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Mesureur d'eau- Béni Abbès

Date de création: 17-06-2018 09:28
Dernière mise à jour: 17-06-2018 09:28
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HYDRAULIQUE –IRRIGATION- MESUREUR D’EAU- BENI ABBES


Outre le raï et la distillation de roses et fleurs dont les dossiers ont été déposés pour leur classement, en mars 2016,à l'Unesco par l'Algérie, il y a le métier de «mesureur d'eau» qui représente un savoir-faire ancestral de gestion de l'eau dans le sud algérien, savoir-faire comprenant des calculs de rationnement complexes - et qui devrait aussi faire partie du patrimoine mondial de l'humanité.

En attendant cette distinction, présentation de l'opération «Tighira», très répandue en milieu ksourien et particulièrement à Béni Abbès. Dans l'institution de «Tighira», opération propre au milieu saharien en matière de gestion traditionnelle de l'eau, il y a lieu de souligner l'emplacement de la bassine et du bol qui servaient à mesurer les parts d'eau destinées à leurs bénéficiaires respectifs : ils sont installés dans le voisinage immédiat de la mosquée, devant la porte même qui donne sur la rue élargie en petite place, en face des degrés de la terrasse d'où l'aveugle faisait proclamer les changements de tour d'eau. Ce sont, en outre, les appels à la prière qui marquaient les moments du jour sur quoi se réglait le mesurage. Partager l'eau apparait ainsi comme une opération qui, depuis des siècles, se déroulait à proximité du sacré et, si l'on peut dire, en suivait le rythme.
On notera ensuite que «Tighira» ne fonctionne de nos jours que de fin mars à fin octobre, c'est-à-dire à l'époque de la canicule. Cette restriction dans l'usage traditionnel résulte de l'accroissement du débit de la source, consécutif aux travaux de captage et de canalisation. La «Tighira» proprement dite, c'est-à-dire le bol de cuivre percé d'un trou, se remplit en 15 minutes : c'est l'unité de mesure ; il faut neuf tighira pour un «rajel», mot à mot «homme» (part d'un homme). Et il y a cinq rajels dans une «nouba» (tour d'eau) qui représente l'écoulement de la séguia pendant 12 heures : donc deux noubas par 24 heures, une de jour, une de nuit. Chacune des quatre fractions de Béni Abbès possède 10 noubas réparties entre les membres de la fraction ; ce qui fait en tout 40 noubas, dont la somme totale a été, à une époque donnée, augmentée d'une unité pour que l'échéance de la part individuelle tombe pour le propriétaire tantôt de jour, tantôt de nuit. Deux faits attirent l'attention : d'une part, il apparaît qu'à Béni Abbès, comme ailleurs souvent au Maghreb, apparaît le chiffre fatidique de quarante ; d'autre part, il s'avère, à l'examen attentif, que ce système de partage ingénieux, d'apparence si rigoureux, est le plus souvent théorique. Dans la pratique, on a constaté que des 96 tighira qui sont mesurées en 24 heures, il n'y en a que 80 à être réparties à des bénéficiaires bien identifiés, les 16 restantes appartenant au dernier bénéficiaire de la journée ; il s'en fallait d'ailleurs que les 40 parts soient immuables. Depuis l'institution du système, beaucoup ont été vendues, échangées, morcelées. L'aveugle préposé à la répartition de l'eau attribuait les parts suivant une nomenclature récitée dans un ordre fixé par la tradition, qu'il savait par cœur, comme d'ailleurs tous les ksouriens. Les noms qui la composent remontent à une période ancienne : il s'agit de noms de propriétaires d'eau antérieurs, ou encore de noms de jardins qui, mutés en noms de parts, deviennent ou sont complètement dépersonnalisés.
La tradition ksourienne dit que la 41e part représente la part supplémentaire qu'un juif, Bou'Amra, fit instituer pour faire alterner les échéances diurnes et nocturnes. À présent, le morcellement des parts apparaît quand on interroge les ksouriens sur l'attribution de fait des tours d'eau. Celle-ci, en l'absence du préposé aveugle (qui, après sa mort, n'a pas été remplacé), est à présent basée sur le roulement horaire, que tous les habitants de Béni Abbès connaissent implicitement.
© Kamel Bouslama/El Moudjahid, jeudi 1 septembre 2016