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Langue- Langue maternelle- Entretien - Taleb Ibrahimi Khaoula/Tsa

Date de création: 17-06-2018 14:00
Dernière mise à jour: 17-06-2018 14:00
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EDUCATION – ENQUETES ET REPORTAGES- LANGUE- LANGUE MATERNELLE- ENTRETIEN - TALEB IBRAHIMI KHAOULA/TSA

« À travers la langue maternelle, on transmet des valeurs et un imaginaire » www.tsa-algerie.com, mercredi 5 août 2015 | Par Hadjer Guenanfa Khaoula Taleb Ibrahimi, linguiste et professeure à l’Université d’Alger. Linguiste et professeure à l’Université d’Alger, Khaoula Taleb Ibrahimi est l’auteur d’une thèse de doctorat intitulée « Les Algériens et leur(s) langue(s) ». Dans cet entretien, elle revient sur le débat que suscite l’introduction du dialectal à l’école.

Que pensez-vous de l’introduction de la langue maternelle à l’école ?

Je pense qu’il faut revenir aux racines de la question. Depuis des années, un certain nombre de spécialistes des sciences du langage ont commencé à appeler ceux qui sont en charge de l’éducation nationale à prendre en compte le background de l’enfant dans l’enseignement de la première langue de l’école qui est l’arabe. L’enfant a passé les premières années de sa vie à acquérir sa ou ses langues maternelles. Quand il rentre à l’école, il sait déjà parler, raconter des histoires et jouer. Or, nous avons constaté depuis les années 1970 que l’école se voulait en rupture avec ce passé langagier. Depuis l’indépendance, on a pensé, et d’une manière têtue, que le rôle de l’école est de corriger la langue de l’enfant. Ce qui constitue une aberration à la fois pédagogique et didactique parce qu’il y a des répercussions psychologiques, cognitives qui font sentir à l’enfant qu’il est face à deux modèles : celui de sa maman et celui de sa maîtresse. Il est dans le choc avec le modèle linguistique qu’on veut lui imposer et le modèle d’apprentissage. Cela peut créer des problèmes de dysfonctionnement par exemple. Cela pose également des problèmes de perte de repères. Après, on va chercher après des repères partout et on peut aller vers des absolus religieux, linguistiques, culturels où l’individu pense trouver des solutions à son mal-être. Le débat ne date donc pas d’aujourd’hui… Nous l’avions jamais fait d’une manière officielle dans un symposium. Mais à chaque fois que nous rencontrions des responsables du ministère de l’Éducation nationale, nous les alertions. Nous avons eu à faire des recherches avec eux sur le terrain quand ils nous sollicitaient à différentes périodes. Il a fallu faire un travail de conscientisation têtu en disant : attention ! Il ne faut pas oublier que l’enfant vient avec quelque chose et on n’a pas à dire si c’est correct ou incorrect. Nous savons très bien que le rôle de l’école est d’apprendre une norme qui nous sert à écrire et lire et qui permet une intercompréhension de tous les arabophones. Je ne demande pas qu’on enseigne en dialectal ou qu’on enseigne le dialectal. Cela ne veut rien dire. La langue arabe peut être enseignée d’une manière tout à fait normale à l’enfant en se fondant sur son acquis. C’est-à-dire : la langue maternelle devient un levier pour l’accès à la langue écrite qu’on va apprendre à l’école. L’introduction de la langue maternelle en préscolaire est-elle une nécessité ? C’est une évidence didactique et pédagogique. Il ne s’agit pas d’enseigner la langue maternelle de manière formelle comme on enseignerait la langue arabe de l’école. L’intervention de la langue maternelle est là pour faciliter l’apprentissage et pour permettre à l’enfant de se familiariser au début avec ce nouveau code linguistique qu’on lui enseigne. À travers la langue maternelle, on transmet des valeurs et un imaginaire. Et cela, il ne faut pas le gommer mais faire en sorte qu’il soit réutilisé pour l’apprentissage. Dans l’école traditionnelle, on ne parlait pas la langue maternelle, mais on introduisait l’enfant dans l’autre monde de manière beaucoup plus souple. Aujourd’hui, le préscolaire est la parfaite passerelle, quand il sera, nous l’espérons, très vite généralisé.

Comment expliquez-vous cette polémique suscitée par l’introduction du dialectal au préscolaire ?

L’Algérie indépendante n’a toujours pas réglé un certain nombre de problèmes. C’est-à-dire qu’elle n’est toujours pas arrivée à un consensus qui permet la construction d’un vivre-ensemble évitant ce genre de polémiques. Politiquement, on a fait des choix qui nous ont menés à un certain nombre de dysfonctionnements et je dirais même à la violence. À partir du moment où on a opté pour le dogme de l’unique (parti unique, langue unique), on a fait comme si la diversité n’existait pas. Or, l’unité se fait aussi avec la diversité. Il ne s’agit pas de fondre tout le monde dans le même moule. Il a fallu un long combat pour faire entendre la revendication culturaliste berbère alors qu’on aurait pu éviter le drame en reconnaissant tamazight comme composante de l’Algérie et de son identité. Une identité n’est pas quelque chose de figée. Elle se construit continuellement car, elle est le produit de ce que nous sommes à chaque fois que nous évoluons.

Une stratégie qui a eu des conséquences désastreuses ?

Bien sûr ! On a cassé la transmission et les gens ont intériorisé l’idée qu’on parlait mal. Cela étant dit, l’histoire du pays et les soubresauts du mouvement national ont expliqué, en partie, les positions radicales que le pouvoir algérien avait prises par rapport à ces questions-là. Quand vous parlez de langue, vous parlez d’histoire, de mémoire, de religion, de culture. Par peur de la division, de la fitna, il fallait absolument que nous soyons un et semblables. Notre histoire et le choc colonial ont fait qu’on s’est arcbouté sur des positions qui ont fait de nous des intégristes de la langue. Quand on parle de notre rapport à la langue, on entend souvent cette phrase : les Algériens sont des analphabètes trilingues… C’est à la fois vrai et faux. Cela est vrai puisque nous recevons des générations d’étudiants qui maîtrisent mal les deux langues d’enseignement, l’arabe et le français. Et à la limite, je dirai que ce n’est même pas une question de maîtrise de langue mais une question de maîtrise de langage. Ayant été fondée sur la mémoire et sur la restitution, le modèle de l’école ne leur a pas permis de développer les capacités cognitives qui leur permettent d’écrire et de lire d’une manière réfléchie et rationnelle. Cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas intelligents. Quand on les mets dans un environnement qui leur permette d’avancer, d’apprendre les compétences fondamentales, ils s’en sortent comme tout autre enfant dans le monde. En même temps, il est faux de dire que ce sont des analphabètes trilingues parce que depuis l’indépendance, il y a eu une avancée dans la maîtrise de la langue arabe. La massification de la scolarisation a permis l’accès à la langue. Ce qui fait que les générations actuelles sont beaucoup plus arabisées que les générations de l’indépendance. Dire qu’elles sont complètement analphabètes, c’est aller vite en besogne parce qu’ils ne le sont pas. Comment vous voyez ces emprunts qu’on constate dans les discussions et les débats où les phrases commence parfois par des mots en arabe et se termine par des mots en français avec des mots en berbère au milieu ? Ce sont des phénomènes tout à fait normaux du contact des langues et qui ont existé depuis la nuit du temps. Dans le Coran, il y a des mots étrangers. Des mots du persan ou du grec qui ont été arabisés.

Il n’y a rien de négatif dans ces emprunts ?

En tant que scientifique, je ne parle pas en termes de positif et de négatif. Pour moi, ce sont des phénomènes à décrire et à expliquer. Mais pourquoi je verrais en ces emprunts quelque chose de négative quand ils sont utilisés pour des stratégies d’optimisation de la communication. Par contre, ils peuvent révéler des problèmes de non-maîtrise de la langue.

Le dialecte algérien peut-il devenir une langue ?

On n’en sait rien. Tout ce qu’on sait c’est que les dialectes arabes contemporains sont le résultat d’une évolution à partir des anciens parlers arabes. Cela dit, toutes les langues sont au départ un dialecte. Toute langue s’est construite de la même manière : un dialecte que parle un peuple et qui, pour des raisons politiques, religieuse, économiques et donc des histoires de dominations symboliques, devient une langue reconnue.