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Presse 1988/1992 - Historique (2è partie)

Date de création: 26-11-2010 06:09
Dernière mise à jour: 26-11-2010 15:15
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PRESSE 1988/1992 -HISTORIQUE (2/2)

par Belkacem Ahcene-Djaballah

 

 

"Si je devais opter pour un gouvernement sans journaux

ou une presse sans gouvernement,

je n'hésiterais pas un instant à choisir la seconde option"

Thomas Jefferson

Donc, tout ceci n'a pas manqué d'exaspérer, d'abord le Chef du Gouvernement, puis les "dépassements" ayant dépassé les bornes nationales, le Chef de l'Etat lui-même, puisque le 21 Octobre, lors de la cérémonie d'ouverture de l'année judiciaire 1991-1992, il avait fait part de son intention de, sinon bloquer, du moins freiner le processus :

 

"La presse indépendante et publique ne peuvent indéfiniment nuire aux intérêts de l'Algérie, en s'attaquant, sans fondement, sans preuves, sans justification, à des pays ou à des personnalités de premier rang. J'ai donné des instructions en ce sens au Chef du Gouvernement pour que les avants-projets de loi tiennent compte de cet état de fait…". Reçu cinq sur cinq ! Peu de temps après, les tribunaux se voyaient adjoindre des sections spécialisées en matière de traitement des délits de presse : "Tribunaux d'exception", titrait El Watan (11 Novembre 1991), toujours porté sur les énoncés accrocheurs, mais sachant bien qu'une telle initiative du Ministère de la Justice, au demeurant légale et, à la limite, bien intentionnée, ne pouvait que susciter les plaintes les plus farfelues, les plaignants ayant recours davantage à la citation directe, fin des fins pour ainsi dire, plutôt que d'user du droit de réponse préalable reconnu par la loi.

Ainsi, à la date du 16 Décembre, on dénombrait au niveau des seuls tribunaux de Sidi M'Hamed, Alger et Hussein-Dey, pas moins de 50 affaires (El Massa, 17 Décembre 1991). Et, fin Janvier 1992, huit affaires en moyenne étaient examinées chaque semaine : "Quand elles n'aboutissent pas à l'acquittement, c'est l'emprisonnement avec amendes. Angoisse et solitude des journalistes…", écrit Latifa Madani (L'Observateur, 5-11 Février 1992).

"La presse a un avenir", disait le Chef du Gouvernement Mouloud Hamrouche en  Mai 1991 au  cours  de l'émission "C'est la vie" de la Chaîne 3 (radio)… Mais, "il faut qu'elle s'organise (…), que les plumes restent indépendantes et loin du capital", ajoutait-il. El Watan, du 21 Mai, commentait : "Au moment où la presse écrite (…) se débat dans des difficultés multiples, les propos du Premier ministre rendent encore plus vraie la thèse selon laquelle les pouvoirs publics, face à une réalité criarde, agissent plus par démagogie que par des actions concrètes. Plusieurs fois, ces mêmes pouvoirs publics ont été interpellés lorsque les engagements qu'ils avaient pris n'étaient pas honorés, mais en vain.

La question du coût d'impression du papier, des composants divers nécessaires à la fabrication d'un journal, revient comme un leitmotiv, mais sans solution. La preuve, beaucoup de titres sont à l'agonie, et ce n'est pas le "paraître"qui fera croire à ce "bel avenir"promis…".

Un constat dur, mais encore dramatiquement vrai, au début de l'année 1992. Encore plus vrai que la plupart des problèmes relevés se trouvaient à nouveau posés, aggravés par certaines tendances persistantes : les moyens d'impression disponibles s'essouflaient. Le  marché de la publicité se rétrécissait comme une peau de chagrin avec l'instabilité politique  et les contractions économiques. Les relations intra-sectorielles reposaient de plus en plus sur l'aléatoire. Le marché des consommateurs commençait à approcher de la stabilité, sinon d'une certaine saturation (tout du moins pour les journaux d'information générale). Le système de diffusion n'arrivait pas à suivre le rythme de création de titres. Les réformes n'arrivaient pas à transformer et à libéraliser l'environnement de la presse. Le secteur public— télévision en tête — offrait une image de plus en plus dégradée (les exemples les plus effroyables étant le décalage de plus d'une heure, du journal télévisé de 20 heures pour attendre la déclaration du Président du Hce, le Jeudi 16 Janvier 1992… et la fameuse interview — en date du 9 Novembre — accordée par le Colonel El Gueddafi à Hamraoui Habib-Chawki dans laquelle l'Histoire de l'Algérie était mise à mal)…

Et, les éditeurs et les journalistes tardaient à s'organiser en force (s) assez cohérente (s) et assez solide (s) pour avoir une vue globale et correcte des problèmes, pour imposer leurs analyses et leurs conclusions et, surtout, pour empêcher ou dénoncer les comportements abusifs — non rares, surtout en matière de licenciements —, des "patrons"… des journalistes… et des divers appareils.

Au début de l'année1992, sorte d'année - vérité pour la presse nationale, tous secteurs confondus, qui a vu le pouvoir changer de mains et le régime changer de forme, après la "démission" de Chadli Bendjedid, deux exemples (incidents !) significatifs, non par leur poids, mais par leur portée, ont eu lieu, résumant, à eux seuls, toute la problématique d'une communication nationale se voulant désormais résolument libre dans son expression (dans un système de démocratie pluraliste bien "mal-traitée") et libérée dans sa production (dans un système économique ni libéral ni socialiste) :

C'est, d'abord, l'arrestation des responsables (3) et de journalistes (5) du quotidien privé en langue arabe El Khabar, le 22 Janvier1992, au sein même de la Maison de la presse… dans un déploiement spectaculaire de gendarmes… pour avoir publié et diffusé (édition du Mercredi 22 Janvier) — sous forme de placard publicitaire — un communiqué du Fis signé Abdelkader Hachani, véritable appel à la désobéissance militaire ; infraction prévue par les dispositions du Code de l'information (articles 86 et 87) et du code pénal (article 96).

Au-delà de l'affaire El Khabar, "c'est, en fait, un avertissement lancé à l'intention de toute la presse… On montre le bâton après avoir distribué les carottes…", écrivait Ahmed Ancer (El Watan, 26 Janvier 1991).

Certes, les journalistes ont été relâchés dans les délais, l'autorité militaire ayant établi qu'il n'y avait pas de lien entre le parti islamiste et le journal. Certes, la justice a repris l'initiative, mais la bavure a fait date. D'autant que "l'affaire" a introduit, au sein même de la presse, un élément de césure, lié à la dichotomie — artificielle ou réelle, normale ou provoquée — presse arabophone/presse francophone et dichotomie qui avait ressurgi avec les résultats du premier tour des législatives en faveur du Fis, les journaux d'expression arabe, tous secteurs confondus, n'étant nullement catastrophés ; au contraire. Le fameux placard publicitaire comportait en effet un autre communiqué du Fis (n°8, en date du 21 Janvier) — accepté sans contrôle par l'éditeur…ou l'éditeur ignorant toute solidarité confraternelle ce qui est, à notre sens, plus grave encore — demandant le "boycott par le peuple musulman" de trois titres (El Watan, Alger Républicain et Le Matin) dont les journalistes étaient accusés de "mercenaires, branchés sur l'autre rive". Et, Ahmed Ancer de conclure : "A agir ainsi, impossible de s'acheminer vers cette presse réelle dont a besoin une démocratie authentique, basée sur une compétition saine et tout d'abord sur un travail de qualité"…

Quelque temps après, une (première) association de journalistes professionnels naissait. Circonstances obligent !

L'autre incident, c'est la menace de "ne plus tirer les journaux sur ses rotatives" par la direction d'El Moudjahid — soutenue par la section syndicale — au cas où les dettes (un total de 75 millions de dinars dont près de 30 pour le seul Horizons, 10 pour Alger-Républicain et 10 pour Quotidien d'Algérie), n'étaient pas rapidement honorées… dans les huit jours.

La grande question est donc posée de nouveau (elle l'avait été, toujours par El Moudjahid, accompagnée de la même menace, le 22 Octobre 1991 et elle le sera encore, plus tard, le 17 Septembre 1992) :

Qui doit supporter le coût financier du pluralisme médiatique qui revenait de plus en plus cher à l'Etat car, si l'on réfère au seul secteur public — sans Ech Chaâb et El Moudjahid, encore que ces derniers rejoindront le giron étatique le 3 Mai 1992 — qui, en 1991, cumulait plus de 15 milliards de centimes de dettes ? Il semblait bien que la question allait rester sans réponse tant que la confusion demeurait au niveau des grands choix économiques de l'Etat… et tant que les appareils en place ou à venir n'acceptaient pas de se dessaisir totalement, c'est-à-dire tant au niveau du secteur public que du secteur privé, du "pouvoir d'informer".

Effectivement, sous le gouvernement de Sid-Ahmed Ghozali, la question ne fut pas tranchée, la confusion aidant généralement les politiques à ajuster leur gestion selon les interêts et la conjoncture. De l'argent du "fonds" était "distribué", mais sans que l'on sache officiellement comment et même à qui très exactement, les informations sur le sujet étaient comptées, sinon inexistantes ou filtrées. Le sujet devenait quasi-tabou et on eut, peu à peu, la nette impression qu'une sorte de complicité conjoncturelle s'était établie, à partir d'un certain moment, entre le distributeur de chèques et les bénéficiaires (La décision du Csi comportant les critères, élaborée le 5 Novembre 1991 ne parut au Joradp que le 22 Novembre 1992… permettant ainsi l'institution légale d'une "commission d'aide financière" par décret exécutif en date du 12 Décembre 1992).

Avec le gouvernement Ghozali, la police ou la justice eurent fort à faire, avec quelques petites saisies (ex : El Djazair El Youm qui a vu des saisies locales fin Mars; le n° 29, fin Février1992 de El Massar Magribi ; El Forkane du 26 Avril ; Ech-Chaâb quand celui-ci, alors, "appartenant" au Fln, avait des positions islamistes tranchées ; En Nahda ; L'Eveil…) et quelques dossiers "chocs" (affaire Abderrahmane Mahmoudi, en Mars-Avril 1992 lorsque le directeur de l'Hebdo-Libéré, fut placé sous mandat de dépôt le17 Mars, et passa près de deux semaines à la prison de Serkadji pour avoir publié des documents sur les "magistrats faussaires / Affaire Mohamed Bentchicou, début Août 1992, lorsque le Directeur du quotidien Le Matin fut arrêté par la gendarmerie et gardé "deux nuits", pour avoir publié une information (fausse) sur l'arrestation de Chebouti, principal Chef du Mia / Arrestation le 21 Juin et emprisonnement durant plus de 15 jours (avec, à la clé, une première condamnation à 4 mois de prison ferme) du Directeur d'Ech Chourouk El Arabi, Ali Fodil et de Saâd Bouakba, l'éditorialiste polémiste, pour "atteinte à corps constitué" et "incitation par voie de presse à commettre des actes portant atteinte à la sûreté et à l'unité nationale" / Arrestation, sans mandat d'amener…qui fut élaboré après-coup, le 4 Juillet, du Directeur d'El Khabar, Chérif Rezki, par des policiers en civil pour avoir annoncé la "démission" de Larbi Belkheir, le Ministre de l'Intérieur…) qui transformèrent les salles d'audience, celle du tribunal correctionnel de Sidi M'Hamed en sa section "délits de presse" en véritables lieux de "spectacles" avec des "stars à la barre" ! De Louisa Hanoune à Anissa Boumediène en passant par Rachid Boudjedra, Aboubekr Belkaid et Ahmed Merani, sans compter les "permanents" comme Kamel Belkacem, Chafik Abdi, Saad Bouakba, Zoubir Souissi, H'mida Layachi et Abderrahmane Mahmoudi.

La pression était donc globalement indirecte (on a même signalé des visites d'agents du fisc qui, à l'insu des éditeurs concernés, ont décortiqué leurs avoirs bancaires (Le Matin,1er Avril1992).

Mais, la méthode changea du tout au tout après l'assassinat de Mohamed Boudiaf et l'arrivée de Bélaïd Abdesslam à la tête de l'exécutif ; désormais, on ne va plus s'embarrasser de précautions juridiques, la situation politique et sécuritaire ne le permettant plus, selon les gouvernements du moment.

La couleur est d'ailleurs annoncée par le Haut Comité d'Etat lui-même qui, lors d'une réunion, tenue le 8 Août 1992, en présence du Chef du gouvernement, annonce engager très rapidement des actions en matière de justice, d'information et de sécurité publique, "afin que prévalent l'autorité et la crédibilité de l'Etat, au service du citoyen…". Et, par Mohamed Hardi, le Ministre de l'Intérieur, peu de temps après, lors d'une table ronde à la télévision, le 26 Août : "La presse doit rester loin des luttes entre hommes politiques…".

L'esprit service public (pour ne pas dire gouvernemental ou étatique, ce qui serait plus juste) va alors s'emparer totalement des médias du secteur public, et être indirectement imposé aux titres privés grâce à des thérapies de choc : D'abord, en reprenant une idée "ghozalienne" qui avait échoué (dont le but, inscrit dans un communiqué du Conseil de gouvernement du 2 Juin 1992, était clair : "Exclure du bénéfice de la répartition de la publicité des organes qui se rendent coupables de désinformation commanditée par le réseaux informels aux fins de déstabilisation de l'Etat"), en l'occurrence la "régulation" du flux publicitaire.

Une circulaire du Chef du gouvernement sur l'usage des budgets publicitaires des entreprises publiques économiques (Epe) est produite le 19 août puis complétée en Octobre, faisant obligation à celles-ci de passer par l'Anep (90-95 % du marché), une autre entreprise publique, auparavant détentrice du monopole de la diffusion publicitaire. Ensuite, on décide que "lorsqu'il y a légèreté civique", pour emprunter à un journaliste, on use de la suspension pure et simple de parution, pour un temps ou pour longtemps, la chose ayant été rapidement facilitée par l'aménagement, intégrant la presse, du décret législatif instaurant l'état d'urgence.

En peu de temps, 4 quotidiens sont suspendus de parution (Le Matin et la Nation le 8 Août et El Djazaïr El Youm le 9 Août (l'arrêté ne sera rendu public que le 15 Août), puis Liberté le 3 Octobre, ce dernier pour 15 jours selon le communiqué du Ministère de l'Intérieur) ainsi que 3 périodiques (Essahafa, l'hebdomadaire satirique, le 19 Août, Barid Ech Charq le 5 Septembre et A La Une le 28 Septembre). La suspension sera certes levée pour les 4 quotidiens le 7 Octobre, suite à un simple communiqué du Ministère de l'Intérieur puisque la Justice — la Chambre administrative du tribunal d'Alger saisie par les journaux concernés — s'était déclarée incompétente, mais désormais l'habitude est prise. Le 17 Octobre, l'hebdomadaire En Nour est suspendu et le 22, ce sera autour de L'Observateur (pour avoir publié une interview d'une femme "mortellement Fis", incitant à la violence et à l'encouragement des actes terroristes) et, désormais, sans doute pour plus de respect de la légalité, les arrêtés sont signés du Ministre de la Culture et de la Communication. Conséquence : certains titres ne reparaîtront plus, une interruption d'édition générant seulement des charges (Ainsi, Le Matin qui fut le premier, et le seul journal à publier ses comptes le 26 Juillet 1992, annonçant, pour 1992, des prévisions de bénéfices, aurait perdu 1 milliard et demi de centimes et 30 % de ses effectifs).

En effet, l'Economie de la presse avait vu ses conditions évoluer si rapidement que les difficultés étaient devenues mortelles : concurrence à la limite du "sauvage", augmentation des coûts d'impression (de 1,20 dinar l'exemplaire à 2,01 à partir du 29 mars 1992 pour le journal de 24 pages format tabloïd ou de 12 pages format ordinaire, ce qui avait entraîné une augmentation de 2,50 à 4 dinars du prix de vente des quotidiens et de 5 à 8 ou même 10 dinars celui des hebdomadaires), contraction des dépenses publicitaires, mauvaise diffusion, introduction de la Tva, augmentation effarante des tarifs d'abonnement aux agences de presse, etc…

Après le quotidien Match, Parcours Maghrébin et Le Chroniqueur, de Médéa, ce sont Le Quotidien d'Algérie et Le Jeudi d'Algérie de Kamel Belkacem qui, couverts de dettes, furent les premiers grands titres à "mettre les clefs sous le paillasson" (17 Septembre 1992), suivis par la Nation, dont l'équipe dirigée par Ammar Belhimer, devinant que la ligne éditoriale défendue jusqu'alors allait être modifiée sous le poids des contraintes matérielles et de l'environnement, annonçait, le 17 Octobre, son intention de ne plus y écrire en cas de re-parution. Début Novembre, Le Jeune Indépendant disparaissait.

Ainsi, en quelques mois à peine, le Haut Comité d'Etat et le Gouvernement de Bélaïd Abdesslam allaient réussir le "tour de force" de gagner là où les trois premières équipes dirigeantes avaient lamentablement échoué malgré toutes les manœuvres. Ils allaient même réussir un "doublé", notable certes, bien que peu honorable pour la démarche démocratique classique : "Responsabiliser" la presse algérienne, nouvelle et ancienne, privée et publique et désormais (à l'exception de l'étonnant Hebdo-Libéré, sorte de franc-tireur bénéficiant de soutiens certainement plus efficaces que ceux des autres puisqu'il se permettait de "secouer", avant leur ascension, aux postes suprêmes, il est vrai, Bélaïd Abdesslam, présenté (n° 64, 17-23 Juin 1992) par un "historien" comme ayant déserté au Maroc au début de la Révolution et condamné à mort par le Fln, ou un des membres de la famille Kafi qui serait un "magistrat faussaire". Et, à l'exception du quotidien du secteur public Essalam qui n'était, lui aussi, aucunement inquiété et ce, malgré ses prises de position et ses commentaires parfois virulents à l'endroit du gouvernement ou de certains de ses membres qui lui paraissait s'éloigner peu ou prou de la ligne nationaliste et arabo-islamique. Il est vrai qu'il avait ses soutiens au Hce et surtout à l'Onm), on ne courait plus le "scoop", on ne commentait plus sévèrement ou légèrement et on prenait toutes les précautions pour ne pas risquer soit le procès en diffamation et surtout la suspension.

Dans la foulée, on neutralisait tous les "informateurs" et toutes les autres "sources sûres" beaucoup plus "manipulateurs" qu' "informateurs" se situant à l'intérieur ou à l'extérieur (mais proches des coulisses) du pouvoir, une "sorte d'hydre à mille têtes" qui avait dérangé, traumatisé ou même aidé à "couler" les gouvernements successifs. Le communiqué du ministère de la Culture et de la Communication précisait d'ailleurs, que "ce ne sont ni les journalistes ni la presse qui sont visés" par les mesures de suspension. Mais, tout cela allait-il durer quand on savait la "patience", l'expérience et surtout l'entêtement des journalistes algériens ?

Néanmoins, on pouvait conclure provisoirement qu'après deux années et demie de liberté, parfois sans retenue, la vision "bloquée" sur les médias des "élites" au pouvoir (qui n'ont jamais admis que les journalistes soient des "faiseurs d'opinion" mettant ainsi en exergue leur incapacité à gérer convenablement la société) triomphait, aidé en cela par "l'état d'urgence". Détails symboliques :

La première intervention du nouveau Chef du Gouvernement fut "couverte" seulement par l'Entv et l'Aps et, dès le 21 Juin 1992, l'intention gouvernementale de renforcer le secteur public de la presse écrite était clairement affirmée en Conseil. Plus significatif encore : Lors d'une réunion avec les éditeurs de la presse publique le 28 Septembre, le Chef du Gouvernement a été clair. "Les organes de service public (?) ne sauraient à l'avenir se complaire dans l'attentisme, encore moins critiquer l'action de l'équipe gouvernementale actuelle". Le Directeur Général d'El Massa, Mohamed-Chérif Anane, n'y assistait pas, car démissionnaire… parce qu'il savait qu'il n'était pas le bienvenu à cette réunion : Le 25 Juillet, dans un éditorial retentissant, il avait qualifié de "hogra" gouvernementale la "suspension collective" des journaux.

Dans une situation socio-politique, il est vrai, perturbée et électrisée, face aux problèmes financiers, techniques et économiques rencontrés (par les entreprises) et, surtout, totalement inorganisés, malgré l'existence de l'Aja, tant au niveau des éditeurs que des journalistes, le Conseil Supérieur de l'Information brillant par son "absence", les équipes rédactionnelles "infiltrées" pour certaines d'entre elles ou trop jeunes pour d'autres, continuant à s'entre-déchirer (Quotidien d'Algérie / Alger-Républicain, Alger-Républicain, Le Matin. Presse Arabophone / Presse Francophone jusqu'à l'insulte surtout après le premier tour des législatives. Algérie Actualité / Quotidien d'Algérie, Zouaoui Benamadi démissionnaire qualifiant Kamel Belkacem de "danseuse du ventre", à cause de ses retournements multiples. Algérie Actualité / Hebdo-Libéré / Le Journal. La Nation / Hebdo-Libéré après que le premier ait publié la lettre de démission du Rédacteur en chef du second, Arezki Aït Larbi. El Watan / Simsar. Baroud / Liberté.  Alger-Républicain / Essalam. Etc…), la presse algérienne se retrouvait à nouveau confrontée à ceux qui, pour certains, n'avaient, au fond, jamais accepté qu'elle acquière son indépendance et qui, pour d'autres, plaçaient la responsabilité avant la liberté avec ce grand défaut de vouloir délimiter, seuls, les frontières : Le (s) pouvoir (s), aidés en cela parfois par certaines formations politiques, éternels soutiens "critiques" et par certains organes de statut privé à la recherche surtout d'aides financières. Même l'Anp, assez "cool" et même innovatrice par le passé, adopta une attitude méfiante (El Djeïch, n° 349, Août-Septembre 1992; Interview du Colonel Bouchareb, Directeur de la Communication au Mdn) et c'est, peut-être, cela qui encouragea le Chef du Gouvernement à accuser, le 21 Novembre, en direct, à la télévision, certains titres et journalistes de la presse indépendante "de corrompus et de traîtres".

La lutte recommençait. Et, la désignation au poste de Ministre (de la Culture et de la Communication d'un journaliste (la "pochette-surprise"), Hamraoui Habib-Chawki, nouveau "boumediéniste", n'allait pas arranger les choses. Au contraire. Car, il était historiquement démontré que les journalistes assumant les fonctions de Ministre n'ont jamais été tendres pour leurs (ex-) confrères, les accusant généralement d'être "manipulés", de "faire le jeu de l'étranger" et des forces du mal et de ne pas être assez "professionnels". Le communiqué du Ministère concerné, rendu public après les suspensions d'Août 1992, est, à ce niveau, un véritable chef-d'œuvre de leçon de non-journalisme.

Ceci, en n'oubliant pas que Mohamed Hardi, le Ministre de l'Intérieur a été, un certain temps, journaliste (au Peuple) dans les années 60 et Secrétaire Général du Ministère de l'Information durant les années 77-78. Par ailleurs, son premier chef de cabinet a été très longtemps, lui aussi, Directeur puis Secrétaire Général au Ministère de l'Information (avec, entre autres, Ali Ammar). La fin de l'année 1992 verra les suspensions se multiplier dans une sorte de valse infernale : El Djazaïr El Youm est à nouveau suspendu après une re-parution de sept jours (14 Décembre), El Massa est interdit d'impression durant deux jours et on assistera aussi à des licenciements "disciplinaires" : Enrs Chaîne 3, El Massa…

Heureusement, sur le plan quantitatif, une certaine satisfaction demeurait, satisfaction d'autant plus notable qu'on savait qu'elle allait, malgré toutes les attaques des centres de pouvoir et les manœuvres des forces d'argent, permettre à la presse algérienne de progresser dans la liberté, certes menacée, mais bel et bien retrouvée.

Ainsi, on est rapidement passé de 6 quotidiens en 1989 à 11 au début de l'année 1991 (dont 4 privés) puis à 17 en Décembre de la même année, à 18 (dont 8 en arabe) en Mai 1992 et à 21 en Juin (dont 13 en français). Pour ce qui concerne les hebdomadaires, 40 titres principaux étaient recensés (dont 19 en arabe). Quant aux autres périodiques, on en décomptait plusieurs dizaines donnant ainsi un paysage médiatique meublé de près de 150 litres.

On notait cependant, après l'euphorie papivore des années 90-91, que le marché commençait à se stabiliser dès le début 1992, l'augmentation des prix de vente (en plus de l'évolution de la situation politique, des difficultés économiques du pays en matière d'approvisionnements réguliers et la contraction des ressources publicitaires et une aide financière étatique directe qui tardait, ou indirecte qui s'avèrera insuffisante) accélérant le processus d'une lecture sélective et donc, de disparition.

Ainsi, les quotidiens passèrent de (tirage) 1.171.898 exemplaires par jour en Décembre 1991 à 1.013.059 en Mai 1992 et les hebdomadaires de 1.529.422 exemplaires par semaine à 1.293.564 exemplaires. Il restait cependant beaucoup d'espoir car plusieurs créneaux n'étaient pas exploités comme il le fallait, la plupart des promoteurs attirés par l'information politique générale et la presse écrite nationale : la presse locale, la radio Fm et la presse spécialisée. Mais, fallait-il encore que le nouveau régime lié au Hce et à l'après-chadlisme accepte de favoriser le développement du 4ème pouvoir, pilier d'une vie démocratique vraie. Et ne pas, sous couvert de "l'état d'urgence" et d'une déontologie (peut-être) mal assimilée par les uns et par les autres, freiner ou même stopper le processus en usant ou en abusant de ses moyens et de ses pouvoirs.

Le début de l'année 1993 ne poussait, hélas, guère à l'optimisme, le quotidien El Watan se voyant, lui aussi, touché par une mesure de suspension et l'emprisonnement de six de ses journalistes après qu'il ait donné une information sur l'assassinat de 5 gendarmes à Laghouat. De l'autre côté, on assistait à une grande offensive médiatique (presse privée francophone) contre la direction de l'Entv accusée de tous les maux… dont le plus grand était peut-être sa tendance arabiste et nationaliste.

 

(Extrait d'ouvrage: Chroniques d'une démocratie "mal-traitée" (octobre 1988- Décembre 1992. Editions Dar El Gharb, Oran, 2005)