Alger
communiquer les ordres de Constantinople. Tout le divan et la milice se mirent
en révolte, ne voulant entendre parler d'aucune manière de ce projet sur
ESTORA.
Ces chiens,
disaient-ils, en s'établissant sur ce point pour y faire le commerce,
causeraient la ruine d'Alger et de la Barbarie tout entière. Ils ajoutaient :
"Les chrétiens seraient capables de faire à Estora, un fort comme celui
qu'ils ont édifié à Tabarka." En résumé les Français ne purent pas mettre
leur projet à exécution.
J'accomplis
au mois de mars un second voyage moins pour faire du commerce que pour bien
voir le pays et constater l'importance de ce point qui est le meilleur de la
Barbarie.
ESTORA peut
recevoir un grand nombre de galères et de galions, et on peut s'y fortifier
pour l'utilité et le bien de la Chrétienté.
Dans cette
contrée sont de hautes montagnes sur lesquelles on pourrait hisser des canons
pour attaquer ceux qui s'y seraient fortifiés. Les Maures qui habitent n'ont
pas peur des Turcs et ne leur paient aucun impôt.
Les Chekles
de ces Maures m'ont proposé de me donner une carta, m'autorisant d'y construire
une forteresse, ne me demandant pour cela que 300 pièces de ochoréal (pièce de
8) un quintal de poudre et un quintal de plomb par an.
Je leur ai promis tout cela."
La mémoire du
capitaine Louis Pascal est de 1613, les Marseillais pendant un siècle ont lutté
pour conserver leurs droits de pèche.
Les archives
de la Compagnie Royale marseillaise dévoilent que la création d'un comptoir à
Stora avait été envisagée pour combattre la concurrence des Anglais.
En 1774 la
Compagnie chargea le sieur Raynaud qui avait résidé 9 ans à Collo comme agent,
de procéder à une enquête sur place. A son retour il engagea vivement les
Directeurs de donner suite à leur projet. Voici un extrait de son rapport :
"Le pays était plus fertile que les environs de La Calle et sur une plus
grande étendue, le blé qu'on y trouvait était le plus beau de la côte, il rapportait
là 15 à 25 pour un, tandis qu'à La Calle, dans les plus belles récoltes, il ne
donnait que de 15 à 20, la Compagnie pourrait en tirer des quantités
considérables, 15 à 20 000 charges.
Le port était bon, du moins dans la belle saison, meilleur même que celui de
Bône, il pouvait contenir 12 bâtiments à la fois sans danger.
On pourrait construire la maison du comptoir et des magasins tout près de la
mer et sans trop de dépenses, car il y avait là les ruines d'une ville
considérable dont on pourrait utiliser les matériaux et même les murailles.
Le seul
obstacle à redouter est la turbulence des habitants : il y avait, à Stora même,
quatre cheiks rivaux et, dans le voisinage, cinq nations sans cesse en guerre
et qui n'obéissaient guère au Bey de Constantine.
Mais avec l'aide de celui-ci qui y était intéressé, on pourrait faire
reconnaître un cheick unique à Stora et s'entendre avec la nation la plus
puissante.
Pour la sûreté du commerce, il fallait qu'outre la maison, on y forma un fort
avec quelques pièces de canon et 40 ou 50 Turcs… qui seraient sous les ordres
d'un Agha et que ce fort, maison et magasin fussent entourés d'une bonne et
solide muraille…"
Deux autres
mémoires furent encore adressés par M. Raynaud le 20 avril 1775 et le 18
janvier 1777, mais sans résultat. Aucun comptoir ne fut créé à Stora.
Le 8 décembre
1741, un navigateur de la même compagnie avait écrit sur Stora :
"Les bâtiments peuvent y mouiller depuis 20 brasses jusqu'à 5, et c'est
toujours au pied des hautes montagnes de la nation des Bénimenès, avec laquelle
il n'y a aucune sûreté de traiter…
Cette nation
est toujours divisée et en guerre avec celle des Oledmessaoud et les autres
voisines avec qui l'on traite pour l'achat de la denrée qui se mesure
ordinairement sur leur plage, éloignée du mouillage d'une lieue…
Le concours
des Anglais qui y abordent en foule lors de la traite, la rend fastidieuse et
vous met dans le cas de subir la dureté des lois que l'insatiable avidité dicte
aux chefs du pays.
On la
donnerait au contraire, si la Compagnie obtenait du Bey le commerce exclusif.
Le Caffi de
ce pays pèse 11 quintaux, poids de Marseille et revient à 12 piastres dont
trois servent à payer les droits du Bey et des chefs des Oled Messaoud, Oled
Jurma, Oled Dissa, Oled beni Mabuac. Il se recueille aux environs de Stora, une
quantité considérable de cire que les Mahonnais enlèvent en contrebande."
On reconnaît
malgré l'orthographe phonétique employée par ce brave marin, les tribus des
Ouled Messaoud, des Ouled Beni-MeleK, etc, dont les descendants moins
turbulents peuplent encore les hauteurs de Stora. Ils ont appris à connaître
depuis un siècle la civilisation française et s'en trouvent très bien.
Le Moniteur
Algérien parle de Stora bien avant la conquête de la région. Il informe ses
lecteurs que :
"le brick le Cygne stationnaire et le Mussoly, embarcation pontée,
viennent de capturer deux chebecks tunisiens qui, contrairement à l'arrêté du
27 novembre 1834, échangeaient au mouillage de Stora, contre des blés, leur
chargement de sel et probablement aussi de poudre, car tous les bâtiments qui
font le commerce avec les Arabes en sont pourvus. Au moment de cette prise,
plusieurs autres chebecks étaient en vue, ce qui porterait à croire que la
contrebande se fait en cet endroit sur une plus grande échelle qu'on ne l'avait
pensé jusqu'à présent."
Le village de
Stora est peuplé de familles de pécheurs répartis dans les équipages d'un
certain nombre de balancelles, ils passent leur vie en mer et font très souvent
des pèches abondantes.
C'est du reste le poisson qui alimente la principale, sinon la seule, industrie
de Stora.
Cette partie de la côte algérienne, riche en éponges et en coraux, est
fréquentée par d'immenses bancs de sardines et parfois de thons, qui
constituent la richesse de la population du village.
Les barques
entrent au port surchargées de poissons qu'elles déversent ensuite dans les
usines de Stora et de Philippeville ; mais la spécialité des usines de Stora
est la salaison.
Plusieurs
maisons grecques ont des comptoirs au Portugal, à Stora et à Collo.
D'immenses
quantités de poissons sont ainsi salées, soigneusement alignées dans des barils
spéciaux en bois et attendent dans les magasins, l'arrivée de grands cargos qui
les transportent en Grèce où elles sont très appréciées de la population
hellénique.
A
Philippeville, l'industrie est différente et consiste exclusivement dans la
préparation des sardines à l'huile, qui sont ensuite expédiées en boîtes
fermées en France et en Angleterre.
Les sardines
préparées aux tomates, spécialités du pays sont justement renommées et
rivalisent avec les meilleures marques de conserves européennes.
Les
Directeurs des grandes usines Philippevilloises et de Stora se feront un
plaisir de faire visiter en détail leurs ateliers, aux touristes qui le
désireront.
Cette
fabrication toute spéciale est très sérieuse à étudier. Elle mérite d'être vue.
C'est dans la rade de Stora que débarquèrent les troupes venant renforcer les
armées en campagne et les ravitailler en vivres et en munitions.
La baie, qui
n'avait alors que l'abri naturel des montagnes environnantes connut, à cette
époque, le même mouvement qu'au temps des Romains. Malheureusement, quelques
naufrages vinrent attrister le corps d'occupation.
Le plus
émouvant est celui de la Corvette de charge LA MARNE, survenu le 25 janvier
1841, par une violente tempête.
Le vaisseau ayant chassé sur ses ancres fut poussé à la côte et talonna des
roches sous-marines.
Cette
catastrophe maritime fut particulièrement meurtrière : 43 cadavres de matelots
furent retrouvés sur la plage de Stora quelques jours après, et chose curieuse
parmi eux se trouvait le corps du boulanger du bord AHMED BEN SAAD, Biskri.
Ce qui démontre, que, dès les premiers jours de la conquête, l'exode des
indigènes du Sud, avides d'aventures et curieux de voyages, avait commencé et
se continue encore, puisqu'une grande partie des travailleurs des quais est
toujours fournie par des Biskris.
"Le 4
janvier 1841, 31 navires de commerce, nous dit un spectateur de ce désastre,
étaient mouillés à Stora. LA MARNE, corvette de charge et l'ARRACH, balancelle
stationnaire.
La tempête éclate. Le brick français l'ACCELERE est jeté à la côte, mais son
équipage est sauf, de même que l'ADOLPHE qui se perdit à 1 heure du matin.
La tempête continua le 22 et le 23. Tout Stora et Philippeville regardait LA
MARNE lutter contre la tempête. Vers midi, après de nombreux essais pour lancer
des amarres, et après deux heures d'efforts, un câble fut arrimé à bord et
retenu à terre par 500 hommes qui se relayaient. La plupart des marins qui
avaient emprunté le câble pour gagner la plage, furent arrachés par la mer et
se noyèrent. Plusieurs sauveteurs furent également emportés. 100 hommes
restaient sur le pont, puis la mer brisa le navire en trois. Le commandant
GATHIER et un matelot purent atteindre le rivage et furent sauvés.
Un trois mâts russe de 266 tonneaux fut jeté sur les maisons de Stora et
s'enlisa dans le sable de la plage.
Des 31
navires mouillés dans la rade de Stora, 28 dont 10 Français et 4 francisés
avaient péris, 5 bateaux allèges furent brisés. 53 hommes périrent sur les 150
hommes de l'équipage de LA MARNE.
L'Etat major fut réduit au Commandant et à un Enseigne de vaisseau. On ne sut
jamais le nombre d'hommes noyés…"
Les registres
des décès de Philippeville portent à la date du 5 mars 1841 que les cadavres
relevés sur la plage, provenant du naufrage de LA MARNE sont ceux de :
OLIVIER,
matelot, LEGOLF matelot, MASSE maître d'hôtel des officiers, ARENE quartier
maître canonnier, COUDRAY matelot, VIAL maître canonnier, et M. PONIER médecin,
GOHIN boulanger de la corvette, AHMED BEN SAAD BISKRI aide boulanger, deux
autres n'ont pu être identifiés.
Le 1er
février on avait trouvé et identifié :
CARRIERE JEAN matelot, DUCHENNE matelot de cuisine, COUDROYER matelot, LAPORTE
mousse, SERRE capitaine d'armes, ROUERE mousse, SERRE MICHEL mousse, CORDIER
mousse, RENOUX deuxième chef de timonerie, BUTEAU matelot gabier, LANUSSE
matelot : 10 autres sont restés inconnus.
Au début de
janvier 1843, une nouvelle tempête brisait le brick goélette LA SAINTE
CATHERINE et le trois mâts LES 3 FRERES sur les rochers de la plage du Beni
Melek. Tous les hommes furent noyés, sauf le capitaine en second du trois mâts.
Le 8, on
trouvait sur la plage, trois naufragés dont les cadavres ont été reconnus :
BERNEAUD GUILLAUME, 42 ans, capitaine commandant le navire marchand LES 3
FRERES, GIRAUD LOUIS, 25 ans, et ALBIN LOUIS, 27 ans, matelots.
Non loin de
l'établissement de bains et de l'Hôtel Miramar au ravin du lion, se trouvait
jadis un lazaret pour les navires en provenance suspecte.
Au sommet de
la colline, à côté du sentier qui descend sur la plage, existait un petit
cimetière de pestiférés, dont on n'a pu sauver qu'une tombe de la destruction
des bergers indigènes. Une plaque de grès à fleur de terre, envahie par les
touffes de lentisque et de disse sauvage, indique que 3 matelots reposent à cet
endroit. Le passant indifférent ne s'aperçoit même pas de cette sépulture qui
remonte à trois quarts de siècle.
Quelques
objets provenant du naufrage de LA MARNE, et en particulier un petit canon,
sont conservés au Musée de Philippeville. Par temps clair et mer calme, on
aperçoit encore dans le bas-fond de la rade de Stora, ce qui reste du beau
bateau de guerre.
Les destinées
de Stora sont restées modestes. La construction du port de Philippeville a
arrêté le trafic nautique et a vidé la rade de tous les bâtiments qui sont
maintenant par tous les temps en parfaite sécurité.
Stora est
devenue un faubourg de Philippeville. Abritées au creux de la montagne, les
maisons des pécheurs surplombent la mer. Les vieux réparent leurs filets, les
plongent dans d'immenses chaudières où une forte décoction de tannin imprègne
les mailles et les rend imputrescibles. Les femmes sur le seuil des portes
vaquent à leurs occupations ou disent du bien des absents ; les enfants courent
dans les rues, pieds nus, les culottes fendues et déchirées.
C'est un coin pittoresque de Naples transporté sous le soleil algérien.
Les hommes, qui jadis, prenaient les rames pour se rendre sur les lieus de pèche
et trimaient par tous les temps comme des galériens, naviguent maintenant sur
des balancelles à moteur.
La fatigue est en partie supprimée par ce progrès mécanique, mais elle n'en
reste pas moins très grande, car la mer est souvent dure au large et la pèche
se fait au feu pendant la nuit, ou avec de grands filets au lever du jour.
Les marins ne sont pas payés comme les ouvriers ordinaires. Ils sont embarqués
à la part.
L'armateur prélève d'abord deux ou trois parts, plus une part pour le moteur,
l'essence et le filet, le capitaine en conserve une également, et le restant
est partagé par l'équipage.
Lorsque la
pèche est bonne, le matelot gagne largement sa vie. Lorsque la pèche est
maigre, la part ne lui permet même pas de payer les avances faites par l'armateur
ou le patron de la balancelle, et la femme est obligée de s'employer dans les
usines de salaisons pour assurer le pain des enfants.
Aussi pendant
l'hiver où les sorties sont difficiles et rares, beaucoup de pécheurs de Stora
viennent travailler comme dockers sur les quais de Philippeville. Quelques-uns
s'embarquent même sur les chalutiers de pèche, pouvant quitter le port par tous
les temps et sont appointés par mois et non à la part.
Le nombre des barques de pèches diminue ainsi chaque année et le petit port de
Stora n'abrite plus à l'heure actuelle que le quart de barques qui l'animaient
de leurs couleurs vives, il y a dix ans.
Mais dès le
mois de juin, la cité s'anime. Les estiveurs affluent sur les plages réputées,
aux eaux toujours calmes et tièdes, fréquentées par les enfants qui peuvent se
baigner sans danger, à l'abri des grands vents. Durant tout l'été, Stora
devient une cité animée, pleine de rires et de cris joyeux.
Des services
d'autobus et de voitures permettent le transport rapide de tous les baigneurs,
et le nombre des véhicules est si grand qu'à certaines heures il est même
difficile de circuler le long de la Corniche.
Une belle
promenade consiste à monter jusqu'au col d'où l'on embrasse le panorama de la
baie et du port de Philippeville.
Dans la direction de Philippeville, en suivant l'ancienne voie romaine, au
creux du vallon qui constitue le ravin des Corsaires ; (car la légende prétend
que dans cette crique les anciens corsaires barbaresques s'y réfugiaient), on
passe l'oued sur un pont (le pont noir) dont l'arche unique est de construction
romaine. Le parapet seul a été reconstruit. Parmi les pierres détachées fut
trouvée l'inscription suivante :
"SOUS L'EMPEREUR CESAR TRAJAN ADRIEN AUGUSTE, LA REPUBLIQUE DES CIRTEENS A
FAIT CONSTRUIRE A SES FRAIS LES PONTS DE LA VOIE NOUVELLE DE CIRTA A RUSICADEM.
SEXTIUS JULIUS MAJOR ETANT LEGAT D'AUGUSTE, PROTECTEUR DE LA IIIe LEGION
AUGUSTA."
La République
des Cirtéens dont parle l'inscription comprenait quatre villes libres ou
colonies : CIRTA (Constantine), RUSICADE (Philippeville), CHULLU (Collo) et
MILEY (Mila) indépendantes des gouverneurs qui furent presque toujours les
légats de la IIIe Légion Augusta, dont le camp de Lambèse près de Batna raconte
l'histoire glorieuse.
En comparant
les dates du règne de ces légats, le Pont Noir dit également Pont romain,
aurait été construit par les légionnaires en l'an 130.
La route que
l'on suit jusqu'à Philippeville, est donc la "VIA NOVA CIRTA A
RUSICADEM" la voie romaine de Cirta à Rusicade qui fut construite et
terminée sous Hadrien vers 133.
D'après les
inscriptions retrouvées sur différents points de son parcours, elle fut réparée
sous Septime Sevère, sous Caracalla, sous Gordien, sous Philippe l'Arabe, sous
Dèce, sous Treboinen Galle, sous Aurélien, sous Carin, sous Constance Chlore,
sous Constantin et sous les Empereurs Byzantins.
Pavée de
grandes dalles, cette route était encore en exploitation sous les conquérants
arabes, et au VIe siècle, l'écrivain Léon l'Africain écrit que depuis Stora
jusqu'à Constantine se voit un chemin pavé de pierres noires comme on en voit
aucun en Italie, qui sont appelés chemins des Romains.
La colonne du
Maréchal Valée, descendant de Cirta vers le golfe de Stora, put emprunter la
voie romaine qui était intacte sur sa grande partie.
A l'heure
actuelle, encore, aux environs d'El Arrouch, on trouve dans les terres
labourées, les vestiges de cette route.
Depuis Stora
jusqu'à Philippeville les riches citoyens avaient construit de belles et
somptueuses villas, et des tombeaux magnifiques.
La plupart
des villas modernes ont repris l'emplacement cher aux Romains, tout le long de
la côte.
Quelques-unes possèdent des vestiges de l'antiquité et en passant le long de la
route de la Corniche, on peut en voir dans la propriété Blanchet.
Lorsque les
Français arrivèrent à Stora, un officier d'artillerie M. Dellamare put prendre
quelques croquis de ruines romaines importantes. Depuis tout a disparu. Il
suffirait cependant de creuser le sol pour en retrouver les traces.
Une promenade
captivante qu'on ne peut malheureusement parcourir qu'à pieds, est celle qui
part du sommet de Stora par le chemin des Crêtes et de la Redoute des singes,
non loin de la Fontaine ferrugineuse, emprunte un chemin forestier et rejoint
la route d'Aïn Zouit, et Philippeville.
Le parcours
est de 12 kilomètres environ, mais la splendeur du paysage, la beauté sauvage
des sites visités, récompensent largement le touriste de sa fatigue
bienfaisante.
Toujours en
partant du haut de Stora, on emprunte la route de la Grande plage,
particulièrement pittoresque, mais très dangereuse pour les automobilistes
inexpérimentés, par ses tournants, ses pentes rapides, et les précipices
qu'elle longe pendant son parcours.
Le spectacle
de l'arrivée à la grande plage, la richesse du décor de verdure qui surgit
brusquement après dix kilomètres de brousse est saisissant.
Les touristes
recevront le meilleur accueil à la ferme de MM. Jules Grosso et Ramonatxo, et
pourront se rendre compte en la visitant de l'effort de nos col