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Communication politique- Entretien A.Rouadjia/El Watan magazine

Date de création: 29-10-2018 17:54
Dernière mise à jour: 29-10-2018 17:54
Lu: 1166 fois


VIE POLITIQUE- ENQUETES ET REPORTAGES – COMMUNICATION POLITIQUE- ENTRETIEN A. ROUADJIA/EL WATAN MAGAZINE

 

Ahmed Rouadjia.Professeur d’histoire et de sociologie politique. Université de M’sila

«Rares sont nos hommes politiques qui savent enchaîner un discours structuré»

Photo : D. R.

 (c) Par Amel Blidi/ El Watan MAGAZINE, Jeudi  11 OCTOBRE 2018

 

Q : Jamais la scène politique algérienne n’a connu un tel foisonnement de déclarations à l’emporte-pièce. Peut-on parler d’un  «dévergondage du langage politique» ?

R : Qui dit dévergondage, dit écart de conduite et de langage subversif contre l’ordre établi. Le dévergondage peut être aussi un genre littéraire destiné à prendre le contre-pied de la morale dominante, officielle ou populaire.

Or, Je n’ai pas relevé pour ma part, chez les dirigeants algériens, de propos empreints de «dévergondage» au sens que je viens de définir, mais je relève cependant chez eux des plaisanteries de mauvais aloi et des phrases lancées à la cantonade en manière de traits d’esprit mais qui n’en sont point.

Certains d’entre eux essaient d’imiter les paroles et les gestes des grands orateurs de ce monde, mais en vain. Car ils sont cruellement démunis de culture générale pour pouvoir séduire, convaincre ou tenir en haleine leur auditoire populaire qui se montre souvent plus fin, plus goguenard et plus «dévergondé» qu’eux, non au sens vulgaire du mot, mais au sens humoristique…

Leur dévergondage politique, s’il y a, consiste en une inflation verbale insipide ou en propos maladroits ou prétentieux. Rares sont nos hommes politiques qui savent, en effet, enchaîner un discours bien structuré, cohérent et lisible pour la grande masse…

Faux puritains, intellectuellement constipés du fait qu’ils soient pétris dès la prime enfance de tabous et d’interdits «islamiques» et coincés par la censure et l’autocensure politique héritées de leurs aînés, nos dirigeants actuels ne sauraient être réputés «dévergondés» au sens défini ci-dessus…

:  Les petites phrases et les bourdes de nos responsables semblent départir la scène politique de son sérieux. Participent-elles à détourner les jeunes (et les Algériens en général) de la chose politique ?

R : Là encore, «les petites phrases et les bourdes» prononcées par certains de nos responsables en quelques occasions ne sauraient tenir lieu d’une stratégie politique cohérente, concertée et visant une praxis, ni un moyen visant sciemment à détourner la jeunesse algérienne de la politique.

Ces formules (phrases et bourdes), lancées à l’improviste et comme un effet de mode de la part de leurs auteurs en panne d’imagination et de projection, s’interprètent comme des jeux de mots destinés avant tout à divertir et à s’auto-divertir.

Ils se veulent des effets «de manche», des effets d’annonce politiques destinés à affecter la posture d’hommes d’Etat pénétrés de sens d’humour, de dialogue et de communication avec le peuple que pourtant ils méprisent secrètement…

Les jeunes Algériens n’ont pas besoin de ces formules à l’emporte-pièce, creuses et inopérantes d’ailleurs, pour se détourner de la politique.

Dépolitisés depuis belle lurette par la langue de bois et par l’indigence de la culture et de la science dispensées par l’école algérienne, ils ne rêvent que d’une chose : quitter en masse la mère-patrie pour rejoindre l’eldorado occidental…

Faire grand cas de ce «dévergondage» politique de nos dirigeants et de leurs petites «phrases et bourdes» infatuées, c’est croire ou faire croire qu’ils ont une claire conscience de leur conduite politique, c’est leur prêter une vision clairvoyante du monde et de l’avenir de la nation et de sa jeunesse à l’avenir incertain…

:  Cette cacophonie peut-elle faire diversion afin d’éviter les sujets qui fâchent et détourner l’attention des questions de l’heure ?

R : La cacophonie ne se réduit pas aux formules vides de sens déjà citées. Celle-ci est générale et affecte tous les secteurs de la vie culturelle, politique et économique.

Le chômage, le rêve de l’ailleurs d’une jeunesse désorientée, sans perspectives, l’économie informelle, l’idéologie dite islamique et ses conséquences néfastes sur la représentation du monde, la compétition à fronts renversés que se livrent les partis politiques, les accusations mutuelles de «trahison», les petits coups d’Etat menés en coulisse, l’absence du Président sur la scène politique, les folles rumeurs qui circulent à son propos, les nouvelles contradictoires toujours enflées à propos de son état de santé, telles sont au pluriel les cacophonies qui empêchent d’éclaircir les horizons qui s’assombrissent de plus en plus, faute de débats et de transparence dans la gestion tant politique qu’économique du pays.

Les politiques n’ont donc pas besoin ni de débattre et justifier leur conduite tant ils sont désignés et non élus démocratiquement, ni faire «diversion» en détournant l’attention sur les sujets qui «fâchent» dans la mesure où la diversion est objectivement imposée par les contraintes qu’on vient d’énumérer.

De même, il est inutile de parler des sujets qui «fâchent» tant le débat n’existe pas et tant l’attention de tous est focalisée sur les inquiétudes que suscitent la santé stationnaire du Président et l’immobilisme politique des dirigeants dont l’attentisme aggravent l’inaction politique…

:  A votre avis, s’agit-il d’un drame politique ou d’un vaudeville ? Faut-il en rire ou en pleurer ?

R : C’est plutôt un drame politique, qui incite plus à l’indignation et à la désolation qu’au rire sarcastique et aux larmes… Qui dit drame politique, dit sclérose du système politique algérien dont tous les organes ou presque sont ankylosés.

Le second terme vaudeville, qui connaîtrait plutôt un sens positif renvoyant à une comédie de situations, à l’instar d’un roman littéraire, ne s’applique point à l’Algérie affligée qu’elle est de tristesse et de frustrations de toutes sortes en dépit des potentialités humaines et matérielles inépuisables qu’elle recèle.

La faute de cet état de choses déplorables incombe évidemment à ce «système politique» imperméable au dialogue et à la rationalité et dont l’opacité échappe aux meilleurs experts en analyse politique. Bien malin qui oserait dire ce qui se trame exactement dans ses coulisses !