HISTOIRE- BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN ASSIA
DJEBAR- « L’AMOUR, LA FANTASIA »
L’amour, la fantasia. Roman de Assia Djebar. El Kalima Editions , Alger 2025 (Albin
Michel, 1995).304 pages, 2 000 dinars
Dans cet ouvrage , Assia Djebar multiplie
les narrateurs : elle ne prend pas toute seule le récit en charge, mais utilise
d'autres personnages, qui écrivent eux aussi : elle utilise leurs écrits pour constituer
le roman, qui devient une sorte d'assemblage et de collage de différentes
paroles. Non seulement cette équivalence est présente, mais on pourrait
ajouter une quatrième dimension, avec celle de l'approche historique :
l'Histoire de l'Algérie est prise en compte comme une composante essentielle du
moi
En vraie pionnière, l’auteure remonte donc le cours du
temps, se hasarde sur les traces des ancêtres, et lutte contre leur effacement.
Elle fait parler les silences du passé , questionne
les vivants et convoque les morts, tout en racontant ses propres expériences.
Le texte
divisé en trois blocs narratifs : Le premier tisse des histoires de
l’enfance algérienne (de l’auteure) , au début de la colonisation française, à
partir de 1830.Le second est composé d’histoires sur le colonialisme, des
histoires autobiographiques racontant le passage de la narratrice à l’âge
adulte et celles de la vie de femme mariée, de courte durée dans un appartement à Paris.Le
dernier , « les voix ensevelies », le plus long, est consacré aux
témoignages des femmes du Mont Chenoua qui ont
participé à la révolution armée.
Tout un continuum entre l’individu et le collectif.Une véritable
« autobiographie collective »
ou « autobiographie plurielle » ou « autobiographie
au pluriel » et un
« je-nous » opposé au « nous » de l’Occident. Une
marque de fabrique (que je trouve douloureusement vécue car on n’arrive pas à
choisir. Poids de la société ?) de nos écrivains !
L’Auteur : Née le 30 juin 1936 à Cherchell
(et décédée à Paris le 6 février 2015, à l’âge de 79 ans.Elle sera inhumée
à Cherchell), Fatma-Zohra Imalhayène, étudiante en
France, militante de la cause nationale
dès 1956, elle est exclue de l'Ecole normale supérieure des jeunes filles . Elle publie dans la
foulée son premier roman "La soif" (1957) suivi un an plus tard par
"Les impatients". Elle retourne en Algérie en juillet 1962 pour enseigner
l'histoire moderne et contemporaine de l'Algérie à l'université d'Alger, elle
va publier cette année-là "Les enfants du nouveau monde" puis
"Les alouettes naïves", profondément ancrés dans la guerre de
libération nationale. Elle se tourne à la fin des années 1970 vers le 7ème
Art, avec la réalisation de deux films , "La
Nouba des femmes du mont Chenoua",
qui a obtenu le Prix de la critique internationale à Venise en 1979, puis
"La Zerda ou les chants de l'oubli", qui remportera le prix du
meilleur film historique au Festival de Berlin en 1983. "Femmes d'Alger
dans leur appartement" (1980), "L'amour, la fantasia" (1985),
"Le Blanc de l'Algérie" (1996), "La Femme sans sépulture"
(2002), ou encore le célèbre "Loin de Médine" (1991) sont parmi les
titres où se mêlent tous les combats libérateurs qu'elle voulait mener et
incarner. Traduite dans plus de 20 langues, plusieurs fois nominée au Prix
Nobel de littérature, Assia Djebar a reçu plusieurs prix et distinctions aux
quatre coins du monde. En 2005, elle a été la première femme arabe et africaine
élue à l’académie française
Table des matières : Première partie/Deuxième
partie/Troisième partie/ Premier Mouvement/Clameur/Deuxième Mouvement/Murmures/Troisième Mouvement/Chuchotements/
Quatrième Mouvement/Conciliabules/ Cinquième Mouvement/ Soliloque/Tzarl’rir (final)
Extraits : « Toutes les Françaises
ne viennent pas de Paris......La plupart de celles que notre pays asservi a
tentées savent seulement traire une vache à leur arrivée !Si
ensuite elles se civilisent, c’est parce qu’elles trouvent ici force et richesse.Car les lois sont faites pour elles, pour leurs
mâles, pour leurs fils ! » (p 43),
« L’invasion est devenue une entreprise de rapine :l’armée précédant
les marchands suivis de leurs employés en opération ; leurs machines
de liquidation et d’exécution sont déjà mises en place » (pp 69-70)
Avis : Un roman singulier qui mélange (dans un
dialogue permanent ) l’Histoire et l’intime, l’Histoire
et les traumas de la guerre, la mémoire populaire et les voix de femmes trop
longtemps silencieuses.Surtout, ne pas se décourager
face à un récit en va-et-vient..... assez instructif.....tout étant lié. On s’en aperçoit à la
fin.
Citations : «
L’indigène , même quand il semble soumis, n’est pas vaincu.Ne
lève pas les yeux pour regarder son vainqueur. Ne le
« reconnaît » pas. Ne le nomme pas. Qu’est-ce qu’une victoire si elle
n‘est pas nommée ? » (p 87) , « Jamais le harem,
c’est-à-dire l’interdit , qu’il soit d’habitation ou de symbole, parce qu’il
empêcha le métissage de deux mondes opposés, jamais le harem ne joua mieux son
rôle de garde-fou ; comme si les miens décimés, puis déracinés, come si mes frères et par là mes geôliers, avaient risqué
une perte de leur identité : étrange déréliction qui fit dériver jusqu’à
leur figure sexuelle....Cette impossibilité en amour, la mémoire de la conquête
la renforça » (p 180), « Dans la transmission islamique, une érosion
a fait agir son acide : entrer par soumission, semble décider la
Tradition, et non par amour.L’amour qu’allumerait la
plus simple des mises en scène apparaît dangereux » (p 232), « Pour
les fillettes et les jeunes filles de mon époque -peu avant que la terre natale
secoue le joug colonial- , tandis que l’homme continue à avoir droit à quatre
épouses légitimes, nous disposons de quatre langues pour exprimer notre désir,
avant d’ahaner : le français pour l’écriture secrète, l’arabe pour nos
soupirs vers Dieu étouffés, le libyco-berbère quand nous imaginons retrouver
les plus anciennes de nos idoles mères.La quatrième
langue, pour toutes, jeunes ou vieilles, cloîtrées ou à demi émancipées,
demeure celle du corps.... » (p246) ,
« Ecrire ne tue pas la voix, mais la réveille » (p 274)