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Internet- Réseaux sociaux

Date de création: 14-06-2018 11:34
Dernière mise à jour: 14-06-2018 11:34
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INFORMATIQUE- ETUDES ET ANALYSES- INTERNET- RESEAUX SOCIAUX


Réseaux sociaux et “contenu subversif”/ Monsieur le ministre ne soyez pas “simpliste” et “complotiste” © La rédaction/ www.algerie-focus.com , 28 octobre 2015
Monsieur le ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi.
Nous vous adressons cette lettre ouverte afin de susciter un débat entre vous et nous et entre vous et les internautes. Vous venez de porter une grave accusation contre eux. Il est de notre devoir d’apporter notre témoignage et nous le faisons bien volontiers avec la déférence qui sied à votre rang et le respect qui vous est dû au titre de vos fonctions gouvernementales.
Vous avez prononcé récemment (ndlr : lundi 26 octobre 2015) dans l’enceinte prestigieuse de l’université d’Oxford, à l’occasion de la conférence de la fondation koweitienne “Al Babtain”, un discours dans lequel vous avez réservé votre colère à une nébuleuse communément dénommée « réseaux sociaux ». Permettez-nous de vous faire observer d’emblée et sans vouloir être triviaux, que la victime de votre courroux a décidément bon dos. Car, à lire votre appel à la communauté internationale à “réagir aux atteintes à la stabilité des pays et à la souveraineté des Etats” véhiculées par les réseaux sociaux, on en conclut que tous nos malheurs viendraient de ces réseaux sociaux. Permettez-nous, monsieur le ministre, d’objecter que votre déduction est à première vue un peu simpliste, mais surtout globalisante Elle nous fait croire que vous accréditez, vous aussi, la thèse d’une internationale complotiste et subversive.

Fort bien ! Mais alors, qui sont-ils, ces réseaux sociaux ? Où trouveraient-ils cette énergie et ces moyens pour menacer « la stabilité des pays et la souveraineté des Etats » ?

Une expression de la démocratie
Il est communément admis que les internautes qui animent les réseaux sociaux proviennent de milieux divers. Ils peuvent être sincères ou sous influence, lâches ou provocateurs, agitateurs ou suivistes, activistes ou réactionnaires ; bref ils sont à l’image du monde dans lequel ils vivent ; à savoir une société assez jeune dans l’ensemble, jalouse de sa liberté d’expression et en abusant souvent – on vous le concède – pour faire parfois dans l’outrance et la provocation, et se cachant derrière le confort de noms d’emprunt ou de la lâcheté de l’anonymat. Il n’empêche qu’ils sont, qu’on le veuille ou non, l’expression de la démocratie directe, même si celle-ci ressemble souvent à de la caricature et même s’ils sont eux-mêmes inclassables, difficiles à identifier et sociologiquement indéfinissables.
Rassurez-vous, monsieur le ministre, nous n’aborderons pas avec vous la question culturelle en Algérie car, venant trop tard aux affaires, vous ne pouvez répondre du vide abyssal que vos prédécesseurs vous ont laissé ni du délabrement culturel qui donne des cauchemars à tous ceux qui connaissent la richesse de notre histoire et la diversité de nos talents.
En revanche nous avons choisi de nous situer dans le prisme algérien pour répondre à certaines des préoccupations que vous avez évoquées dans votre discours. Les réseaux sociaux algériens, aussi actifs soient-ils, n’ont, à notre connaissance, ni le niveau de mobilisation militante ni une idéologie aboutie pour se lancer dans une quelconque entreprise de subversion ou de déstabilisation de nos institutions. Le penser, c’est douter de la compétence de nos services et de leur capacité à assurer la protection et la défense de notre pays. Hormis les critiques récurrentes et souvent motivées de la mauvaise gouvernance, ou les commentaires parfois désobligeants consécutifs aux extravagances qu’ils constatent ou qu’on leur rapporte quotidiennement, le « ras-le bol » de ces jeunes exprime essentiellement la mal-vie, l’avenir bouché, l’absence de perspective et surtout le sentiment d’une immense injustice qu’ils subissent quotidiennement. Internet leur permet certes de voyager et de rêver sans bourse délier. Mais diable ! Ne leur faisons pas le reproche de souhaiter prendre leur part, aux côtés des jeunes des autres pays, à la marche du monde. Alors, bien évidemment, devant le vide qu’on leur propose, ils essaient avec la maladresse de la jeunesse, la faiblesse de leur éducation et leur absence de culture, de faire bonne figure et de prendre leur place dans le débat, à la mesure de leurs moyens.
Nous avons dit absence d’éducation et de culture et à ce propos, ils sont victimes, nous sommes responsables et vous êtes coupables.
Leur prêter des « ambitions stratégiques et une politique planifiée de déstabilisation des Etats et d’atteinte à leurs souverainetés », relève plus de la paranoïa que de conclusions scientifiquement prouvées. Le deuxième point fort de votre intervention concerne la mise en garde contre les “dangers” véhiculés par les contenus de réseaux sociaux qui visent à “radicaliser” et “entraîner” la jeunesse sur la voie de la “violence” et du “terrorisme” grâce au Web. Vos mots sont graves et terrifiants. En somme, vous déplorez le dévoiement d’une invention extraordinaire de l’intelligence humaine. Internet a toujours été considéré comme un instrument de libération de l’intelligence humaine et la clé pour accéder à un monde de connaissance et de progrès infini. Comme toutes les inventions humaines, il a ses défauts de ses qualités. Ni Pierre et Marie Curie, ni Oppenheimer n’ont jamais voulu de bombe atomique. Et donc si les internautes utilisent le web comme une arme, pour « radicaliser la jeunesse et l’entraîner sur la voie de la violence et du terrorisme », c’est parce qu’ils disposent d’un outil de leur époque et qu’il présente l’avantage d’être accessible, bon marché et d’utilisation facile. A moins d’en interdire l’accès ou de mettre en place tout un attirail technique et un arsenal législatif, on voit mal comment se prémunir de manière sûre contre ce genre de dérives. La seule démarche pour éviter de pervertir Internet, c’est de créer les meilleures conditions possibles de la libre expression démocratique et du débat ouvert sans risque de fichages par la police ni de représailles.

La petite Croatie fait mieux que le Monde Arabe

Troisième point enfin qui dénote un courage incontestable de votre part : celui de pointer la “faiblesse” de la contribution arabe dans le contenu global d’Internet estimée à seulement 3% dont une “part importante”, dites-vous, est composée de publications de nature “subversive” et de “discours radical”. Vous déplorez que le déficit de la contribution arabe dans les échanges internationaux soit d’un niveau aussi lamentable. Etes-vous surpris, déçu, scandalisé ou effarouché ? Ou tout à la fois probablement, puisque vous savez que nous en sommes les uniques responsables. Ou alors seriez-vous tenu par vos obligations ministérielles qui vous obligent à une certaine réserve et qui vous empêchent de livrer le fond de votre pensée ? Vous nous permettrez dans ce cas de rappeler à nos compatriotes et aux Arabes en général, que la contribution de la langue arabe dans la diffusion de la pensée a complètement disparu depuis l’effondrement de Beyrouth, du Caire, de Damas, de Bagdad et accessoirement de la Tunisie. L’Académie arabe est en total état d’hibernation. On n’a plus inventé aucun néologisme et afin de fixer les idées rappelons-nous, à titre de comparaison, que la Croatie (4 millions et demi d’habitants a traduit en Croate trois fois plus d’ouvrages que le monde arabe, cent fois plus nombreux (400 millions d’habitants), toutes publications confondues. Les internautes arabes sont les premières victimes de ce désastre culturel et non l’inverse.

Notre propos n’étant ni d’enfoncer des portes ouvertes ni de hurler avec la meute, mais de formuler des critiques constructives et de traduire sans risque de les trahir, les aspirations de notre jeunesse, nous nous permettons de proposer à votre sagacité et dans une totale franchise un ensemble d’observations et de suggestions. A l’actif de nos internautes, il faut leur reconnaître leur rôle de sentinelle, de vigile et d’alerte. Sans eux nous n‘aurions pas été correctement informés des émeutes meurtrières du M’zab, des cas d’interrogatoires musclés, des malversations, de la dilapidation de l’argent public. Sans les internautes arabes il n’y aurait pas eu de changement radical en Tunisie, ni de Meydan Ettahrir, entre autres.

Faites confiance à votre jeunesse

D’aucuns reprochent aux internautes algériens leur faible niveau d’éducation, leur manque de formation politique, leur absence du sens de l’analyse politique. Mais soyons sérieux un instant. Dans tous les pays du monde, la relève politique se prépare à l’université, dans les syndicats étudiants et ouvriers et dans les partis démocratiques qui jouent leurs rôles d’incubateurs. Sauf chez nous bien évidemment où nous sommes passés maîtres dans l’art de la momification des espèces et de la gériatrie révolutionnaire. Alors cherchez l’erreur, cherchez l’anomalie, désignez les responsables, mais de grâce, ne tirez pas sur des jeunes qui ne demandent qu’à apprendre et qu’à vivre, comme tous les jeunes du monde. Enfin sachez, monsieur le ministre, que notre pays a une jeunesse formidable qui a droit à l’accès au savoir et au progrès et qu’il faut la laisser construire son destin. Nous n’avons aucune raison de ne pas lui faire confiance. Et en attendant, soyez convaincu, monsieur le ministre, de la sincérité de nos propos et de notre foi inébranlable en notre génie propre et en notre avenir.