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Révolution- Yacef Saâdi - Tahri Hamid/El Watan

Date de création: 23-01-2014 11:08
Dernière mise à jour: 19-02-2014 15:18
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 HISTOIRE – DOCUMENTS ET TEXTES REGLEMENTAIRES- REVOLUTION – YACEF SAADI – TAHRI HAMID/EL WATAN

Yacef Saâdi à Bouteflika : «Partez, Monsieur le Président»

© Par Hamid Tahri/El Watan,  22 janvier 2014

 

Avec quelques journalistes qu’il a invités à l’occasion de son 86e anniversaire, en son domicile, Yacef Saâdi n’y est pas allé avec le dos de la cuillère, assenant ses vérités à propos du travestissement de l’histoire en se basant sur le dernier ouvrage de Zohra Drif, «truffé de mensonges» selon lui, et qu’il faudra mettre au compte de la falsification de l’histoire. 

Selon Yacef, qui s’est procuré des documents inédits provenant des archives françaises, «certaines vérités vont surprendre», faisant allusion à une lettre adressée par Zohra Drif à Hassiba Ben Bouali qui se trouvait dans une cache à La Casbah avec ses compagnons Ali La Pointe, Bouhamidi (17 ans) et Petit Omar (13 ans) le neveu de Saâdi, dans laquelle Zohra supplie Hassiba de se rendre aux généraux «qui ne lui feront pas le moindre mal». Comment Zohra Drif a-t-elle pu connaître l’endroit où s’étaient repliés les quatre et pourquoi s’était-elle adressée à Hassiba seulement en négligeant les autres, s’est interrogé Yacef, qui  ne doute pas de la position compromettante de Zohra Drif par rapport à l’ennemi. «Une trahison», a-t-il lâché, suggérant qu’elle a livré Ali La Pointe à la soldatesque française. Yacef signale que Zohra était incarcérée avec lui, avant d’être transférée vers un autre lieu.

L’ancien chef de la Zone autonome s’est par ailleurs offusqué du fait que Zohra le désigne par «Si l’kho» dans ses mémoires alors «que je m’appelle Yacef Saâdi, qui l’a sauvée d’une mort certaine» et quelle n’a jamais figuré parmi les condamnés à mort. «Je veux tout simplement rétablir certaines vérités. Je n’ai aucune haine envers quiconque, mais les génération futures doivent connaître la véritable histoire de la lutte de Libération, souvent travestie.» Yacef a par ailleurs égratigné les communistes algériens «qui ne sont pas les auteurs des actes héroïques dont ils se targuent puisque c’est moi qui fournissais les bombes». L’ancien chef de la Zone autonome ira plus loin en doutant des intentions des responsables du PCA, «dont certains étaient en contact avec l’ennemi».

Evoquant la situation actuelle Yacef considère que le pays baigne dans la confusion la plus totale. «Les dirigeants actuels doivent partir pour laisser place à une autre génération capable de relever les immenses défis qui nous attendent.»  Yacef a rappelé l’amitié qui le lie à Bouteflika que «j’ai connu à l’indépendance lorsque, nous faisions partie de la même délégation chargée de la mise en place de l’Organisation de l’unité africaine». «Au cours d’une de nos rencontres il y a quelques années, au lendemain de son accession à la magistrature suprême, M. Bouteflika m’avait avoué qu’il était fasciné par le pouvoir et que nul ne pouvait le lui ravir, si ce n’est la mort. J’ai eu plusieurs contacts avec lui par la suite», a-t-il ajouté. «Dernièrement, j’ai transmis un message par le biais de M.Sellal à Abdelaziz Bouteflika où je lui conseille de se retirer de la politique vu son âge et surtout sa maladie.»  «Chausse tes pantoufles, soigne-toi et reste loin des turbulences de la politique, ce serait mieux pour toi. C’est l’histoire qui te jugera. Tu as fait du bon et du mauvais, mais tu aura marqué le paysage politique de notre pays.  Tu ne peux aspirer à un quatrième mandat. Vu ton état de santé et ton handicap, tu ne pourra logiquement assumer ces hautes fonctions qui déterminent la destinée de tout un pays.»

Actuellement, la situation est floue et les indicateurs n’incitent pas à l’optimisme «tant le manque de visibilité et de clarté est criant» a constaté Yacef. Les jeunes, a-t-il suggéré, doivent prendre leur avenir en main. La génération de la guerre doit impérativement passer le témoin. Ce pays a été miné dès le départ, a déclaré Yacef en faisant allusion aux officiers déserteurs de l’armée française qui ont rejoint la Révolution selon un calendrier établi par l’ennemi, pour qu’ils prennent les rênes du pays, l’indépendance acquise, en les citant nommément, précisant qu’ils étaient pour la majorité des rejetons de caïds et de bachaghas au service de la France. «Nous en subissons aujourd’hui les conséquences», a conclu Yacef Saâdi.
 

Extraits du Mémorandum de Yacef Saâdi

Je ne vais pas intenter un procès à mes sœurs et frères de combat, mais quand l’histoire se trouve altérée, enserrée dans un carcan de fausseté et de subornation, je me dois de dire le mot juste, sincèrement et courageusement, pour rétablir les faits et permettre à celle-ci de s’écrire sous le sceau de la droiture et la noblesse de la vérité.

Mais aujourd’hui, en présence d’un climat d’excitation généralisée où l’imposture, l’esbroufe et la forfanterie tiennent le haut du pavé, pour cacher des défauts et des défaillances de quelques compagnons d’armes qui veulent s’absoudre et, par là même, se glorifier pour s’assurer d’une certaine prééminence politique devant l’histoire, ces mésententes s’amplifient et refont surface pour devenir des motifs d’accusation, pour l’intérêt de qui, je vous le demande ?

Ainsi, en répondant à moi-même, je dis de ceux-là qui se saisissent du rôle de l’idole à qui l’honneur devait se rendre et que la gloire en est due, pour paraphraser Jean de La Fontaine dans L’Ane portant des reliques, «d’un magistrat ignorant, c’est la robe qu’on salue».

Bien avant le Congrès de la Soummam, cet «acte fondateur de l’Etat algérien moderne» et pilier déterminant pour la réussite de la Révolution algérienne, le sinistre sous-préfet André Achiary, qui a été à l’origine des massacres du Nord-Constantinois en 1945, notamment ceux de Sétif, Guelma et Kherrata, a repris du service en cette année 1956 et a organisé l’attentat de la rue de Thèbes, dans La Casbah d’Alger, dans la nuit du 10 août.

Cet odieux et effroyable attentat a fait 16 morts et 57 blessés, marquant un tournant dans la guerre d’Algérie. Ainsi, «à Alger, le contre-terrorisme a précédé le terrorisme», comme l’affirmait l’auteur et réalisateur de cinéma, le Français Patrick Rotman. Alors, contre une action pareille, que devait faire le FLN ? Se croiser les bras et accepter le sort que lui réservait le colonialisme ? Non, le FLN et ses organisations devaient réagir, en défenseurs de la justice, du droit et des principes de Novembre.

Il fallait aller jusqu’au bout, il fallait se sacrifier pour que vivent des générations d’Algériens sous la bannière d’un pays indépendant, souverain. Et c’est cela, c’est-à-dire une juste réaction de nos militants et de nos combattants, que ne voulaient comprendre et accepter les tenants de la République française d’alors, «ô combien humanitaire» !
En 1957, une année très dure pour nous car, malgré toutes les actions entreprises par la Zone autonome et ses groupes armés, l’organisation du FLN dans Alger se trouvait fortement éprouvée par les offensives répétées des troupes du général Massu à qui le chef du gouvernement, Guy Mollet, avait donné les pleins pouvoirs civils et militaires lors d’une réunion à Matignon le 4 janvier de la même année.

Ainsi, le 7 janvier 1957, 8 000 hommes de la l0e division de parachutistes (10e DP) de retour d’Egypte après la campagne de Suez aux côtés des Britanniques, entraient dans Alger avec pour mission de «pacifier la ville en proie aux attentats terroristes». C’était leur alibi pour «soumettre» ce qu’ils appelaient la rébellion, mais en réalité pour s’imposer davantage dans un pays où sa juste lutte commençait à avoir des échos favorables chez les peuples épris de paix et de liberté et que son «problème» allait être posé officiellement au niveau de la plus grande tribune du monde, l’Organisation des Nations unies.

Pour ce faire, la France coloniale, dirigée par un gouvernement socialiste, nous a gratifiés d’une redoutable force militaire, sous le commandement du général Massu assisté des colonels Marcel Bigeard, Roger Trinquier, Albert Fossey-François, Yves Godard et Paul-Alain Léger et qui régnait non seulement sur sa division, la 10e DP (composée de 4 régiments), mais aussi sur d’importants services de police urbaine et judiciaire, de police de renseignement et d’exploitation.

A ceux-là s’ajoutaient des hommes de choc, des zouaves implantés dans La Casbah, des cavaliers du 5e régiment de chasseurs d’Afrique, le 25e régiment de dragons, des soldats de deux détachements d’intervention et de reconnaissance, 1100 policiers, 1000 gendarmes et CRS et quelque 1500 hommes des «unités territoriales» (UT) composées pour l’essentiel de pieds-noirs ultras qui étaient dirigés par le colonel Jean-Robert Thornazoo. C’était le début de la Bataille d’Alger qui nous a été imposée par l’armée dite de pacification.

En effet, cette bataille a été la création de l’armée française qui ne voulait pas en démordre, en comprenant que l’Algérie appartient à ses enfants, aux Algériens qui voulaient, à partir d’une juste Révolution, faire entendre leur voix pour se libérer du joug colonialiste. Ainsi, l’expression a été lâchée, à partir de janvier 1957. Mais en réalité, la Bataille d’Alger était là, depuis longtemps, depuis le début de la Révolution où le FLN faisait d’Alger le bastion de toutes les grandes opérations.

Revenons à la Grève des 8 jours, du 28 janvier au 4 février 1957, pour expliquer son objectif. Bien sûr, je ne vais pas aller dans les détails. Comment et par qui a-t-elle été préparée ? Toutes ces informations sont consignées dans des rapports circonstanciés que tout le monde peut consulter. Néanmoins, il est utile de dire que Abane Ramdane, initiateur de la démarche, nous a convaincus, Benkhedda, Dahleb, Ben M’hidi, Krim et moi, des bénéfices à en tirer une fois l’opération terminée et... réussie.

D’ailleurs, je peux, quant à moi, exprimer avec certitude que si cette grève a été préjudiciable, malheureusement, à la ZAA, lors de cette Bataille d’Alger, elle fut, par contre - et c’est l’essentiel - très bénéfique pour la Révolution algérienne. Mais ce qui m’avait profondément contrarié et même déçu, c’était ce retrait du CCE d’Alger et sa sortie vers l’exil. Je pensais, franchement, que ce départ à l’extérieur serait préjudiciable au moral des troupes et de la population.

Et l’issue que j’appréhendais s’est concrétisée. Pourtant, me disais-je constamment, la place des chefs n’est-elle pas auprès des troupes ? Autrement dit : «Partir et laisser son pays en pleine difficulté est une honteuse tentative de fuite que je qualifie de haute trahison.»

Ainsi, ce qui devait arriver arriva. Scindés en deux groupes, les membres du CCE ont pris la clé des champs, comme on dit. L’un est parti en Tunisie, l’autre au Maroc. Mais je restais toujours dans l’énigme, me posant de nombreuses questions, dont les principales : diriger le combat de l’extérieur, en plus du fait que ce retrait inattendu a été un «sacré coup» pour tous les militants qui se sentaient frustrés par ce comportement d’égoïstes - je le dis haut et fort - ne signifie pas «trêve ou fin de la guerre» ?

Peut-on conclure, après cette chronologie des faits et des événements qu’a connu l’historique Zone autonome d’Alger et après mon arrestation le 24 septembre, puis la mort d’Ali la Pointe et de mes autres compagnons, le 8 octobre, qu’il en était terminé de la Bataille d’Alger ? Peut-on également abonder dans le sens des colonialistes en acceptant la thèse que la Bataille d’Alger s’est soldée par une victoire militaire de l’armée française, qui est parvenue à décapiter le FLN ? Absolument pas !

Car ceux qui ont ordonné le dynamitage de la maison du 5, rue des Abderrames savaient parfaitement que l’exemple de courage et d’intrépidité du groupe d’Ali la Pointe ferait tache d’huile parmi les jeunes Algériens. En agissant ainsi, ils croyaient pouvoir dissuader des émules possibles. Oh que non ! Ils se trompaient évidemment ; l’Algérie n’a pas baissé les bras. En effet, la lutte continua, même si de grands patriotes disparurent du circuit après mon incarcération, victimes eux aussi des méfaits du sinistre indic Guendriche.

Que nous reste-il à vivre, je vous le demande ? Ne sommes-nous pas conscients de la situation qui nous éloigne les uns des autres pour nous dire en face ce qui ne va pas, pour laver, s’il existe, notre linge en famille et célébrer cette lutte que nous avons menée ensemble, côte à côte, et que d’aucuns nous envient, parce qu’avec peu de moyens, nous avons ébranlé l’ennemi qui nous combattait avec son matériel lourd, ses armes sophistiquées, ses troupes qui se comptaient en centaines de milliers et ses redoutables services de renseignement ?

C’est alors que je m’insurge, encore une fois, pour m’exprimer à haute voix et affirmer à la face de certains nihilistes patentés, vivant dans la négation des valeurs militantes et patriotiques, que le bilan de l’historique Zone autonome et notre engagement dans la Bataille d’Alger sont un exemple de ces luttes obstinément menées par notre peuple, depuis la nuit des temps, en faisant appel à son abnégation et à son esprit d’unité et de sacrifice contre les envahisseurs à travers l’histoire.

Pour conclure, je dis à qui veut m’entendre que malgré tout ce qui a pu se raconter dans des conciliabules interlopes ou à partir d’accusations qui ne méritent pas notre estime, par des personnes en manque d’intelligence ou de conscience, notre lutte dans Alger et ses environs a été, en plus de son efficience, un message aux peuples du monde entier pour leur dire que des jeunes, toujours des jeunes, qui ont été souillés et malmenés par le colonialisme, ont été à l’avant-garde de toutes les initiatives et à la pointe du combat pour les constantes qui ont rythmé notre histoire, dont le goût de l’indépendance, de l’unité et la soif de justice sociale.

Notre lutte dans Alger a été une sérieuse réplique contre cette colonisation oppressante et absolue du régime français. Nous l’avons menée avec des combattants aguerris et engagés pour libérer notre pays, sauvegarder son unité, protéger son identité.

Hamid Tahri