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Ecriture de l'Histoire/Le Soir d'Algérie, 7 novembre 2023

Date de création: 07-11-2023 18:55
Dernière mise à jour: 07-11-2023 18:55
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HISTOIRE- OPINIONS ET POINTS DE VUE- ÉCRITURE DE L’HISTOIRE/ LE SOIR D’ALGÉRIE, 7 NOV 2023

La «première balle» qui «tue» l’écriture de l’Histoire !

© Le Soir d’Algérie, Noureddine Khelassi, mardi 7 novEmbre 2023

Le titre et la présente chronique, commémoration du 69ème anniversaire du 1er Novembre oblige, sont inspirés d’une récente réflexion sur Facebook d’un fils de chahid, agronome-chercheur issu d’une famille de moudjahidine de l’Est, patriote mémoriel et passionné d’histoire de la guerre de Libération nationale. Auteur de notamment Les Totems de Y’Oudaïne et les Galets de Sidi-Ahmed, Aziz Mouats a, à la faveur d’un hommage à un des premiers historiques du FLN-ALN et martyr emblématique Benabdelmalek Ramdane, mort au combat le 4 novembre 1954, appréhendé deux facteurs pertinents relatifs à la difficulté d’écrire l’Histoire de la guerre d’indépendance, avec le « majuscule de rigueur. Il s’agit de la dichotomie toxique entre historiens arabophones et francophones et de ce qu’il a appelé le «complexe de la première balle» tirée le 1er novembre 1954, et dont on n’arrive pas à déterminer l’origine et l’heure exactes, du point de vue de la rigueur méthodologique de l’historien.
Aziz Mouats classe donc les historiens et autres chercheurs algériens en deux catégories antinomiques et parfois rudement antagoniques : les arabophones et les francophones. Les premiers rechignent à lire et à consulter les travaux réalisés en français. Et quand ils parviennent à surmonter l’obstacle de la langue, «ils sont souvent confrontés à une maîtrise rudimentaire des textes». Et comme il est connu que l’essentiel des documents-ressources sont en français, tout comme d’ailleurs la grande majorité des archives françaises et algériennes, «ils éprouvent alors d'énormes difficultés à comprendre le sens de textes qui sont souvent rédigés dans un langage spécifique, voire précieux, celui qu'affectionnent particulièrement les officiers et les historiens français, dont la quasi-totalité sortent de grandes écoles et de prestigieuses académies militaires françaises».
Leurs confrères francophones se divisent en deux sous-catégories. D’abord celle des historiens et chercheurs formés dans les universités françaises « qui ont épousé le canevas imposé par l'école de Charles-André Julien. Ils sont les plus nombreux, les plus actifs et les plus visibles. Ils constituent la grande majorité». Ensuite celle des francophones «totalement affranchis de la doxa française, qui sont très minoritaires et subissent souvent une discrimination qui les éloigne des forums de discussion, des sources de financement et des maisons d’édition dans les deux rives».
Reste la parabole de la «première balle ». Le chroniqueur historique Aziz Mouats pense à ce sujet que «cette insupportable focalisation sur l'origine de la première balle de Novembre 1954, outre le fait qu'elle continue à entretenir la confusion, nous éloigne des sujets plus complexes et plus humains qui se sont conjugués pour faire aboutir le processus révolutionnaire de Novembre». Cette allégorie de la «première balle» de la genèse résume à elle seule toute la complexité pour nous, Algériens, d’écrire l’histoire de la guerre d’indépendance et de l’ensemble du mouvement national qui a favorisé, tel le mouvement des plaques tectoniques, son déclenchement le jour J, à l’heure H et à l’instant T. Se pose alors la problématique de l’existence d’historiens dignes de ce nom, en nombre suffisant et en qualité académique requise, de l’accès aux archives et de la méthodologie utilisée pour les interroger, sans oublier la réunion du maximum possible de témoignages d’acteurs ayant une valeur documentaire et de témoins encore plus crédibles que digne de foi.
«Accorder davantage d'intérêt à l'histoire de la révolution nationale, à son écriture sur la base des témoignages des moudjahidine encore en vie», déclarait en 2017, à propos de l’écriture de l’Histoire, le ministre des Moudjahidine Tayeb Zitouni. Mais passons donc sur son idée d'écrire l'Histoire sur l'unique base des témoignages des anciens combattants de la Liberté encore en vie. Pour ne retenir finalement que l'exigence d'écriture de l'Histoire elle-même qui ne se fonde pas sur la seule mémoire des acteurs qu'il faudrait exploiter bien sûr, avant qu'il ne soit trop tard. En effet, «toutes les fois qu'un moudjahid disparaît, nous enterrons avec lui une partie de l'Histoire, et une information précieuse s'en irait si elle ne venait pas à être enregistrée et répertoriée.» L'auteur de ce signal d'alarme est un certain «commandant Abdelkader Mali», acteur de seconde zone de la guerre de libération et septième Président de l'Algérie indépendante. Tous les militants de la guerre d'indépendance ont certes la même foi : un moudjahid qui disparaît, sans avoir livré les secrets de sa « boîte noire», et c'est le disque dur même de la mémoire du 1er Novembre 1954 et du mouvement national qui en est d'autant amputé. La biologie étant perpétuellement en œuvre, beaucoup de porteurs de mémoire ont disparu. Et pourtant le débriefing des mémoires reste encore à réaliser, et l’écriture de l’Histoire à ériger en véritable entreprise intellectuelle !
Soixante et un ans après l’indépendance, la question de l'écriture de l'Histoire par les Algériens eux-mêmes est toujours posée, avec encore plus d’acuité. En fin 2023, on est encore au même constat de carence, c'est-à-dire du travail historique objectif qui reste à faire ou à parfaire. À voir l’ancien chef de l'État souligner l'impérieux besoin de recueillir les témoignages des combattants de l'ALN et des cadres et militants du FLN et de l'OCFLN encore vivants, on en vient à déduire que cette œuvre est encore parcellaire, frappée du sceau de la pénurie et de la rareté. On en vient également à se poser la question du comment faire et avec qui le faire ce travail d’accouchement au forceps des mémoires ? Indépendamment, bien entendu, de l'indispensable exploitation académique des archives disponibles en Algérie et des archives coloniales à l’étranger.
Comment faire alors quand on dispose de peu d'historiens dont la recherche permanente et la production régulière de travaux sont une vocation essentielle et une raison d'être intellectuelle ? Comment faire justement alors qu'existe une crise de vocation ? Et que le département d'Histoire de l'université algérienne forme généralement de piètres rhéteurs arabophones, en lieu et place de réels historiens polyglottes si ça pouvait être le cas ! On peut donc se demander sur combien d'historiens réels pourrait s'appuyer notre pays pour écrire son Histoire, autrement que par la célébration ritualisée et magnifiée d'une mémoire officielle ? Ou encore à travers l'expression de mémoires subjectives, c'est-à-dire l'interrogation émotionnelle du vécu, l'évocation d'anecdotes sans valeur scientifique ou de bribes d'histoire qui circulent, d'itinéraires personnels ou de tradition familiale. L'état des lieux n'est généralement pas encourageant, loin s’en faut.
Force est de dire par conséquent qu’il n'y a pas aujourd'hui d'école algérienne de l'Histoire, des Malika Rahal, Hassan Remaoun et autre Daho Djerbal étant, entre autres exemples adéquats, de belles exceptions. L'Algérie, et on ne peut que le déplorer encore, a peu d'historiens qui seraient de véritables références dans leurs domaines de spécialité. Il n'existe pas aujourd'hui, fort malheureusement, des Mahfoud Kadache, des Mohamed Harbi, des Mouloud Gaïd ou encore des Mohamed Téguia, même si certains d'entre eux ne furent pas aussi prolifiques que les Français Charles André Julien, Charles-Robert Ageron, Gilbert Meynier ou Benjamin Stora. La carence et le défaut se conjuguent aussi au féminin. À l’exception de Malika Rahal, il n'y a pas de nos jours une Madeleine Rébérioux ou une Annie Rey-Goldzeiguer algériennes, c'est clair.
Le presque vide du champ de l'écriture et la faiblesse de l'historiographie sont d'autant plus navrants aujourd'hui que s'était pourtant affirmée durant la période coloniale une vraie école de contre-histoire algérienne. D'abord en arabe, avec des auteurs issus du mouvement des Oulémas comme Moubarak El Mili, Ahmed Tawfiq El Madani et Abderrahmane El Djilali. Ensuite, en français, sous la signature d'intellectuels de premier ordre du PPA-MTLD, comme Mohamed Chérif Sahli et Mustapha Lacheraf.
En réalité, le problème de l'écriture réside dans le statut officiel et dévalorisé de la recherche historique, des moyens étiques qui lui ont toujours été alloués, de la qualité médiocre de l'enseignement de l'Histoire, du nombre limité d'historiens qualifiés et, surtout, de la philosophie et de l’idéologie qui sous-tend l'écriture de l'Histoire et qui a comme soubassement la glorification permanente et dominante de la geste révolutionnaire.