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Ensjsi -Conférence Balta Paul Janvier 2013 - Etre journaliste en Algérie (II/II)

Date de création: 13-02-2013 20:13
Dernière mise à jour: 13-02-2013 20:13
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COMMUNICATION – ETUDES ET ANALYSES – ENSJSI - CONFERENCE  BALTA PAUL JANVIER 2013- ETRE JOURNALISTE EN ALGERIE (II/II)

 Être journaliste en Algérie de 1973 À 1978 

© Par PAUL BALTA, journaliste, écrivain, samedi 19 janvier 2013, ENSJSI, Alger/Ben Aknoun

 

 Après mes études supérieures, j’ai été journaliste à l’agence américaine  Associated Press, puis à Paris Presse l’Intransigeant.  En 1970, je suis entré au quotidien Le Monde comme spécialiste du monde arabe. En 1973, j’ai été nommé correspondant au Maghreb, de la Libye à la Mauritanie, basé à Alger. 

Je dirais d’emblée que le poste d’Alger et dans une moindre mesure ceux de Tunis et de Rabat où Le Monde avait des correspondants locaux, étaient parmi les plus difficiles et les plus éprouvants mais aussi passionnants, pour plusieurs raisons. Principalement : 1. Le passé colonial de la France avec ses aspects négatifs et parfois positifs. 2. La langue française parfaitement maîtrisée par les élites de ces pays et une grande partie de leur population qui nous lisaient et voulaient trouver « leur » vérité  dans le journal. 3. Le prestige international du Monde.

Je pense qu’il est intéressant de signaler qu’entre 1973 et 1978, les ventes du journal atteignaient 20 000 exemplaires par jour. La distribution était quasi nulle en Libye, très faible en Mauritanie mais en Tunisie, en Algérie et au Maroc, elle a représenté près de 50% des ventes du Monde à l’étranger qui s’élevaient à 90 000 exemplaires sur un tirage moyen de 450 000.

Première difficulté : le correspondant du Monde en Algérie était confronté à des lectorats multiples, contrairement à ceux de Moscou, Pékin, Tokyo, ou Washington : d’abord les lecteurs français, évidemment majoritaires qui, dans l’ensemble, connaissaient mal l’Algérie mais étaient persuadés de bien la connaître et ensuite les Pieds noirs et les Pieds rouges qui avaient des préjugés défavorables ou favorables.

En Algérie, les lecteurs avaient des intérêts différents et souvent diamétralement opposés : les lecteurs algériens de base, partisans du régime, ou opposants ; les dirigeants et hauts fonctionnaires appartenant à des clans différents ; les coopérants français et les fonctionnaires de l’ambassade de France ; les ambassadeurs des pays voisins « frères » mais néanmoins rivaux ; les diplomates des grandes puissances pour qui Le Monde était un outil : ils l’utilisaient pour rédiger leurs dépêches et leurs rapports.

Le correspondant devait donc faire preuve de vigilance et résister à toutes sortes de pressions contradictoires. Les conditions de travail étaient plus difficiles qu’à Tunis et Rabat. Héritage de la guerre d’Algérie : les responsables politiques avaient un goût du secret poussé à l’extrême. Un exemple parmi de nombeux autres : lors d’un voyage de Boumediène à Cuba, un chef de département au ministère des Finances avait refusé de donner les chiffres concernant les échanges bilatéraux. Les autres responsables ont fait pareil, sous différents prétextes.

Deuxième difficulté : la presse algérienne très contrôlée était alors une source d’information insuffisante qu’il fallait utiliser avec précaution. Le système de la « censure » demandait aussi de la vigilance.  C’est le ministère de l’Information qui fixait le nombre d’exemplaires du Monde et des journaux étrangers, autorisés à l’importation. En outre, les ministères des Affaires étrangères, du Tourisme, et de l’Industrie, essayaient, eux aussi, de faire pression sur les services commerciaux du journal à travers, entre autres, les placards publicitaires, les appels d’offres, etc.

Le Monde arrivait à Alger en milieu d’après-midi et était stocké à l’aéroport. Un motard de la gendarmerie allait prendre une centaine d’exemplaires qu’il distribuait au Président, au Secrétaire général de la présidence, aux ministres. Il en déposait un ou deux au bureau du « censeur », M. Aït Wali, très compétent. Ce dernier m’avait expliqué qu’il avait été formé par les services de la censure de la France coloniale. Il épluchait le numéro en soulignant au feutre de couleur, les passages qui, à ses yeux, posaient problème. Il pouvait s’agir d’un article sur Israël ou le Maroc, d’un éditorial sur un autre pays arabe, d’un placard publicitaire sur les droits de l’homme et, évidemment, de tout ce qui concernait l’Algérie. Ahmed Taleb Ibrahimi était alors ministre de l’Information. Mais, officiellement, il n’y avait pas de censure ! Le Bureau de contrôle de la presse internationale, je cite, « ne censurait pas », « n’interdisait pas » mais donnait, ou non,  : « l’autorisation de mise en vente ». Elle était présentée non comme une décision politique, mais comme « une mesure d’ordre commercial ».

Je précise aussi qu’il y avait plusieurs niveaux de censure. Dans le premier cas, le journal n’était pas mis en vente, mais les ministères et organismes officiels le recevaient. Deuxième niveau : interdiction pour tous ! Troisième niveau, rare : la censure s’étendait aux exemplaires arrivés par la poste et qui, dès lors, n’étaient pas distribués aux abonnés.

Exemple : quand j’ai annoncé que Ferhat Abbas et Youssef Ben Khedda avaient été assignés à résidence après avoir remis aux journalistes du Monde, de l’AFP et de Jeune Afrique, un texte critiquant le régime (Le Monde du 12 mars 1976). De même, chaque fois que paraissait une information ou une brève avec le nom d’Ahmed  Ben Bella, le journal était interdit à la vente. En revanche, telle information qui avait valu une censure à mon journal et à la presse française, passait sans grande réaction dans le Times, le Financial Times, sur le fil anglais de Reuters ou d’Associated Press.

Les relations entre le journal et le Maghreb ont été parfois délicates : pendant plus d’un an, je n’ai pu obtenir de visa pour me rendre au Maroc. J’ai découvert, par la suite, que Hassan II avait été irrité du fait que notre directeur, Jacques Fauvet, ne m’avait pas nommé à Rabat que le roi jugeait être la vraie capitale du Maghreb. Par la suite, la troisième fois que je suis allé en reportage au Maroc, un responsable du ministère de l’Information m’a invité à dîner et remis une enveloppe qui contenait une somme considérable ! J’ai refusé en affirmant que j’étais un journaliste indépendant. Le lendemain, il a refait une tentative. Nouveau refus. Rappelons que les journalistes peuvent subir de multiples pressions, notamment de la part des milieux politiques ou économiques, pressions qui peuvent revêtir des formes diverses. 

À partir de 1975, j’ai couvert le conflit du Sahara occidental. Les autorités savaient que j’étais favorable à la RASD et aux Sahraouis, mais je faisais mes reportages avec objectivité et elles m’ont respecté..

J’ai parcouru le pays en tous sens et en ai profité pour faire de nombreux reportages au Sahara. Connaissant tous les déserts, de la Mauritanie à l’Iran, je trouve que c’est celui de l’Algérie qui est le plus beau et le plus varié. Il a des sables de plusieurs couleurs, des régions rocheuses, de superbes oasis, etc... Le président Boumediène  avait suggéré qu’avec mon épouse, Claudine Rulleau, nous prenions un camion de la Société Nationale des Transports algériens qui se rendait au Nigéria, pour nous faire découvrir le premier tronçon –Alger/Kano- des 2 800 kilomètres de la route Transsaharienne.

À mon retour à Paris, en août 1978, j’ai été nommé chef de la rubrique Maghreb tout en m’occupant à nouveau du Machrek. J’ai couvert, entre autres, la révolution iranienne en 1979 et le début de la guerre Irak-Iran en 1980. J’ai découvert à ces occasions que sur le nombre important d’envoyés spéciaux de la presse internationale, très peu savaient l’arabe ou le persan, ou la différence entre sunnites et chiites, etc. On pourrait multiplier les exemples. Rappelons l’importance pour un journaliste de connaître un minimum sur les civilisations, les cultures et les religions des régions où il va exercer.

RENCONTRES AVEC BOUMEDIENE

Le récit de cet itinéraire serait bien incomplet si je n’évoquais mes relations avec votre ancien président, Houari Boumediène. Au cours de ces cinq années, il m’a accordé un peu plus de cinquante heures d’entretiens tête-à-tête. C’est considérable si l’on pense que nombre d’ambassadeurs ne l’ont rencontré qu’en remettant leurs lettres de créance et lors de leur départ.

La première fois, c’était deux jours avant la IVè Conférence des chefs d’État des pays non alignés (5-9 septembre 1973). Ce premier contact, déterminant pour la suite de nos relations, m’a éclairé sur sa personnalité qui restait un peu énigmatique pour nombre de ses concitoyens et d’observateurs étrangers. Il s’est déroulé au Palais du peuple, siège de la présidence. L’entretien, télévisé, a commencé dans un salon, en présence de la presse. Le président me posait des questions en français sur Nasser, De Gaulle, Pompidou, et mon parcours dans les pays arabes… Ensuite je suis passé dans son bureau avec le Dr Mohieddine Amimour, directeur du service de presse. Le président a hésité un moment, puis, au lieu de s’asseoir à son imposante table de travail, m’a invité à prendre place dans une petite rotonde où il y avait une table et deux fauteuils. J’ai su, par la suite, que c’était un honneur qu’il réservait à ses amis, à des personnes qu’il tenait en grande estime et à de hautes  personnalités.

Nous avons poursuivi notre entretien à bâtons rompus.  J’ai vite compris qu’il était bien documenté sur ma personne, connaissait parfaitement mon itinéraire, les origines libanaises et égyptiennes de ma mère, et n’ignorait rien ou presque rien, de mes écrits. J’avais d’ailleurs remarqué qu’il avait sur son bureau La politique arabe de la France, rédigé avec mon épouse et paru en juin, de même que la série d’articles du Monde que j’avais consacrés à l’enseignement de l’arabe en France. Il a d’ailleurs confirmé qu’il avait lu mes articles sur le Proche-Orient. Il avait conclu : « Vous expliquez le monde arabe de l’intérieur. C’est pourquoi je souhaitais que vous soyez nommé à Alger. Voilà, c’est fait, vous êtes des nôtres. »  Il y eut donc, dès le départ, une certaine chaleur qui ne se démentira pas au fil du temps.

Après ce tour d’horizon, en français, je m’étais avancé à dire :  « Monsieur le Président, je crois que vous accordez vos interviews officielles en arabe. » Il avait approuvé d’un signe de tête. « Cela ne me dérange pas. Toutefois, au Collège des Frères des Écoles chrétiennes, à Alexandrie, mes professeurs égyptiens m’ont fait apprendre par coeur un arabe classique, un peu archaïque. » Il m’avait coupé d’un : « Hélas ! hélas ! Et cela n’a pas changé ! » D’une extrême courtoisie, il avait fait un geste pour s’excuser de  m’avoir interrompu et m’avait invité à poursuivre. Je lui avais alors expliqué que j’avais acquis seul, sur le tard, mon vocabulaire économique et politique et je lui demandais de parler plus lentement lorsque nous aborderions ces problèmes. Grand seigneur, il avait répondu  : « Monsieur Balta, vous avez beaucoup fait dans vos écrits pour la culture des Arabes et leur dignité. Nous avons commencé en français, nous continuerons donc en français ! » Il en fut ainsi pendant les entretiens qu’il m’a accordés et qui furent très riches et d’une grande liberté de ton.

Comment m’est-il apparu au fil du temps ? Discret mais efficace, timide mais fier, réservé mais volontaire, autoritaire mais humain, généreux mais exigeant, prudent dans l’audace. Il travaillait avec acharnement sans se soucier de ce qu’on pensait de lui à l’étranger. Une des premières initiatives de ce nationaliste intransigeant fut, vous le savez, d’expulser d’Algérie les nombreux conseillers arabes ou étrangers, invités par Ben Bella, qui  se réclamaient du marxisme. « Ils sont venus essayer de faire chez nous la révolution qu’ils n’ont pas été capables de réussir chez eux.  Si nous les avions écoutés, ce n’est pas une mais plusieurs révolutions que l’Algérie aurait dû faire en même temps », m’avait dit le président avec l’humour féroce dont il était coutumier en privé. Lotfallah Soliman, ami de longue date, égyptien trotskyste, m’avait raconté cette mise à l’écart tout en expliquant qu’il comprenait Boumediène et ne lui en voulait pas

Ayant rencontré et interviewé tous les chefs d’États arabes, du Golfe à la Mauritanie, je le situe parmi les plus visionnaires, au côté de Nasser et de Bourguiba. J’ajoute Hassan II, en politique étrangère et dans le domaine des arts. Que Boumediène ait pris goût au pouvoir, c’est certain. Je crois pouvoir dire, néanmoins, que ce dernier  n’était pas pour lui  une fin en soi, mais un instrument pour faire évoluer les structures de son pays et peser sur l’ordre international afin de le transformer. Il était très fier et avait un sens aigu de la dignité, pour lui et pour le peuple algérien. Cette attitude était le résultat d’un long cheminement. Devenu chef de l’ALN, il avait découvert la multiplicité et la complexité des problèmes à résoudre. Il sut alors se mettre à l’écoute et pratiquer le travail en équipe avant de prendre des décisions qu’il assumait. Ainsi, comme nous avons pensé pouvoir l’écrire dans  La Stratégie de Boumediène, il est passé « des intuitions spontanées aux analyses argumentées, de l’incantation à l’action, de la dénonciation des situations iniques à l’organisation de la lutte.»

Quelques aspects plus personnels : alors que plusieurs biographes le font naître entre 1925 et 1932, il m’avait affirmé que la date exacte était le 23 août 1932. De même, alors qu’on écrivait son nom de différentes façons (Boumedienne, Boumediene, etc.), c’est lui qui m’a dit que la bonne orthographe est BOUMEDIÈNE, et me l’a écrit sur mon carnet de notes. De père arabophone et de mère berbérophone, le président, de son vrai nom Mohamed Boukharrouba  (Père du caroubier) a passé son enfance au milieu des paysans dont il avait conservé la rusticité, une fois au pouvoir. Il n’aimait pas en parler. Néanmoins, comme je lui avais fait observer qu’il maîtrisait bien la langue française, il m’avait confié, ce qui ne figurait alors dans aucune de ses biographies, être entré à six ans à l’école primaire française. À dix ans, il a suivi des cours dans une école coranique avant d’entrer, quatre ans plus tard, à la Médrassa El Kettani de Constantine où l’on n’enseignait que l’arabe. Il m’a confié qu’il avait déjà le goût de la lecture et l’a conservé toute sa vie.

1973, l’année du Sommet des non-alignés, marque aussi un tournant dans sa vie privée. Quelques mois avant la conférence, ce célibataire endurci, déjà quadragénaire, avait épousé une jeune avocate du barreau d’Alger, Anissa Menzali. Son comportement s’en ressentira. Silhouette élancée, visage émacié, chevelure châtain roux découvrant un large front, regard perçant, moustache épaisse masquant la cicatrice provoquée par un attentat dont il avait été victime en 1968, il avait certes une distinction naturelle mais ne prêtait guère d’attention à sa façon de s’habiller.

Après son mariage, il a apporté plus de recherche dans le choix de ses costumes, changé souvent de cravate et remplacé le traditionnel burnous marron, assez rugueux, par un superbe burnous noir en poil de chameau dont deux oasis sahariennes ont la spécialité. Sauf exception, son bureau de la présidence n’est plus resté allumé une bonne partie de la nuit. Depuis son décès, Anissa Boumediène se consacre à la défense de la mémoire et de l’oeuvre de son mari et à la littérature. Elle a traduit, entre autres, Khansa, Moi, poète et femme d'Arabie. Radio Orient et plusieurs organisations et associations nous ont invités à participer  ensemble à des débats.

Certes, Boumediène a diversifié les liens de votre pays avec ceux d’Europe et les États-Unis mais il avait apprécié la politique arabe du général de Gaulle et le rôle que la France pouvait jouer pour inciter la Communauté économique européenne à être une troisième force entre les deux blocs. Un diplomate français lui ayant suggéré de «banaliser les relations bilatérales», Boumediène lui avait répondu : « On ne peut ignorer le poids de l’histoire. Entre la France et l’Algérie les relations peuvent être bonnes ou mauvaises, en aucun cas elles ne peuvent être banales !»

Boumediène avait toujours souhaité faire une visite officielle en France. Pour des raisons diplomatiques trop longues à développer ici, elle n’a pas eu lieu. Finalement, début 1978, une solution avait été imaginée dans les chancelleries : Boumediène, invité en Europe, se rendrait en Allemagne puis au siège de la Communauté économique européenne, à Bruxelles, et terminerait en France. « C’est une combine diplomatique ! » m’avait-il dit. « Soyons sérieux. Il est évident qu’au nom de l’histoire, de la géopolitique et des relations humaines et culturelles qui nous lient à la France, si je fais une tournée européenne, c’est par la France que je dois commencer ». Il est resté fidèle à lui-même, jusqu’au bout.

J’ai été impressionné par l’intégrité de votre ancien président, pour qui l’argent de l’État appartenait à la nation et ne devait pas être dilapidé. Contrairement à nombre de chefs d’État arabes et africains, il n’a jamais eu de châteaux ou de somptueuses résidences en Algérie, en France ou ailleurs à l’étranger. Un émir du Golfe lui ayant offert une luxueuse voiture, il a fait mettre cette dernière au garage, comme j’ai pu le constater un jour où il m’a fait visiter la présidence, et ne l’a jamais utilisée… Invité à plusieurs reprises à déjeuner en sa compagnie, j’ai découvert qu’il était d’une grande sobriété. Il se contentait le plus souvent du repas réservé aux officiers qu’on lui apportait de la caserne la plus proche. À sa mort, ses détracteurs ont appris avec stupéfaction qu’il ne détenait aucun patrimoine immobilier, aucune fortune personnelle et que son compte courant postal était approvisionné à la hauteur, seulement, de 6 000 dinars

La pyramide à l’envers  et à l’endroit : APC, APW, APN

 Boumediène était très fier d’avoir institué les APC, Assemblées populaires communales, en 1967, et les APW, Assemblées populaires de wilayas, en 1969. Au cours d’un entretien début 1975, il m’avait dit : « Pour ce qui est de la démocratie, mes prédécesseurs ont fait les choses à l’envers en commençant par l’Assemblée nationale, c’est comme s’ils avaient mis la pyramide, à l’envers, sur la pointe.  Moi, j’ai commencé par la base.» J’avais fait observer que cela remontait à maintenant plusieurs années et demandais quand il prévoyait d’instaurer une APN, Assemblée populaire nationale.  « Je crois que nous ne sommes pas mûrs » avait-il répondu.

- « Qui, nous ? »

- « Le peuple algérien ».

 Je m’étonnais et rappelais que ce peuple avait donné des preuves de sa maturité politique au cours de huit ans de guerre et, depuis le 19 juin, en acceptant bien des sacrifices pour favoriser le développement du pays à marche forcée. Après un moment de réflexion : « Non, nous ne sommes pas mûrs. En effet, contrairement aux APC et aux APW, l’APN sera une vitrine intérieure et extérieure. Je ne voudrais pas qu’elle soit la vitrine de nos divisions et de nos régionalismes. » Néanmoins, il mettra en œuvre en 1976 une série de réformes (Charte nationale, Constitution, élection présidentielle) En effet jusque-là, il n’était pas président de la République mais du Conseil de la Révolution.

 Vers une libéralisation du régime ?

 Plusieurs de ses réflexions, au cours de nos derniers entretiens, m’avaient donné à penser qu’il envisageait de libéraliser le régime. Le Monde ayant décidé mon rappel pour m’envoyer en Iran couvrir la Révolution, j’avais rencontré le président en août 1978, pour l’en informer et lui faire mes adieux.

Il avait exprimé ses regrets et insisté pour que je reste : « Vous avez vécu la mise en place des institutions, il faut aller jusqu’au bout. Il va y avoir des changements importants, Un grand congrès du FLN est prévu pour le début de 1979. Nous devons dresser le bilan, passer en revue ce qui est positif mais surtout examiner les causes de nos échecs, rectifier nos erreurs et définir les nouvelles options. Témoin de notre expérience, vous  êtes le mieux placé pour juger ces évolutions et en rendre compte. » Intrigué, je lui avais posé quelques questions : envisagez-vous d’ouvrir la porte au multipartisme ? D’accorder plus de place au secteur privé ? De libéraliser la presse ? De faciliter l’organisation du mouvement associatif ? La façon dont il avait souri allait dans le sens d’une approbation. Puis : « Balta, vous êtes le premier à qui j’en parle, je ne peux être plus explicite pour le moment, mais faites-moi confiance, vous ne serez pas déçu si vous restez. »

J’ai expliqué au journal ce qui s’était passé, mais la direction a maintenu sa décision. Je suis donc retourné en informer Boumediène qui m’a dit : « Je ne peux que m’incliner, mais je déplore que vous ne puissiez pas être témoin des réformes importantes qui vont couronner, dans le sens de l’ouverture, celles dont vous avez été témoin depuis l’adoption de la Charte nationale ».

Ahmed Taleb Ibrahimi, ministre conseiller à la présidence,  m’a  précisé peu après que Boumediène lui avait raconté, ainsi qu’à Abdelaziz Bouteflika, notre dernière conversation.

Ahmed Taleb Ibrahimi, médecin de formation, m’avait confié, les larmes aux yeux, peu de temps après cette entrevue, qu’il avait uriné du sang. Des analyses secrètement effectuées en France, confirmaient la gravité du mal : « une hématurie avec tumeur maligne de la vessie ». On découvrira ensuite qu’il souffrait de la maladie de Waldenström, comme Pompidou.

Par la suite, Taleb Ibrahimi m’avait raconté qu’il estimait, avec Bouteflika, que c’est en France qu’il aurait été le mieux soigné. Boumediène ne le souhaitait pas parce que sa visite d’État n’avait pas eu lieu. Ils lui avaient donc suggéré l’Allemagne mais il avait opté pour Moscou estimant que le secret y serait bien gardé. Persuadés que les soins  y étaient médiocres, les deux ministres n’y étaient pas favorables, mais avaient dû s’incliner. Je vous rappelle que le président est arrivé à Moscou le 27 septembre, officiellement en visite de travail. Des problèmes ayant surgi au cours des soins,  ses compagnons avaient eu l’impression que les médecins soviétiques avaient soit commis une erreur de diagnostic, soit n’avaient pas les moyens d’administrer les soins qui convenaient.  Finalement, il a été rapatrié le 14 novembre. En survolant la France, il a tenu à envoyer un message cordial au chef de l’État. Il  a été accueilli à l'hôpital Mustapha Bacha d’Alger où il est décédé le 27 décembre 1978. Alors que j’avais été rappelé de Téhéran  à Paris le 20 pour passer Noël et les fêtes de fin d’année en famille, j’ai dû, malheureusement, rédiger sa nécrologie.

Ces cinq années en Algérie, les nombreuses visites que nous avons continué à effectuer dans votre pays et les relations que nous entretenons avec vous, constituent une part importante de ma vie. Il m’arrive d’écrire : « Né à Alexandrie de père français et de mère égyptienne, la France est ma patrie et l’Égypte ma deuxième patrie. Je considère, depuis 1978, que l’Algérie est ma troisième patrie. »   

Merci de votre attention. Je suis prêt à répondre à vos questions et à dialoguer avec vous.

 

                                         DEBAT

 

Paul Balta : Je vais conclure avec une bonne nouvelle : selon plusieurs spécialistes, la presse algérienne, en arabe et en français, est la plus libre du monde arabe ! Un exemple récent : ce n’est pas à vous que j’apprendrai que plusieurs journaux ont critiqué les autorités pour ne pas  avoir suffisamment informé sur la prise d’otages à In Amenas. Echorouk, a écrit : "Le pouvoir n’a pas réussi, une nouvelle fois, à communiquer avec son peuple". Le Soir d’AlgérieLiberté et d’autres sont aussi critiques. Chers étudiants en journalisme, vous avez un bel avenir.

© PAUL BALTA, Samedi 19 janvier 2013, ENSJSI, Alger/Ben Aknoun

 


 

 


 

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