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Bouteflika- Alilat/Jeune Afrique février 2016

Date de création: 10-06-2018 15:22
Dernière mise à jour: 10-06-2018 15:22
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VIE POLITIQUE – ENQUETES ET REPORTAGES- BOUTEFLIKA- ALILAT/JEUNE AFRIQUE FEVRIER 2016

Algérie : comment gouverne vraiment Bouteflika © Par Farid Alilat/Jeune Afriqyue, lundi 1 février 2016 On le dit malade et affaibli, voire incapable d'exercer pleinement ses fonctions. Qu'en est-il réellement ? Enquête exclusive dans les coulisses du pouvoir. Station balnéaire du Club des pins, sur le littoral ouest d’Alger, lundi 28 avril 2014. Abdelaziz Bouteflika, réélu une semaine plus tôt pour un quatrième mandat, quitte la tribune après avoir prêté serment devant les hauts responsables de l’État, les membres du gouvernement et le corps diplomatique. Dans l’une des salles du Palais des nations, il s’entretient en aparté avec Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT). Opposante au verbe haut, jamais avare de critiques à l’égard du gouvernement, cette « dame de fer » a pourtant l’oreille du président. Durant une quarantaine de minutes, ils passent en revue divers sujets. Louisa Hanoune décline l’invite à rejoindre le gouvernement d’Abdelmalek Sellal, demande au chef de l’État, dont le nouveau mandat commence officiellement ce jour-là, de faire un geste symbolique en prononçant la dissolution de l’Assemblée nationale issue des élections de mai 2012. Surtout, elle dénonce les attaques du secrétaire général du FLN, Amar Saadani, contre le général Mohamed Mediène, dit Toufik, patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), qui sera finalement limogé en septembre 2015. D’une voix à peine audible, Bouteflika évoque ses projets pour les cinq ans à venir, s’inquiète du moral de ses compatriotes, avant de glisser à son interlocutrice, à propos de ses collaborateurs, cette phrase qui aura plus tard une grande résonance médiatique : « Ils me mentent, chuchote le président. Ils me ramènent de faux rapports. » Pendant une année et demie, Louisa Hanoune se gardera de faire état publiquement de la confidence de Bouteflika. Mais en novembre 2015, elle décide de sortir de son silence lorsque la présidence de la République oppose une fin de non-recevoir à la demande d’audience qu’elle avait introduite avec un groupe de plusieurs personnalités afin de s’assurer que le chef de l’État exerce réellement ses prérogatives en toute connaissance de cause. Depuis, un débat enflammé agite les états-majors politiques, les médias, les réseaux sociaux et même les chancelleries étrangères accréditées à Alger. Des pouvoirs parallèles ont-ils usurpé les prérogatives du président ? La santé fragile du chef de l’État constitue-t-elle un handicap rédhibitoire pour gérer les affaires du pays ? Bref, est-ce bien le président élu qui dirige l’Algérie ? Un président physiquement très faible Bouteflika, 79 ans en mars prochain, donne l’image d’un homme au-dessus des tumultes qui agitent la scène politique. On le dit malade, lui murmure qu’il va beaucoup mieux. Des rumeurs fantaisistes le disent mourant, il réapparaît deux minutes au journal télévisé aux côtés du diplomate Lakhdar Brahimi ou d’Ahmed Gaïd Salah, son vice-ministre de la Défense. Son bulletin de santé ? C’est le secret le mieux gardé de la République. À preuve, la résidence de Zeralda, où il s’est installé dès juillet 2013 après quatre-vingts jours d’hospitalisation à Paris à la suite d’un accident vasculaire cérébral, est aussi bien protégée que Fort Knox. Depuis l’incident qui a impliqué, en juillet 2015, un lieutenant de la garde présidentielle et coûté leur poste à deux généraux, la sécurité autour du compound a été considérablement renforcée. Dans cette résidence bordée par un parc forestier et dotée de toutes les commodités, Zhor, ancienne sage-femme et sœur du président, ne quitte pas son grand frère d’une semelle. Sur place, une équipe médicale veille sur lui vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Des médecins chinois, dont un acupuncteur, viennent régulièrement pour superviser sa rééducation, alors qu’une esthéticienne est aux petits soins, particulièrement avant les audiences présidentielles. Si ce patient qui aime à prendre l’air marin sur les balcons de sa résidence a quelque peu retrouvé la mobilité de ses deux bras, la paralysie qui affecte ses membres inférieurs l’oblige à travailler dans un fauteuil. Sa voix est devenue si faible qu’il porte un micro discrètement attaché à sa joue droite et relié à des haut-parleurs. Pour des raisons liées davantage à un manque de confidentialité qu’à la qualité des soins, le recours aux services de l’hôpital militaire d’Aïn Naadja, sur les hauteurs d’Alger, est aujourd’hui proscrit. Il se rend aussi, en toute discrétion, à Genève, où un avion, mis à sa disposition par des amis émiratis, l’attend pour gagner notamment l’Allemagne et y suivre des traitements Pour les contrôles médicaux de routine, le président se rend donc à Grenoble, dans le sud-est de la France, dans la clinique où officie Jacques Monségu, son fidèle cardiologue depuis une dizaine d’années. Pour étouffer les rumeurs – en mai 2013, deux journaux qui avaient annoncé que Bouteflika avait sombré dans un coma profond ont été interdits -, la présidence prend désormais le soin de communiquer, a minima bien sûr, sur ses brèves escapades médicales. Mais la France n’est pas le seul pays où le président se rend pour traiter ses ennuis de santé. Accompagné seulement d’un garde du corps, il se rend aussi, en toute discrétion, à Genève, où un avion, mis à sa disposition par des amis émiratis, l’attend pour gagner notamment l’Allemagne et y suivre des traitements. Si les handicaps physiques l’obligent à garder le fauteuil, il est intellectuellement aussi alerte qu’au début de sa présidence, en 1999. « Il a une mémoire d’éléphant », dit de lui l’une de ses anciennes ministres. Selon les jours, Bouteflika peut se montrer très prolixe, au point de surprendre ses visiteurs. « Il se souvient de certains faits et détails qui remontent aux années 1960, confie un ambassadeur occidental. Son cerveau fonctionne bien, même si le président peut parfois sembler détaché, hagard ou le regard tourné vers l’intérieur. » Un diplomate français qualifie de « stratosphérique » la discussion entre Bouteflika et François Hollande lors de la visite éclair de ce dernier à Alger, en juin 2015. « Le président peut tenir quatre à cinq heures pendant un Conseil des ministres, témoigne un membre du gouvernement. Je n’ai pas de doute sur ses capacités intellectuelles. On ne peut tout de même pas lui demander d’avoir, à l’approche de ses 80 ans, la force de Barack Obama ! » Une communication sous contrôle Il reçoit, donc il dirige. Les partisans du raïs aiment à faire croire que les audiences qu’il accorde à ses partenaires étrangers sont autant de preuves qu’il jouit de toutes ses facultés, qu’il assume pleinement ses fonctions ou qu’il n’est pas isolé sur le plan international. Simples rendez-vous protocolaires dans d’autres contrées, elles servent de preuves pour démentir les supputations sur les absences prolongées du président ou sur la dégradation de sa santé. Exercice obligé pour certains visiteurs étrangers, ces audiences peuvent être fastidieuses. Les hôtes doivent patienter dans le salon d’honneur avant d’être reçus. « L’attente peut durer longtemps, assure un représentant diplomatique à Alger. Le Premier ministre d’un pays de la rive nord de la Méditerranée a dû patienter deux heures pour être reçu deux minutes. » Les journalistes ne sont pas admis, alors que le travail des photographes est étroitement cadré. Lors de la visite de Hollande, une seule caméra de France 2 a été autorisée à filmer pendant quarante secondes avant que le caméraman soit prié de quitter les lieux. « Quand la journaliste a insisté pour tourner encore d’autres images, le protocole présidentiel a coupé la lumière dans la salle », se souvient un responsable qui accompagnait Hollande. Moins les journalistes en savent, mieux on gardera le secret sur l’état de santé réel du président. Mais pour l’opposition et une partie de l’opinion, ces audiences lassent. « Bouteflika ne s’est plus adressé directement à son peuple depuis mai 2012, il ne voyage plus et tient trois Conseils des ministres par an, note un opposant. Pour donner l’illusion qu’il dirige encore, on le montre pendant deux minutes au JT. Et même là, il ne s’exprime pas. C’est la fonction présidentielle qui est déconsidérée. » Zeralda, siège quasi officiel de la présidence C’est à partir de cette résidence de Zeralda, transformée en siège quasi officiel de la présidence, que Bouteflika gère les affaires du pays. Autour de lui, un cercle très restreint de collaborateurs. Ayant totalement déserté ses bureaux au palais d’El-Mouradia, le président s’appuie donc sur trois hommes dont la fidélité et le dévouement n’ont jamais été pris à défaut : Logbi Habba, secrétaire général de la présidence, le « soldat serviteur » Ahmed Ouyahia, directeur de cabinet à la présidence, et Mohamed Rougab, secrétaire particulier. À ses trois sherpas s’ajoute Benamor Zerhouni, la plume du président. Depuis son AVC, en 2013, ce dernier ne s’adresse à ses compatriotes que par lettres interposées. Du coup, le poids de Zerhouni s’est accru. « Il est souvent au bout du fil avec le président, qui lui voue une confiance aveugle, affirme l’un de ses amis. Le fait que tous les deux soient de Tlemcen n’est pas étranger à cette complicité. » Comment Bouteflika travaille-t-il avec son Premier ministre, Abdelmalek Sellal, qu’on dit las et désenchanté ? Si les deux hommes sont en contact permanent, ils se voient peu. « Bouteflika se réunit rarement avec ses Premiers ministres, reconnaît l’un de ses anciens collaborateurs. Les longs tête-à-tête l’ennuient souverainement. Il privilégie le portable. Il donne ses instructions, recadre ses ministres ou s’enquiert de l’avancement des dossiers par téléphone. » Un ancien ministre des Transports se souvient encore d’un coup de fil reçu à 2 heures du matin. « Le président m’a réveillé pour connaître l’avancement des travaux dans un aéroport, raconte-t-il. D’une digression à l’autre, la discussion a duré trois heures, au point qu’avant de raccrocher il avait oublié pourquoi il m’avait appelé. » Bouteflika consulte ses proches, mais rarement, sinon jamais, ses chefs de l’exécutif, observe un initié du sérail Même les nominations ou les limogeages des Premiers ministres sont annoncés aux intéressés par téléphone. Le 23 juin 2008, Abdelaziz Belkhadem a appris son éviction par un coup de fil du secrétaire particulier du président qui lui a demandé de descendre le lendemain au palais du gouvernement pour faire la passation de consignes avec Ahmed Ouyahia. En 2014, Sellal a reçu la liste de son nouveau gouvernement par fax, avant de renvoyer le même document au chef du DRS, qui apprendra inopinément l’arrivée de trois nouveaux ministres, à l’Intérieur, aux Finances et à l’Énergie. « Comme tous ses prédécesseurs, Sellal n’a pas été associé à la formation de son équipe, observe un initié du sérail. Bouteflika consulte ses proches, mais rarement, sinon jamais, ses chefs de l’exécutif. » Deux ex- avouent avoir reçu des mains du président la liste complète de leur gouvernement sans pouvoir ajouter ou biffer un seul nom. « Bouteflika vous dira : « Travaillez avec cette équipe quelques mois, ensuite vous pourrez nommer vos hommes », raconte un ex-ministre. Sauf qu’il ne vous donnera jamais l’occasion de le faire. » Le recours au téléphone est encore plus systématique maintenant que le président s’est installé durablement à Zeralda. Les maillons forts de l’entourage de Bouteflika Il est un homme qui constitue un autre rouage important de ce cercle présidentiel : Ahmed Gaïd Salah, vice-ministre de la Défense et chef d’état-major de l’armée. « Bouteflika le convoque régulièrement pour se coordonner avec lui avant de prendre des décisions majeures », avance un bon connaisseur du « système ». C’est peu dire que l’imposant patron de l’armée, qui rêve d’un destin national, est d’un soutien sans faille. Avant de soutenir le quatrième mandat de Bouteflika, Gaïd Salah l’avait d’abord protégé contre les opposants, qui réclamaient à cor et à cri l’application de l’article 88 de la Constitution, lequel prévoit la destitution du président en cas de maladie grave. Entre les deux hommes, le compagnonnage a commencé au début du deuxième quinquennat. « Bouteflika a récupéré Gaïd Salah en 2004 en lui mettant sous les yeux un document dans lequel l’ex-patron du DRS, Mohamed Mediène, préconisait de le mettre à la retraite, explique un ancien gradé. Depuis, Gaïd lui jure fidélité. Pour démanteler le DRS et limoger son patron, le président s’est largement appuyé sur lui en exploitant l’animosité entre les deux généraux. L’état-major a d’ailleurs été renforcé en récupérant certaines directions qui relevaient du DRS. » Grâce au dévouement de Gaïd Salah, Bouteflika a désormais la haute main sur l’armée, à l’endroit de laquelle il nourrissait tant de suspicion. Mais le maillon le plus fort autour duquel s’articule ce cercle n’est autre que Saïd Bouteflika, 58 ans, frère cadet et conseiller spécial à la présidence. Universitaire dans une autre vie, l’homme a vu son rôle s’étoffer depuis l’hospitalisation de son grand frère, en 2005, pour un ulcère hémorragique. Dix ans plus tard, il passe, à tort ou à raison, pour une sorte de président par procuration. Avec sa sœur Zhor, Saïd est le seul à avoir un accès direct et permanent au président. Certains l’accusent de verrouiller les voies de communication en direction de son frère aîné et de le couper de ses amis. D’autres le soupçonnent de décider au nom du président, de nommer ministres et préfets, voire d’imiter la signature du chef de l’État pour signer des décrets. D’une discrétion absolue, Saïd décline toute demande d’entretien, contribuant ainsi à épaissir le mystère autour de lui. Je ne pense pas que le peuple algérien soit un peuple monarchiste, ni que le moudjahid Bouteflika ait des visions monarchistes, affirme Ouyahia Influence surestimée ? Un ministre qui a récemment quitté le gouvernement jure qu’il n’a jamais constaté la moindre interférence de sa part. « Le président, que je connais, a une très haute idée de ses fonctions, décrypte-t-il. Il ne permettrait pas à son frère de s’immiscer dans ses prérogatives. » Un autre qui a été écarté d’un ministère de souveraineté acquiesce. « Depuis 2001, je n’ai pas eu le moindre contact avec Saïd dans le cadre de mes fonctions, note-t-il. Je suis étonné que l’on dise que c’est lui qui donne des instructions. » Même l’ancien chef du DRS juge en privé que la puissance du frère cadet est exagérée. « Bouteflika ne partagerait jamais le pouvoir, pas même avec le Bon Dieu, ironise l’une de ses connaissances. Il n’empêche que certains prennent des décisions et parlent en son nom. Nous voudrions donc savoir qui dirige la maison Algérie. » La puissance prêtée à Saïd est telle que ce grand timide est suspecté de manœuvrer pour succéder à son frère. Bien sûr, ces rumeurs ont fini par parvenir aux oreilles de ce dernier. Si bien que lors de l’été 2015, il convoque Ahmed Ouyahia. « Si Ahmed, je sais qui a sorti ces rumeurs, lui dit Bouteflika. Je vous demande de les démentir dans la presse. » Aussitôt dit, aussitôt fait. Le 7 juillet, le directeur de cabinet nie les intentions successorales du frère cadet : « Je ne pense pas que le peuple algérien soit un peuple monarchiste, ni que le moudjahid Bouteflika ait des visions monarchistes, corrige Ouyahia. Ceux qui connaissent Saïd Bouteflika savent que ce n’est pas quelqu’un qui est en train de jouer dans cette élection. » Certes, la mise au point a le mérite de dissiper les doutes sur les intentions du frère conseiller, mais elle n’a pas pour autant mis un terme au débat sur le style de gouvernance de Bouteflika. C’est même le président en personne qui a donné à ses opposants une nouvelle occasion de le remettre en question. Lundi 11 janvier, un communiqué de la présidence annonce que le Conseil des ministres approuve l’avant-projet de révision de la nouvelle Constitution. À minuit, une dépêche de l’agence officielle indique que le président a décidé d’amender l’article 51 sur l’interdiction faite aux binationaux d’accéder à de hautes fonctions, alors que ce point n’avait pas été soulevé lors dudit conseil. Louisa Hanoune saisit la balle au bond. « Nous sommes face à une expression claire et officielle du pouvoir parallèle, déclare-t-elle. Nous avons un Conseil des ministres de l’ombre. »