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Liberté de la presse - Mostefaoui B. 3/5/2020

Date de création: 05-05-2020 18:13
Dernière mise à jour: 05-05-2020 18:13
Lu: 866 fois


COMMUNICATION – ETUDES ET ANALYSES- LIBERTE

DE LA PRESSE- MOSTEFAOUI B. 3/5/2020

 

LIBERTÉ DE LA PRESSE

Liberté de la presse : confinement n’est pas renoncement

©Belkacem Mostefaou , Pr École nationale supérieure de journalisme et des sciences de l’information, Alger  /Liberté, dimanche 3 mai 2020

©Cette année 2020, la Journée mondiale de la liberté de la presse est commémorée sous le thème “Journalisme sans crainte ni complaisance”. Un vaste programme qui interpelle les consciences d’ici et d’ailleurs. En ces temps où, partout dans le monde, les sociétés humaines sont tétanisées par la terreur de la pandémie de Covid-19, l’accès à l’information vérifiée, en principe de droit humain, est vital.     

Or, un faisceau d’actes et de faits administrés ces dernières semaines par les pouvoirs publics de notre pays indiquent objectivement des atteintes aux droits professionnels des journalistes. Ces atteintes nous semblent orchestrées sciemment en profitant du cadre du confinement imposé. Elles participent d’une volonté politique de réduire, de neutraliser, voire d’éradiquer les dynamiques sociales pacifiquement forgées par le Hirak populaire depuis le 22 février 2019.  

Si l’air du temps sanitaire impose à la nation algérienne la règle médicale intangible du confinement pour faire face au terrible virus Covid-19, par contre il ne doit pas rimer avec renoncement aux devoirs premiers des 
médias  : enquêter, témoigner et publier. Les dispositions réglementaires et sécuritaires mises en application ces dernières semaines à l’égard des journalistes et des entreprises médiatiques sont lourdes de conséquences 
négatives quant à l’exercice des métiers du journalisme dans notre pays.

Non pas que les journalistes algériens, femmes et hommes, ne soient pas eux aussi vulnérables face à ce nouvel “ennemi de l’Humanité”, comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS) l’a déclaré, mais dans tous les pays du monde, y compris ces temps-ci, ce qui fonde la plus-value au sein de la production des médias est justement imprimé par les meilleurs reportages et enquêtes sur le carnage infernal et insidieux frappant les sociétés humaines. 

C’est par cette production alliant le savoir-faire de multiplier et de faire se croiser des sources, se documenter, regarder, écouter et assumer sa responsabilité morale et sociale de témoin professionnel que le journaliste inscrit au quotidien son travail face aux temps anxiogènes que nous vivons. Même si ce ne sont que des bribes de connaissances sur des réalités si complexes, cette production vient nourrir le droit à l’information des citoyennes et citoyens. Pour l’esprit, cette connaissance est vitale : les journalistes sont les yeux, la voix et les oreilles de leurs concitoyens confinés. 

Ce travail de “journalisme debout” est par définition d’agenda et de territoire ouverts, libres. Une logique traverse son procès d’élaboration : le confinement bureaucratique le pousse au renoncement. Renoncement au droit de savoir et de faire-savoir. À charge bien sûr pour les éditeurs et les journalistes de se conformer strictement aux règles sanitaires prescrites durant leur travail et les chemins qui y mènent. 

Ce journalisme-là n’est pas forcément en antinomie ni en concurrence avec une communication institutionnelle sanitaire relevant de la gestion des pouvoirs publics. Intelligemment produite, cette communication est à même d’élargir les connaissances de vulgarisation scientifique et, par les usages des langues populaires, de raffermir le lien social autant que l’expression est ouverte aux auditoires.

Débat de société
En ces temps de confinement de la société, nous le constatons, le temps imparti aux usages de l’Internet est démultiplié dans des dimensions formidables. Ce surdimensionnement du temps disponible devient chez de larges franges de la population, et notamment les enfants et les jeunes en congé prolongé, une vacuité ouverte à une fréquentation via les écrans du “tout et n’importe quoi”. L’infinité des possibles accès aux programmes, jeux et loisirs offerts charrie le meilleur et (bien plus souvent) le pire. Le travail du journalisme et de la communication institutionnelle sanitaire peut s’allier en antidote salutaire pour offrir aux citoyens des alternatives d’entendement des réalités libérées du chancre des fake news, terreau d’expansion de charlatanismes anciens et nouveaux et de rumeurs aux conséquences parfois dramatiques. 

Ce sont là des problèmes réels nécessitant un large débat de société avant d’en réguler par le droit les usages. L’adoption récemment de la loi portant révision du code pénal criminalisant la diffusion de fausses nouvelles est aussi l’un de ces actes attestant de la volonté du pouvoir de rogner sur les principes du droit. Il est sain que le Syndicat national des magistrats et le Club des magistrats aient à l’unisson fustigé la précipitation de l’adoption de ce texte de loi.

Ils observent notamment que cette loi constitue “une violation du principe de la légalité criminelle, qui stipule que les comportements punissables doivent être clairement et préalablement définis par la loi pour préserver les libertés et les droits fondamentaux” (Liberté, 29 avril).  Autre source de vraies inquiétudes pour les médias nationaux : elles sont repérables dans les conditions économiques de survie des entreprises éditrices de quotidiens de droit privé.

L’Anep cornaque la manne publicitaire des organismes et entreprises de droit public et collectivités territoriales (70% du volume national). Ses jeux de distribution des ressources financières sont orchestrés en bâton ou carotte de domestication des journaux. la cagnotte de pub des annonceurs de droit privé va continuer de subir des coupes drastiques dues à la récession économique. Dans cette même trame de fond actuelle sont ordonnés des blocages techniques de signaux de sites d’information, l’emprisonnement de journalistes et de dizaines de jeunes militants du hirak s’exprimant via les médias électroniques.

La nouvelle vision à laquelle l’épreuve de ces temps de crise extrême nous appelle est d’aller vers un nouvel échafaudage global de réponses aux attentes multiples du droit à la communication au sein de la société algérienne. Une nouvelle vision qui respecte d’abord les exigences du Hirak populaire dont la sage discipline actuelle de confinement n’est pas tarissement de vigueur de souffle, quoi qu’en pensent certains propagandistes. 

La calamité du système Bouteflika
La première rupture à établir par les pouvoirs publics est celle de ne plus continuer à percevoir le journalisme en simple maillon au service de la communication institutionnelle et à respecter les conventions internationales paraphées par l’État algérien. Aujourd’hui et demain, les actes et faits des gouvernants seront jugés à cette aune et non sur des communiqués plaidoyers pro domo, chroniquement délivrés par les ministres de la Communication depuis l’indépendance. En près de six décennies, nous avons vu comment et à quoi a contribué la  velléité de domestication des médias. 

M. Ammar Belhimer, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, semble encore chevillé aux pratiques anciennes. Pour défendre la mise sous couvre-feu pénalisant le journalisme d’investigation, il soutient que “les journalistes ne peuvent pas constituer une catégorie à part”. Son argumentaire n’est pas en phase avec les exigences qualitatives d’un rédacteur en chef respectueux de son travail. “L’essentiel de l’activité, dit-il, se déroule le jour. Le soir où les villes et les villages sont vides et où tout est fermé, l’intérêt d’effectuer des reportages n’est pas si évident que cela. Le champ des sujets à traiter  paraît réduit.”

L’Algérie a connu “la peste et le choléra” des années 90’ et la calamité du système Bouteflika; elle a survécu et régénéré d’expression citoyenne grâce aussi à une presse qui a refusé la compromission.  Le nationalisme verbeux auquel tentent de nouveau de nous raccrocher les idéologues épigones du FLN n’est pas le patriotisme de conviction et d’action du hirak populaire.

Détruire les ossatures d’une poignée d’entreprises médiatiques nationales de droit privé qui ont résisté vaillamment au système Bouteflika, persévérer à éradiquer tout élan des professionnels à appliquer les fondamentaux du service public dans l’audiovisuel d’État (mis en concurrence avec des télés offshore mercenaires), c’est participer au démantèlement du patrimoine médiatique national. En écrasant les capacités endogènes des médias, les pouvoirs publics renforcent les moyens de pénétration des multinationales de la communication, celles-là mêmes qu’ils taxent par démagogie de “cheval de Troie”, au “soft power pernicieux”. 

Par ces temps de confinement imposant un retrait salutaire de l’espace public physique, il serait simpliste d’y voir un renoncement aux droits et libertés.