HISTOIRE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN ASSIA
DJEBAR- « LA FEMME SANS SÉPULTURE »
La femme sans sépulture. Roman de Assia Djebar. El Kalima Editions , Alger 2025
(Albin Michel, 2002).197 pages, 1 200 dinars
Un ouvrage vibrant célébrant le courage des femmes
algériennes et qui questionne la manière dont une nation se construit sur sur ses martyrs......oubliés.
Ces dernières années, quelques livres (dont 1 de Kamal Bouchama en 2016 , 1 de M’hamed Houaoura en 2017 et 1 de
Aziz Mouats en 2022) ont été publiés sur la vie militante
et engagée -jusqu’à en mourir- de Zoulikha Oudaï, héroïne cherchelloise de la guerre d’indépendance ( de
« délivrance »), capturée, tioorturée puis
assassinée par l’armée coloniale française et dont la sépulture n’a été , je
crois, retrouvée qu’en 1987. « En
1956, en 1957, Zoulikha était vraiment au
centre : pas seulement du combat à Césarée, mais des réseaux à maintenir,
des liaisons à établir entre les montagnes -avec ses partisans, et les citadins
à demi engagés, englués, tremblants, prudents, pleins d’espoir aussi, voyant
l’avenir approcher avec ses séismes et ses orages » (Epilogue, p 191). Une
véritable « Dame lionne à la crinière rousse ».
Assia Djebar, revenue au « pays », qui ne l’a
jamais quitté, en 1976, avec pour objectif un film long métrage sur « les femmes du Mont Chenoua », a
su, à travers les témoignages de proches de Zoulikha,
, dont sa fille Mina et sa sœur Zohra et de son amie et alliée , Lla Lbia (seule soutien quand
celle-ci -Zoulikha-
, était harcelée, durant des mois et des mois, par le commissaire de
police de la ville et quand ensuite, elle voulut rejoindre les partisans et que
le vide s’élatgissait autour d’elles) restituer le
combat de cette femme, devenue une des responsables Fln/Aln
de la région ; femme qui avait perdu son époux, lui aussi exécuté par
l’armée colonilale , ainsi que son fils Habib, celui-ci décédé au maquis.Elle a , donc, su et pu redonner chair et souffle à
cette figure effacée de notre Histoire contemporaine. Puissance des voix
féminines, douleur des disparus, urgence de témoigner. Entre une mémoire
collective en quête introuvée, un écrit qui « fait surgir une polyphonie
bouleversante où les silences deviennent plus éloquentes
que les cris »
L’Auteure :Voir plus haut
Table : Avertissement/ Prélude/ 12 parties/ Épilogue
Extraits : « Ainsi, « notre » Zoulikha,
si elle était née homme, aurait été général chez nous, comme bien d’autres
peuples, car elle n’a jamais craint quiconque et elle aimait l’action.....Dites-moi,
mes petites, où trouver de nos jours une telle femme ? » (p 68), « Je croyais que la télévison
avait besoin d’un documentaire , comme il y en avait tant sur les héros
morts !....Zoulikha vivante aujourd’hui, elle
les aurait dérangés tous !....Ils me paraissent parfois-chacun pour des
raisons diverses-comme soulagés, c’est le mot, oui, soulagés qu’elle, ma Zoulikha, ait disparu ! « (Témoignage de Hania, p 75), « Arrivant à la montagne chez les
partisans, j’ai eu l’impression de reprendre une marche : vers où, vers
quel but, je me disais seulement : jusqu’au bout ! » (p157)
Avis :Une succession de plans, comme dans
un film beaucoup, plus que dans un récit
littéraire.D’où une œuvre bien captivante avec ses
allers et retours passé-présent.Une écriture légère
entraînant une lecture décontractée ....sur fond de tragédie.
Citations : « Chaque délai, chaque retard, recèle en lui, un
bien caché » (p66.....proverbe arabe), « La
peur, mes petites, vous fait tout apprendre le franaçis,
et même la langue du démon, si besoin est » (p 71) , « La beauté de la poésie,
ce n’est jamais ailleurs.Peu importe où vivent les
poètes ! » (p 87), « Et les
regards ! Qui dira les regards dévorateurs, voleurs, violeurs, de tant de
jeunes mâles, immobilisés dans la rue, sans mots, sans rêve, sinon taraudés par
la pulsion de toucher l’hirondelle, de frapper, d’écraser la libellule....La
haine, par éclairs, explose on ne sait où, ni pourquoi... » (p89),
« La torpeur , depuis 1962, s’est réinstallée, écrasante : on la sent
dans les rues, dans les patios, mais pas là-haut, ni dans les montagnes, ni
dans les collines où flotte comme une réserve désabusée des gens, une poussière
de cendres en suspens, après le feu d’autrefois » ! (p 100), « Sur cette terre, la condamnation vient-elle du
fait que nous nous trompons parfois d’ennemi ? .....Vite,
un ennemi, vite, une voix à défier : et nous cherchons hors de notre sang
alors que , la première des énigmes, nous la portons en nous » (p112),
« La foule, à Alger, et presque pareillement à Césarée, est emportée dans
le fleuve morne du temps.Elle te signifie :
Oublie avec nous ! Fais comme si.....Nous avons
désormais , comme tant d’autres peuples, nos hontes, nos tatouages marqués au
fer sur le front, nos souillures sur la face !....Eh quoi, nous sommes
ordinaires comme tant d’autres nations qui n’ont pu éviter troubles et
convulsions » (p 196)