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Etude Ue/Génération what.Algérie?-Belkacem Mostefaoui (Pr)

Date de création: 20-04-2019 11:20
Dernière mise à jour: 20-04-2019 11:20
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CULTURE- ÉTUDES ET ANALYSES- ÉTUDE UE/GENERATION WHAT.ALGÉRIE ?-  BELKACEM MOSTEFAOUI (PR)

(c) Mustapha Benfodil/El Watan, jeudi 18 avril 2019

On le voit tous les vendredis et dans toutes les manifs de la semaine : depuis le début du soulèvement pacifique du 22 février, les jeunes sont le cœur battant de la contestation. Ils sont au premier rang des marches, dont beaucoup d’ados, de collégiens et même d’enfants qui font l’apprentissage de la citoyenneté active auprès de leurs parents.

Une étude tombe à point nommé pour mieux saisir justement la «jeunesse DZ» et connaître le regard des jeunes générations sur un certain nombre de sujets, comme la politique, la religion, les relations hommes-femmes, l’argent ou leur vision de la réussite.

Il s’agit d’un rapport réalisé par Belkacem Mostefaoui, sociologue des médias et professeur à l’Ecole supérieure de journalisme d’Alger, dans le sillage d’une enquête financée par l’Union européenne sous le titre générique : Generation What ? «Generation What ? est le plus grand projet transmédia jamais entrepris : dessiner le portrait de la génération des 18-34 ans dans les pays du monde entier», peut-on lire sur le site www.euneighbours.eu de l’Union européenne.

Un programme «Generation What ? Arabic» a été ainsi mis en place et concerne 8 pays du Maghreb et du Moyen-Orient : l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Libye, l’Egypte, le Liban, la Palestine et la Jordanie. «Chaque pays a son site internet, auquel on peut accéder à partir d’un simple URL : arab.generation-what.org.»  Le site web «propose aux jeunes de répondre à une enquête de 167 questions, adaptées aux contextes culturel et politique locaux».

Pour l’Algérie, l’adresse de la plateforme en ligne est : https://dz.generation-what.org/fr/. Les questions posées ont été «écrites avec des sociologues», indique le site officiel de Generation What ? et elles «abordent des sujets fondamentaux : le rapport des 18-34 ans à leur famille, leur société, le travail, l’amour, leur identité nationale et culturelle, au futur, au fait de devenir adulte, et bien d’autres.

La base de données est mise à jour en temps réel. Les données s’affichent sur des cartes interactives, qui permettent de comparer ses réponses à celles des jeunes de son pays, sa région et du monde entier». «La campagne se clôt, précise-t-on, avec la publication d’un rapport sur la jeunesse de chaque pays et un rapport régional, écrits par des sociologues, créant ainsi de nombreux débats qui outrepassent les frontières.»

8,7 millions d’Algériens ont moins de 25 ans

Le rapport élaboré par le sociologue Belkacem Mostefaoui pour «Generation What ? Algérie» est daté de février 2019. Il tombe donc pile avec les manifestations géantes que nous connaissons. Et même si l’enquête a été réalisée avant le début du mouvement de contestation, les réponses fournies par les jeunes sondés résonnent fortement avec l’actualité. A noter que l’échantillon de cette enquête comprend 1438 personnes ayant entre 18 et 34 ans, dont 711 femmes et 727 hommes.

Dans son introduction, le professeur Belkacem Mostefaoui souligne : «Ce rapport prend en compte trois corpus de données : un rappel des connaissances disponibles sur la situation de la jeunesse dans la société algérienne ; la présentation et l’analyse des données recensées par Generation What ? Algérie ; des observations de terrain élaborées sur plusieurs décennies d’immersion dans la société algérienne, ainsi qu’une analyse des médias nationaux, notamment au travers de reportages consacrés à la vie quotidienne des jeunes et des émissions dédiées à la jeunesse.» Il ajoute que «nous disposons avec Generation What ? de données inédites et précieuses pour la connaissance de la situation de la jeunesse actuelle en Algérie. Elles sont les premières du genre à être exploitées».

D’abord, quelques données statistiques. «8,76 millions de personnes ont moins de 25 ans, pour une population de 42,2 millions d’habitants», révèle le chercheur en citant des chiffres de l’ONS (janvier 2018). «Près de 8 millions d’individus fréquentent les cycles du primaire au baccalauréat et un million et demi l’enseignement supérieur. Dans les établissements de l’enseignement supérieur, le pourcentage des filles est d’environ 68%», apprend-on par ailleurs.

«Chômage endémique»

Pour ce qui est de l’accès au marché de l’emploi, le sociologue parle d’un «chômage endémique» qui s’est «considérablement aggravé». «Les niches de résorption du chômage dans le secteur public se sont asséchées, les créations d’emploi sous la houlette de l’investissement privé étranger et national n’ont pu créer le miracle de l’après-rente pétrolière.»

Et de poursuivre : «Les effets du chômage en Algérie sont considérables et dangereux, en particulier pour les franges juvéniles de la société. Précaires, souvent non déclarés à la Sécurité sociale, les nouveaux emplois profilés pour la jeunesse ne font qu’entretenir cette relégation.»

Analysant les chiffres officiels du chômage, Mostefaoui écrit : «Nous observons le poids représenté par les effectifs de jeunes chômeurs : 39,7% chez les hommes et 28,2% chez les femmes. 3,9 fois plus pour les jeunes hommes que les adultes, 3,1 fois plus pour les jeunes femmes que les femmes adultes.» (ONS, septembre 2016).

Le sociologue nous informe dans la foulée que «seuls 18% des plus de 25 ans n’habitent plus chez leurs parents. Un taux renforcé dans les zones urbaines, où ils sont moins de 10% à vivre indépendants». Parmi les questions posées aux jeunes sondés : «Pourrais-tu être heureux sans…» Chacun d’eux devait désigner une chose dont il pourrait se passer, fût-elle, en apparence, essentielle. Parmi les résultats obtenus, «70% de jeunes hommes et 65% de jeunes femmes affirment pouvoir ‘‘être heureux sans vivre en Algérie’’».

Avant le 22 février, partir à tout prix !

Depuis le 22 février, la donne semble néanmoins avoir changé. Il y a une ferveur patriotique rarement observée. Que de fois n’avons-nous entendu des jeunes nous confier : «Je n’avais qu’un plan : ‘‘nahrag’’, maintenant, je veux faire ma vie en Algérie.»

On a vu aussi des dizaines d’Algériens de la diaspora prendre un billet pour Alger juste pour vivre en immersion l’une des grosses manifs du vendredi. Certains d’entre eux n’avaient pour seul bagage qu’un drapeau et une pancarte.

Le sociologue des médias ajoute : «Sont également frappantes les réponses affirmatives à la question :“Peux-tu être heureux sans recevoir ni infos ni actualité ?” : hommes 64%, et femmes 62%.

On pourrait y voir une réaction logique aux matraquages propagandistes en cours dans l’espace médiatique national, plus qu’une indifférence que rien dans l’enquête ne vient corroborer.» Cette étude nous apprend aussi qu’«un tiers des jeunes hommes (32%) affirment pouvoir être heureux sans croyances religieuses. Un quart des jeunes filles (25%) partagent le même sentiment».

En outre, 36% de garçons et 30% de filles ont déclaré «pouvoir être heureux sans fonder une famille». A la question : «Pour toi, réussir sa vie, c’est avant tout…», le sociologue synthétise les réponses recueillies en disant : «La jeunesse algérienne est coupée en quatre blocs qui ne dessinent pas une tendance majoritaire.

La richesse, l’argent, la condition sociale sont le gage d’une vie réussie pour à peine un jeune homme sur cinq (21%) et une jeune femme sur neuf (12%). C’est un noyau dur non négligeable, mais qui signifie que pour 8 jeunes hommes sur 10 et 9 jeunes femmes sur 10, l’argent et la richesse ne conditionnent pas la réussite.

Certainement, cette génération ne s’inscrit pas dans le modèle “success man” ou “executive woman”. Ils sont un tiers, à quasi- parité (femmes 33%, hommes 35%) à affirmer que la réussite c’est être heureux au jour le jour, même sans travail ni famille.»

Autre question fondamentale : la parité. «La question vise à mesurer la perception qu’ont les jeunes des inégalités de genre, et non pas la réalité de ces inégalités», précise l’auteur du rapport en signalant que «l’Algérie est classée au 120e rang mondial pour l’égalité des revenus entre hommes et femmes». «Ils sont 48% à affirmer que l’Algérie n’est pas loin de l’égalité hommes-femmes. Les jeunes femmes, elles, en ont nettement plus conscience : elles sont deux tiers à affirmer qu’on est “encore loin” de cette égalité», relève-t-il.

Recul de l’emprise islamiste

L’un des thèmes majeurs abordés dans cette enquête portait sur la place du religieux dans la cité. D’après Mostefaoui, deux tiers des jeunes interrogés sont contre l’interférence des religieux dans la vie politique. La répartition des réponses par genre donne 63% pour les filles et 67% côté garçons. «La question est évidemment très sensible en Algérie, avoue le sociologue, mais deux jeunes sur trois (…) sont opposés à l’irruption des religieux dans la politique.

Cela est à rapprocher des différents indices de sécularisation, de tolérance et de bienveillance sur les libertés individuelles, assez loin des tableaux inquiétants sur l’emprise islamiste : très majoritairement, la jeunesse algérienne approuve la séparation de la religion et de l’Etat.» Et d’expliquer : «La jeunesse algérienne veut mettre très majoritairement à distance le religieux dans l’espace politique. Rappelons qu’en 1991 (…), le FIS avait réuni 44% des voix au premier tour.

Une page a été définitivement tournée, même si un gros tiers de la jeunesse reste désireuse de voir les religieux intervenir dans la vie politique du pays.» On a sondé également les personnes composant ce panel sur l’image qu’elles se faisaient de la consommation d’alcool. «L’alcool reste un produit décrié par la jeunesse algérienne.

Moins d’un jeune sur cinq (18%) ose dire qu’il en consomme par plaisir, et moins d’une jeune femme sur dix (9%)», détaille le rapport. «50% des jeunes hommes et 60% des jeunes filles trouvent que l’alcool est “contraire à leurs valeurs”», indique le même document.

Très peu de confiance dans les institutions publiques

Un volet de cette étude a trait au degré de confiance dans les institutions publiques ou «l’indicateur de défiance institutionnelle». «Cet indicateur est un thermomètre important : syndicats, police, armée, justice, médias, institutions religieuses, scolaires et ONG forment le système structurant les sociétés modernes.

Un indicateur où la confiance est élevée signifie que la majorité de la jeunesse est en paix avec le système régalien et les corps intermédiaires du pays : un signe de bonne santé globale.

A l’inverse, un indicateur de faible confiance est le signe d’une fracture entre la jeunesse d’un pays et son système global», écrit Belkacem Mostefaoui. Et de livrer quelques chiffres édifiants : «La jeunesse algérienne a très peu confiance en ses institutions : seuls 17% des jeunes femmes et 13% des jeunes hommes leur accordent cette confiance», assure-t-il.

C’est l’ANP qui capitalise le plus de confiance avec un taux d’opinions favorables de 62%. «Seule l’armée, avec tout juste 38% de défiance, reste perçue très majoritairement comme inspirant de la confiance.

Bien qu’étant le pivot de la vie politique et économique du pays, l’armée est d’abord vécue par les jeunes comme l’institution qui garantit leur sécurité collective, celle qui a tenu bon pendant la guerre civile, l’institution où tous les jeunes hommes vont passer 18 mois de leur vie…», décrypte le sociologue. A l’autre bout du classement, les médias sont crédités seulement de 13% de confiance.

La politique partisane peu attractive

A la question : «T’es-tu déjà engagé(e) dans une organisation politique ?» Belkacem Mostefaoui rapporte que «57% des jeunes hommes et 68% des jeunes femmes» affirment ne pas être intéressés par l’idée de «s’engager dans une organisation politique». «7% des garçons, 3% des filles répondent l’avoir déjà fait, mais ne le feront plus.» «C’est le lot de la déception plus que le rejet en soi de la politique», constate le sociologue.

«Malgré les conditions d’exercice de la politique en Algérie, 4 jeunes hommes sur 10 (et 3 femmes sur 10) se sont déjà engagés, s’engagent ou pourraient s’engager dans une organisation politique. Cela montre un réel intérêt pour la chose publique. Une force est là, qui ne demande qu’à s’exprimer

Enfin, cette enquête met en lumière l’émergence d’une véritable conscience écologique chez nos jeunes. Ainsi, à la question : «En cas de conflit entre le développement économique de ton pays et l’environnement, que privilégies-tu ?» une bonne majorité des jeunes sondés donne la priorité à la protection de l’environnement. «Bien que confrontée à un chômage de masse, la jeunesse algérienne a massivement pris conscience des désastres écologiques en cours sur la planète, au point de privilégier la protection de l’environnement sur le développement économique.

Ils sont 60%, toutes catégories confondues, à l’assumer», souligne le professeur Mostefaoui, avant de faire remarquer : «C’est sans doute la plus grande mutation observable dans cette étude, celle qu’on n’attendait pas forcément, et qui met la jeunesse algérienne au diapason de la jeunesse du monde.»