HISTOIRE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-
ROMAN KAOUTHER ADIMI- « AU VENT MAUVAIS »
Au vent
mauvais. Roman de
Kaouther Adimi, Editions Barzakh, Alger 2022, 280 pages, 1 000 dinars
Il y a un village perdu quelque part
en Algérie, El Zahra .
Nous sommes en 1922 et il y a trois
gamins : Tarek, Said et Leïla qui s’amusent et
grandissent ensemble...les deux premiers frères de lait (tous deux nourris au
sein de Safia, une nourrice).....mais les deux déjà secrètement amoureux de
Leïla
Un peu plus tard ,
Tarek , orphelin très tôt, après avoir été
berger, un berger timide et discret ,
s’en ira participer (contre son gré comme beaucoup de jeunes Algériens
mobilisés de force) à la 2ème guerre mondiale, Said après des études universitaires ...à
l’étranger (fils d’imam quelque peu nanti ) sera , lui aussi , mobilisé et Leïla
sera mariée , contre son gré, à un
homme bien plus âgé qu’elle.
Démobilisé , Tarek va connaître la solitude et les difficultés de l’exil (dont
le racisme) .De retour au pays, il
épousera (enfin !) Leila depuis un certain temps divorcée. Il rejoint, par la suite, la lutte pour l’indépendance, puis participe
, comme chauffeur, décorateur, acteur, etc .....,
au tournage de « La Bataille
d’Alger »,sous la direction de G. Pontecorvo, avant de re-partir
travailler dans une usine, en région parisienne. Grâce à l’aide
« téléphonique » de Pontecorvo, il se retrouve gardien d’une
magnifique villa à Rome, parsemée d’œuvres d’art incroyables. Leïla, elle, connaît la vie des femmes
rurales de cette époque. Cantonnée dans l’éducation des enfants et les tâches
ménagères, elle décide d’apprendre à lire et à écrire. Mais la publication du
premier roman de Saïd, devenu écrivain, vient bouleverser la vie du couple.
Son livre à succès décrit le village et ses habitants, dont Leila, sans changer
les prénoms et les situations (« C’est un roman sur l’Algérie d’aujourd’hui.On y croise des
personnages tous liés les uns aux autres. Ils sont nés dans le village d’El Zahar.....Leila,
une jeune fille des plus ordinaires, Tarek, un berger rustre mais attachant et
Safia qui fabrique des poteries.... ») .Tout est
étalé dans la presse .Une sorte de « vol » littéraire qui
n’est apprécié par personne, les villageois et encore plus Leila (déjà
ostracisée par ses voisins) , s’estimant violés dans leur intimité. Tarek
doit rentrer au plus vite, abandonnant son paradis artistique romain. La famille quitte le village pour s’installer
à Alger . Elle n’y reviendra que plusieurs années après , ne se
sentant plus en sécurité à la Casbah/ Alger, avec la montée du terrorisme
islamiste et une guerre civile ne disant pas son nom.
En
définitive, à travers les destins croisés de trois personnages, Kaouther Adimi dresse une grande
fresque de l’Algérie, sur
plus de sept
décennies : l’occupation coloniale, mai 45, la guerre de libération nationale,
le tournage de La Bataille d’Alger et le coup d’Etat du 19 juin 1965, le
(Festival) Panaf 1969, les débuts de la décennie
rouge, l’assassinat de Mohamed Boudiaf...Une belle histoire d’amour du fond
d’Histoire !
L’Auteure : Née en
1986 à Alger. Etudes de littérature .Vit et travaille
à Paris. Déjà auteur de quatre romans dont le remarquable « Nos
richesses » (Prix Renaudot des Lycéens, Prix du Style et
Prix Beur Fm, en 2017) et « Les Petits de Décembre (2019).
Table : L’écrivain/ 1.Tarek/
2. Leïla/ Remerciements/ Sources
Extraits : « Ce n’est pas parce qu’on a
combattu pour la France et qu’on porte un uniforme français qu’on n’est pas des
étrangers, hein ? Ah, les gens sont mauvais partout » (Un soldat
arabe à la fin de la 2ème
guerre mondiale, p 51), « Rome est une ville bruyante qui grouille de
monde, encore pire que Paris.Et lorsque la pluie
s’abat sur la ville, elle me donne le sentiment qu’elle cherche à nous
fracasser » (p 167), « A chaque fois qu’un événement grave se
produit, la télévision algérienne suspend tous ses programmes pour diffuser
pendant des heures des documentaires animaliers.C’est
leur façon à eux, aux gens du gouvernement je veux dire, de gérer la
crise » (p 246)
Avis :Un rythme d’écriture très rapide.
Affolant même . Certainement pour
éviter tout « remplisssage » pratiqué par
bien de nos romanciers. C’est ce qui donne à son « Histoire » de l’Algérie , à partir des années 20 et jusqu’au début
des années 90, une grande épaisseur.
Citations : « Ce n’est pas une mauvaise
chose de mourir pour son pays » (Frantz Fanon cité, p 78), « Une
minute suffit à faire basculer une vie. Une minute et tout ce qu’on a construit
patiemment peut être détruit » (p 132), « Comme souvent
lorsqu’on claque la porte le premier sentiment qui suit le bruit est le
regret » (p147), « Ce que vous permet l’art, c’est d’avoir le sentiment
d’être à la fois éternel et mortel, c’est quelque chose d’effrayant et de
douloureux mais aussi un sentiment extraordinaire. Admirer une œuvre, c’est repouser la mort, c’est permettre à la vie de gagner.
Posséder ce genre d’œuvres d’art, c’est être béni des dieux » (p
161), « C’est donc ça être écrivain ? Couper, monter, imaginer des
souvenirs et fouiller dedans ? Créer une histoire à partir de petits
bouts ? Changer les dates, mélanger les événements ? Créer à partir
de rien ? (p 201), « Une fille vous met face
à vos contradictions, contrairement à une épouse qui veut bien feindre de ne
pas les voir. Une fille ne vous pardonnera rien, n’accepte aucune faiblesse de
la part d’un père, n’est jamais compréhensive » (p 270)