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Corruption - Belhimer Ammar

Date de création: 09-04-2013 14:00
Dernière mise à jour: 09-04-2013 14:00
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FINANCES - ETUDES ET ANALYSES - COORUPTION - BELHIMER AMMAR

L’Algérie exangue

Par Ammar Belhimer
©
ammarbelhimer@hotmail.fr (in Le Soir d’Algérie, mardi 9 avril 2013,  Extraits)


La crise grecque et les scandales qui se succèdent en France montrent à quel point la social-démocratie cultive les mêmes valeurs que les autres cercles du pouvoir qui ont consenti à la reproduction du capital financier.
Elle aura ainsi trahi une cause. Les équipes vieillissantes issues du mouvement de libération nationale ne sont pas en reste de cette reddition, comme en témoignent les nombreuses affaires pendantes devant nos tribunaux. Ces affaires témoignent de leur soumission pleine et entière aux centres de décision étrangers qui veillent sur le système économique et financier mondial. Elles auront trahi des nations. Un récent ouvrage de Nicholas Shaxson apporte de précieux éclairages sur la question des paradis fiscaux(*). La finance offshore est au cœur du système économique et financier mondial contemporain. Elle trahit de façon éhontée les pratiques d’évasion fiscale des multinationales et des riches individus ainsi que les transferts illicites de fonds issus de la corruption et du crime organisé. Phénomène auquel nous n’échappons malheureusement pas. La classification qu’entreprend Nicholas Shaxson des centres offshore dessine un premier groupe qui inclut les dépendances de l’empire britannique encore sous dépendance de la City de Londres (Jersey, Guernesey, l’île de Man, les îles Caïmans, les îles Vierges britanniques, Gibraltar, Hong Kong). Un second groupe a pour centre les États-Unis eux-mêmes et plus particulièrement certains États, avec un réseau de petits États satellites comme les îles Marshall, Panama, Liberia… Très peu de nos maffieux du pouvoir pratiquent ces deux premiers espaces. Eux sont plus familiers d’un troisième groupe de petits États européens, comme la Suisse, le Luxembourg, le Lichtenstein, Monaco, Chypre. L’origine des activités offshore initiées par les États-Unis et le Royaume-Uni se situe respectivement en 1921, depuis que les États-Unis permettent aux déposants étrangers dans les banques américaines de recevoir leurs intérêts exonérés d’impôts à condition qu’ils ne soient pas liés aux affaires américaines. Dans une enquête à charge contre les centres offshore, Nicholas Shaxson dévoile et dénonce l’hypocrisie consistant à se limiter aux îles exotiques et aux paradis suisses et luxembourgeois dans la lutte contre l’évasion fiscale. Une étude approfondie de la City de Londres la révèle comme l’élément central d’un réseau issu de son empire où les anciennes dépendances, paradis fiscaux attirent les capitaux et les acheminent jusqu’aux banques londoniennes. Cette piste n’est également pas inconnue de nos corrompus. Une partie de l’ouvrage est consacrée à la présentation des centres offshore comme des obstacles au développement des pays où règne une grande pauvreté. Nicholas Shaxson montre ainsi que la corruption à grande échelle et la mainmise des intérêts mafieux sur les gouvernements des pays en développement, en particulier s’ils disposent de ressources naturelles, ne peuvent s’expliquer sans les paradis fiscaux offrant la garantie de secret. Qu’est-ce qui alimente les paradis fiscaux ? Contrairement à l’idée généralement admise, la corruption et le crime organisé ne fournissent que 35% des flux de capitaux illicites vers ces pays (la corruption pour 5% et le crime pour 35%). Le reste représente l’argent détourné par la fraude fiscale, dont bien sûr celui des multinationales. Globalement, le montant des flux financiers transitant par les paradis fiscaux est estimé à 55% de commerce international et 50% des flux financiers mondiaux, selon le Fonds monétaire international. La banque des Règlements internationaux a calculé qu’en mars 2006, 58% des prêts internationaux des banques venaient d’établissements basés dans des paradis fiscaux, tandis que 54% des dépôts internationaux vont dans des établissements installés dans lesdits paradis fiscaux. Aussi, 46% des dépôts internationaux venaient de sociétés installées dans ces paradis fiscaux. C’est dire qu’il ne s’agit pas d’un phénomène accessoire. Et qu’il prend de plus en plus d’ampleur puisque la fuite de capitaux augmenterait de 18% par an, les paradis fiscaux étant eux-mêmes en augmentation (de 25 au début des années 1970, ils sont au moins 72 aujourd’hui). Nicholas Shaxson estime que les fuites de capitaux par ces moyens engendrent des pertes de ressources fiscales pour les pays en développement bien supérieures à l’aide publique au développement. Si l’on en croit Global Financial Integrity(**), un think tank américain qui réunit magistrats et avocats ayant pignon sur rue, comme la juge Eva Joly, les flux financiers illicites sortant d'Afrique ont représenté au moins 29 milliards de dollars par an entre 1970 et 2008 (hors inflation), tandis que l'aide extérieure à l'ensemble du continent ne se montait qu'à 18 milliards. Pour Global Financial Integrity, il faudrait probablement multiplier ces chiffres par deux pour approcher la vérité et mesurer la gravité d’un fléau qui handicape lourdement le développement de l'Afrique. Concrètement, les paradis fiscaux incitent au pillage du fisc des pays du Nord et la ruine des pays en développement, où les entreprises étrangères pratiquent à une large échelle l’évasion fiscale au moyen de techniques devenues courantes : la surfacturation et les prix de transferts. 125 milliards échapperaient ainsi à ces pays tous les ans. Revenant à la charge avec un nouveau rapport couvrant la période 2000-2008(***), Global Financial Integrity évalue la croissance des flux illicites pour les neuf années à 24,3% pour la région Afrique du Nord/Moyen-Orient (région Mena), 21,9% pour l’Afrique et 7,85% pour l’Asie. Au cours de la même période, l’Algérie aurait «exporté», hors circuits légaux, 13,6 milliards de dollars, soit 1,7 milliard de dollars par an. Ces chiffres ne couvriraient pas la totalité des infractions à la réglementation de change et transferts de capitaux, ni les commissions occultes perçues à l’étranger par les signataires (ou leurs hommes de paille) de marchés publics de travaux, de fournitures ou de services Pour le Maghreb, des évaluations plus récentes estiment les fuites de capitaux à 8 milliards de dollars/an dont 50% d’Algérie, 30% du Maroc et 20% de Tunisie. Les avoirs des Maghrébins à l’étranger étant estimés à 150 milliards de dollars. La plus grosse fraude reste l’informalité, l’excès de liquidité, l’acquisition de biens immobiliers et de commerces à l’étranger, vite saisis par le fisc ou passés aux mains d’une jeune Marocaine prise en secondes noces dans un coin perdu de France. Comment s’attaquer efficacement, et non par des solutions aussi radicales qu’utopiques, à cette dérive impressionnante du capitalisme ? Nicholas Shaxson invite à se concentrer en premier lieu sur l’information, et encourage l’action d’organisations non gouvernementales comme Tax Justice Network dont il reprend quelques propositions comme : la publication par les multinationales de leurs états financiers pays par pays, ou l’échange automatique d’information à des fins fiscales sur une base multilatérale… Un processus qui n’en est qu’à ses débuts. La Constitution algérienne a instauré, au moyen de l’article 66, une sorte de «délation noble» qui fait obligation au citoyen de veiller à la préservation de l’intérêt général et de participer à la répression des actes susceptibles d’y porter atteinte. De la même manière, l’article 32 du code de procédure pénale énonce que «toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au ministère public et de lui transmettre tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs».

 (*) Nicholas Shaxson, Les paradis fiscaux. Enquête sur les ravages de la finance néolibérale, André Versaille éditeur, 2012, traduction par Emmanuel Fourmont (Titre original : Treasure Islands. Tax Havens and the Men who stole the World, Vintage Books, 2011). (**) Illicit Financial Flows from Africa : Hidden Resource for Development. Voir : www.gfip.org (***) Illicit Financial Flows from Developing Countries : 2000- 2009, A January 2011 Report.