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Terrorisme- Communication gouvernementale- France

Date de création: 19-06-2018 11:58
Dernière mise à jour: 19-06-2018 11:58
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DEFENSE-ENQUETES ET REPORTAGES- TERRORISME- COMMUNICATION GOUVERNEMENTALE–FRANCE


Terrorisme : quand le Gouvernement (et les médias) banalisent la menace © Mediapart (Club/Blogs). Extraits , 11 juin 2016
Application "alerte attentat", sensibilisation sur comment réagir en cas d'attaque terroriste... Avec l'aide des médias et de l'économie du numérique, le Gouvernement met en place une multitude de dispositifs censés sécuriser la population. Mais comment faire le tri entre communication et information dans ce flot et surtout, comment être sûr que ces dispositifs ne nourrissent pas la psychose ?

À la suite des attentats du 13 novembre 2015, le gouvernement a lancé une vaste campagne de sensibilisation pour informer sur la marche à suivre en cas d'attaque terroriste. À la manière des fascicules qui détaillent les consignes de sécurité dans les avions, les services communication de Matignon et de la place Beauvau ont produit des affiches explicatives et des modules vidéos ludiques sur le site internet du gouvernement et sur les réseaux sociaux. L'espace de diffusion de cette pédagogie du risque s'est encore élargi lorsque les médias sont entrés dans le jeu. La presse a volontiers servi de porte-voix aux campagnes de sensibilisation (ou de communication ?) pilotées par le gouvernement de Manuel Valls, leur donnant une visibilité encore plus grande. Avec l'euro 2016, le saut sécuritaire du gouvernement a encore crû, lorsqu'une application pour smartphone « alerte attentat » a été lancé, installant pour de bon la menace terroriste dans la poche des Français.
On peut se demander si cette démarche sécuritaire co-produite par le politique, le médiatique et le numérique est réellement efficace ou si au contraire, elle n'amplifie pas le sentiment d'insécurité, faisant alors le jeu des terroristes.
Euro 2016 et sécurité : quand le divertissement appelle l'Etat policier
Sur fond de menace terroriste et de tension sociale, la sécurité est une préoccupation majeure des autorités pendant l'Euro 2016. Le Ministère de l'Intérieur a fait grand bruit lorsque la veille de l'ouverture de la compétition, il à posté sur Twitter un encart qui détaille les précautions à observer aux abords des stades, particulièrement celle qui stipule qu'il ne faut pas parler politique :
Du jamais vu jusqu'alors, le règlement de l'UEFA relayé par le Ministère de l'Intérieur interdit les discussions politiques pire encore, les met sur le même plan que les insultes xénophobes ou les injures raciales.
On se demande alors si le divertissement ne va pas de pair avec l'Etat policier, au motif de sécurité, celle-ci prenant alors définitivement le pas sur la liberté.
Le gouvernement a sorti les grands moyens : mobilisation totale des forces policière et militaire autour des stades et des fan zones,c'est au total 90 000 personnes qui assurent la sécurité pendant la manifestation (policiers, CRS, militaires, gendarmes, démineurs, GIGN, protection civile etc...). Par ailleurs, l'État a aussi déboursé près de 8 millions d'euros pour l'installation d'un réseau de vidéoprotection tentaculaire.1
Principe de précaution ou délire sécuritaire, en tout cas on observe une relation incestueuse entre divertissement, sécurité et terrorisme.
Pour l'Euro 2016, le gouvernement a également lancé une application nommée « SAIP » (pour système d’alerte et d’information des populations), qui envoie des notifications aux utilisateurs en cas d’événement majeur : suspicion d’attentat ou accident de sécurité civile (accident nucléaire...). L’utilisateur a la possibilité de relayer les messages d’alerte sur les réseaux sociaux. L’application délivre aussi des conseils de comportements selon la zone où l’individus se trouve. Dans un article paru le 8 juin 2016 sur le site internet LeMonde.fr, on peut lire que ce projet d'application a été « présenté mardi 7 juin par le ministère de l’intérieur, en partenariat avec le SIG (service d'information du gouvernement) [...] ».2


Information ou communication ?
Le développement de cette application, comme beaucoup des autres dispositifs de ce genre mis en place par le gouvernement, est en fait sous l'autorité directe du Premier Ministre. Sur le site internet du SIG, on se rend compte que, malgré la mention « information » dans le sigle du service, celui-ci recouvre une mission toute autre : informer et communiquer... sur l'action du Premier Ministre et du gouvernement :
On est alors en droit de se demander si les contenus produis par ce service relèvent de l'information, ou plutôt de la communication.
Numéros verts pour dénoncer d'éventuels candidats au djihad, campagnes de prévention sur la radicalisation, dispositifs de sensibilisation sur la propagande djihadiste, applications, autant d'outils distribués par le gouvernement pour lutter contre la radicalisation et le terrorisme. Cet arsenal numérique à la disposition de l'Etat fonctionne comme un complément utile aux grandes législations conçues pour endiguer le terrorisme, mais aussi comme point d'appui pour communiquer sur le fait terroriste et les solutions qu'on lui administre. Ainsi, le gouvernement communique un message sécuritaire en même temps qu'il publicise et légitime son action :
Twitter, avec « #stopdjihadisme » ou « #lesgestesquisauvent », Facebook avec ses posts « réagir en cas d'attaque terroriste », la télévision, avec la diffusion de clips de contre-propagande, et plus largement internet, avec des publications sur le site du gouvernement ou sur les plate-formes dédiées comme « stop-djihadisme.gouv.fr ».
Médias : proxys dans la guerre contre le terrorisme ?
Inspiré par la signalétique des dépliants qui donnent les consignes de sécurité dans les avions ou par la RATP et ses encarts « attentifs ensemble » qui invitent à la « vigilance » et à « traquer tout comportement suspect », le gouvernement reprend les codes et les formats de la prévention (incendie, transports en commun, transporteurs aériens, sécurité routière...) mais dans le domaine de la menace terroriste. On se souvient que, dans le cadre du projet « stop-djihadisme », le gouvernement nous avait déjà gratifié d'infographies qui aidaient à déceler les « signes » d'une radicalisation en train de se faire. Lors de cette première livraison sur la radicalisation, les médias avaient émis des réserves quant à sa diffusion. Elle date de janvier 2015 et se présente comme suit :
Depuis les premiers attentats de janvier, les médias ouvrent désormais grands leurs supports pour diffuser et promouvoir les campagnes chocs du gouvernement : Depuis 2015, des clips qui démontent la propagande djihadiste circulent sur les réseaux sociaux ou sont incrustés comme publicité au début des vidéos Youtube tandis que de grands médias publics (France Télévisions), mais aussi privés (TF1, TV5 Monde, Facebook, Dailymotion, la chaîne de cinéma UGC, Orange ainsi que des quotidiens ou hebdomadaires nationaux) font passer le message.
Mobilisation totale dans cette guerre aux terroristes, quand l'intégralité des titres français consacrent au moins un article, parfois plus, à la diffusion et à la promotion des modules vidéos ou images déployées initialement par le gouvernement.
Dans un « effort de guerre médiatique » très volontariste, les médias ne se sont pas fait prier pour relayer le message sécuritaire du gouvernement. Sous l'état d'urgence, les précautions d'usage en temps normal pour limiter les liaisons dangereuses entre politique et médias sautent, consacrant une convergence assumée entre le contenu médiatique et la ligne politique du gouvernement, dans une union dictée par des motifs de sûreté.
Cette porosité entre le discours de l'Etat et le fil médiatique traduit un alignement tout aussi fort dans les manières d'appréhender la menace terroriste : comme un événement désormais plus si exceptionnel.
"Vivre avec le terrorisme" : quand le gouvernement et les médias normalisent la menace
Comme le dispositif « stop-djihadisme » déployé par le gouvernement depuis janvier 2015, cette pédagogie du risque, si elle peut éventuellement préparer les citoyens à des réactions adéquates en cas de radicalisation ou d'attentat, peut aussi se doubler d'un effet indésirable : la banalisation et la routinisation de la possibilité d'actes terroristes sur le sol français et par extension, la validation des mécaniques de guerre revendiquées par les terroristes et leurs commanditaires.
« Vivre avec la menace », ça pourrait être le leitmotiv de l'Etat et des médias, qui, depuis le début de l'état d'urgence, relayent avec zèle et dans une posture très volontariste, les messages sécuritaires du gouvernement et donc ses manières d'évaluer la menace, sans autre forme d'analyse critique. Les médias, en acceptant de jouer le rôle de point de distribution de masse des messages de prévention, amplifient la diffusion de la parole de l'Etat. Au lieu de donner à voir une volonté d’éradication du terrorisme, du moins transmettre l'idée aux citoyens que cette menace peut mais encore doit être anéantie, l'Etat, de concert avec les grands médias, proposent une lecture toute autre, qui inscrit de manière pérenne le fait terroriste dans la vie des Français. « Vivre avec », ou comment s’accommoder du danger constant. Sciemment ou non, les médias et le gouvernement participent à l'instauration d'un climat de peur mais surtout fabrique une tolérance accrue à la menace et une normalisation de la possibilité de l'acte terroriste.
Dans ce cadrage spécifique opéré par le gouvernement et les médias, on ne cherche pas à se défaire de la menace mais plutôt, on veut habituer l'opinion à vivre avec. On ne cherche pas à prévenir la crise mais simplement à la gérer.
Non loin de faire retomber la pression et de favoriser une digestion collective des événements, ces campagnes ainsi que les relais qu'elles trouvent dans la presse, signent la reconduction systématique d'un climat de peur en élément du quotidien ordinaire. En banalisant la menace, le politique comme le médiatique l'amplifient.
Le 17 février 2016, 20 Minutes se fait le porte-voix de Manuel Valls :

« Le plus inquiétant est sans doute cette conclusion : «face à la menace terroriste, soyez toujours vigilant». Concrètement, il est conseillé, à chaque fois que l'on rentre dans un lieu public de repérer les issues de secours et de surveiller les comportements suspects. Manuel Valls avait prévenu en effet que la France était sous le coup d'une menace terroriste qui allait durer dans le temps et il a prévenu lors de son déplacement en Europe qu'une nouvel attentat d'envergure en Europe était probable ».1
***
Le gouvernement et les médias partagent un postulat de départ : Il ne faudrait pas considérer les événements tragiques passés comme des épisodes extraordinaires ou comme des « méga-faits divers » mais plutôt comme les symptômes d'une menace permanente et désormais ancrée dans la société française : l'attentat terroriste.
Entre applications, notices, messages et clips, l'entrée fracassante de l'Etat dans le tout-numérique se traduit par la mise en place de dispositifs qui tendent à rendre le terrorisme banal.
En relayant les contenus sécuritaires du gouvernement, sans autre forme de recul ou de critique, les médias deviennent des proxys dans la guerre au terrorisme mais surtout, ils lubrifient la reproduction d'un climat anxiogène. En routinisant la possibilité d'attentats, le gouvernement et avec lui une une bonne partie des médias, font le jeu des terroristes et accentuent le « sentiment d'insécurité », si utile aux trois parties.
Références bibliographiques :


1LeParisien.fr : http://www.leparisien.fr/faits-divers/attaque-terroriste-les-bons-reflexes-expliques-dans-une-video-du-gouvernement-16-02-2016-5551627.php
1LeParisien.fr : http://www.leparisien.fr/faits-divers/attaque-terroriste-les-bons-reflexes-expliques-dans-une-video-du-gouvernement-16-02-2016-5551627.php
1Voir l'article de La Tribune ici : http://www.latribune.fr/economie/france/la-securite-l-enjeu-numero-1-de-l-euro-2016-577995.html
2http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/06/08/pour-l-euro-le-gouvernement-lance-une-application-alerte-attentat_4942782_3224.html
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