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Cinéma - Afrique du Nord- Tendances - Faycal Metaoui/El Watan Week end

Date de création: 19-07-2014 13:13
Dernière mise à jour: 19-07-2014 13:14
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CULTURE - ETUDES ET ANALYSES- CINEMA - AFRIQUE DU NORD – TENDANCES- FAYCAL METAOUI/EL WATAN WEEK END

Par Facycal Metaoui/El Watan week end, vendredi 18 juillet 2014

Le cinéma maghrébin passe par une nouvelle phase liée aux mutations sociopolitiques dans la région. Les changements politiques majeurs en Libye et en Tunisie laissent des traces dans la démarche artistique des jeunes cinéastes de ces deux pays.

Idem pour le Maroc et l’Algérie où les cinémas posent des questions de plus en plus nombreuses sur la société d’aujourd’hui, ses peurs et ses rêves. En Mauritanie, le cinéma tente de trouver un chemin pour sortir du bricolage et offrir d’autres images sur un pays en éternelle transition-déstabilisation. Lors d’un débat au 2e Festival culturel maghrébin du cinéma d’Alger, début juin, plusieurs cinéastes ont abordé les thématiques qui intéressent le 7e art nord-africain actuel ainsi que l’évolution de l’écriture du scénario.

L’universitaire et scénariste algérien Tahar Boukela a remarqué que le tendance actuelle est de «mélanger» fiction au documentaire. Il a appuyé son propos en citant Le Challat de Tunis, de la Tunisienne Kaouther Ben Hania et de C’est eux les chiens, du Marocain Hicham Lasri. Le cinéaste algérien Belkacem Hadjadj a estimé, pour sa part, qu’il existe actuellement un débat sur la frontière entre le réel et la fiction. Parlant des films vus durant le Festival maghrébin d’Alger, Belkacem Hadjadj a relevé l’existence d’une volonté chez les cinéastes maghrébins de dépasser le réel. «De ne plus se suffire de relever ce qui ne va pas et de donner des leçons sur comment les choses doivent aller. Il y a donc une quête pour dépasser ce qui est lisible et essayer de comprendre ce qu’on ne voit pas, comprendre au-delà de ce que la réalité nous donne comme éclairage», a-t-il expliqué.

D’après lui, cette quête identitaire et historique est permanente dans le cinéma maghrébin. «L’homme est, me semble-t-il, de plus en plus au centre du cinéma du Maghreb. Il devient de plus en plus “le terrain’’ de cette quête. Dans certains films, on prend des personnages réels pour en faire des personnages de cinéma», a-t-il argué. Il a cité également l’exemple de Le Chalat de Tunis qui évoque l’histoire d’un délinquant qui s’attaquait aux femmes avec un couteau ciblant les muscles fessiers. «On fait voyager le spectateur dans des dimensions où on lui donne la liberté de choisir d’autres pistes», a-t-il appuyé.

«Problème majeur»

Belkacem Hadjadj, qui vient de signer le long métrage Fadhma n’Soumer, a noté également que le cinéma maghrébin a toujours fait le constat des choses. «Un constat souvent calqué sur le discours politique. Je crois qu’on est en train de tourner la page de cela et qu’on entre dans autre chose. Le scénario est un problème majeur à tous points de vue, à partir de l’écriture filmique jusqu’à la réalisation. Cela charrie toute une série de questions profondes sur ce que nous devons évoquer dans le cinéma d’aujourd’hui», a-t-il souligné.

Pour le Tunisien Abdelatif Ben Ammar, le cinéaste maghrébin se positionne de plus en plus par rapport aux événements tant sociopolitiques que civilisationnels dans son pays. «Les voix sont donc multiples. Il y a un désir d’utiliser la caméra pour se poser des questions sur le rôle du cinéma et l’apport des cinéastes par rapport au désarroi des peuples. Quel est donc ce degré de citoyenneté du cinéaste par rapport à la société?», s’est-il interrogé.

Selon lui, les cinéastes tunisiens se posent des questions sur le rôle des arts dans un pays en gestation, un pays qui se révolte, qui se recherche après des années de dictature, de fermeture. Le cinéaste marocain Hassan Benjelloun a, de son côté, estimé que la mémoire est toujours présente dans le cinéma du Maghreb. Il a notamment évoqué son propre film La lune rouge et le long métrage du Tunisien Mahmoud Benmahmoud, Le professeur.

«Il est nécessaire de s’intéresser au passé pour pouvoir affronter la mondialisation. Il faut également régler les problèmes liés à ce même passé. Nous avons les problèmes d’aujourd’hui aussi. Nous sommes une société schizophrène, avons besoin d’un médecin pour traiter les maux. Le cinéaste maghrébin ne peut pas rêver, car il est lié aux soucis de la société. Il y a des tabous à casser, des choses à corriger. En fait, le cinéaste maghrébin ne fait que chatouiller la réflexion. Pas plus. On touche un problème, on essaie d’aborder un problème. Il n’y a pas cette prétention de proposer des solutions. C’est déjà quelque chose…», a souligné Hassan Benjelloun, citant en exemple la vague de films traitant de la question de la femme au Maroc.

«Cela était accompagné de livres et d’enquêtes dans la presse, a obligé la société à en parler et le gouvernement à réagir. Le gouvernement a changé les lois sur la femme avec la moudawana (code de la famille, ndlr). Après, il y a eu des films sur les années de plomb. Cela a abouti au lancement de la procédure sur la réconciliation. Je pense donc que le cinéaste maghrébin essaie d’accompagner les préoccupations de la société», a-t-il noté.

Tourner la page

Pour Tahar Boukela, il existe une rupture générationnelle dans le cinéma maghrébin. «Nous avons l’impression que les jeunes cinéastes veulent tourner la page et passer à autre chose. J’ai senti cela dans des films tels que Formatage, du Marocain Mourad El Khaoudi. Un film moderne, rythmé à l’américaine. C’est peut-être une tendance qui se dessine dans le cinéma maghrébin», a-t-il noté. Il a fait une petite comparaison entre le long métrage El Manara, de Belkacem Hadjadj et le court métrage Les jours d’avant, de Karim Moussaoui qui abordent d’une manière différente les violences des années 1990 en Algérie. «Dans le film de Moussaoui, la mémoire est intimiste, celle de deux adolescents qui ne savent pas ce qui se passe autour d’eux et qui tentent de vivre, alors que dans celui de Hadjadj, la mémoire est politique», a-t-il relevé.

Certains intervenants au débat, comme l’Algérien Cherif Bekka, ont relevé que le «je» émerge d’une manière claire dans le nouveau cinéma maghrébin au détriment du «discours» qui tend à disparaître. «Je ne pense qu’il existe une rupture, c’est juste un choix. J’estime qu’il est positif qu’on essaie d’aller vers des genres cinématographiques différents. Cela devait arriver depuis longtemps. Dans mon écriture du scénario, j’ai apporté mon expérience personnelle. J’étais effectivement dans le ‘‘je’’», a expliqué le jeune cinéaste algérien Karim Moussaoui.

Pour le cinéaste tunisien Mahmoud Benmahmoud, la Tunisie connaît un changement anthropologique, «presque un changement de civilisation». «La question mériterait d’être posée pour savoir si cela a une répercussion sur la création artistique, le travail des cinéastes, le regard porté par les cinéastes. La Tunisie est en plein chantier, tout le monde navigue à vue, les cinéastes compris! Le changement majeur constaté est l’accès à la liberté d’expression. C’est ce qui explique la profusion de films documentaires dans le pays due notamment à la facilité de les réaliser, à la facilité d’accéder au matériel et au lieu de tournage.

Pour réaliser une fiction, il faut attendre des années. Mais nous avons constaté que les documentaires s’apparentaient plus aux news qu’à la création. Des générations entières privées de parole se sont jetées sur cette forme d’expression. Cette phase de réappropriation de l’expression, du défoulement, est aujourd’hui dépassée», a-t-il ajouté. Tout le monde est d’accord, selon Mahmoud Benmahmoud, pour faire une première pause critique par rapport à cela. Il a estimé que des questions se posent aux cinéastes sur la capacité de séduire, de faire rêver, d’émouvoir. «Il ne faut jamais oublier que nous produisons des spectacles. Nous nous adressons à des spectateurs donc. Même si l’engagement révolutionnaire est beau! Je pense que ce rappel à l’ordre est salutaire», a-t-il affirmé, qualifiant de légitime la frénésie qui a suivi la chute du régime de Ben Ali et Leila Trabelsi en janvier 2011.

Penser au spectateur ne signifie pas, selon lui, verser dans le cinéma commercial en faisant des concessions sur le plan artistique. Tahar Boukela est revenu sur la question de l’indépendance des cinéastes au Maghreb. «Indépendance par rapport au pouvoir politique et par rapport à ceux qui financent les films. Est-ce que les financements européens de certains films maghrébins n’influent-ils pas sur le contenu et la manière de faire ce cinéma? Je pose cette question sans paranoïa nationaliste», s’est-il interrogé.

© Faycal Metaoui/ El Watan week end, vendredi 18 juillet 2014