L'oued El Harrach, on en parle depuis des décennies et
il fait reparler de lui à la suite du dernier accident de la route, où 18
personnes ont trouvé la mort. Y a-t-il un programme pour la réhabilitation de
ce gros point noir ?
Porté par une volonté
politique affirmée au plus haut niveau de l’Etat, le projet de réhabilitation
de l’oued El Harrach entre désormais dans une phase décisive. Des directives
présidentielles claires ont fixé le cap : faire de ce cours d’eau un
symbole de renouveau écologique et de développement durable. A cette fin, le
président de la République a confié au ministère chargé de l’Environnement la
coordination d’une action intersectorielle. Il s’agit désormais de concrétiser
cette vision d’avenir, en capitalisant sur les enseignements du passé pour
accélérer une métamorphose tant attendue.
Mais
le discours officiel a toujours voulu montrer aux citoyens que des efforts sont
consentis pour son aménagement physique. Cela dure depuis des années.
Alors que la réalité du terrain a été dévoilée par l’accident du bus, où les
victimes ont été noyées dans des... égouts...
Il serait réducteur
d’affirmer que les autorités sont restées inactives face à cette pollution
majeure. Conscients de l’enjeu, les pouvoirs publics ont lancé au début des
années 2010 un projet d’aménagement colossal. D’importants travaux de génie
civil ont été réalisés : rectification du lit de l’oued, confortement des
berges, des espaces de loisirs et de repos et, surtout, mise en service de
stations d’épuration de grandes capacités, comme celle de Baraki, conçue pour
traiter une grande partie des eaux usées urbaines d’Alger. Cependant, cette
approche a révélé ses insuffisances. En se concentrant sur l’aménagement
physique et le traitement en aval, elle n’a pas été assez radicale sur le
problème à la source. Malgré un cadre réglementaire en place, le contrôle des
rejets industriels s’est avéré lacunaire, permettant la persistance de
déversements illicites. La problématique essentielle de la dépollution des
sédiments, quant à elle, n’a reçu qu’une réponse partielle. Le constat est sans
appel : des eaux toujours polluées et un écosystème qui survit plus qu’il
ne vit.
La pollution de l’oued El Harrach est un
mal à deux têtes qui révèle les limites des actions passées. Il y a d’abord la
pollution active : un flux continu de rejets contaminants qui l’agresse
quotidiennement. Si d’importants progrès ont été accomplis dans l’amélioration
des systèmes de traitement des effluents industriels, la situation reste
préoccupante avec des unités qui continuent à rejeter des effluents non conformes
aux normes. S’y ajoutent les eaux usées urbaines d’une grande partie de la
population algéroise, et même de Blida. Ensuite, il y a la pollution passive.
En effet, des décennies de pollution se sont accumulées dans les boues au fond
de l’oued, formant une couche toxique qui continuera à relarguer ses poisons
même si toute pollution active cessait.
Peut-on
avoir un aperçu historique de l'oued El Harrach ?
Il est difficile de
l’imaginer aujourd’hui, mais l’oued El Harrach, qui prend sa source dans
l’Atlas blidéen, n’a pas toujours été ce serpent nauséabond. D’une longueur de
67 km et connu à d’autres époques pour la pureté de ses eaux, il a irrigué les
terres fertiles de la Mitidja et façonné le paysage d’Alger. Il était un
écosystème riche, un lieu de vie, de pêche et d’agriculture. L’urbanisation
galopante et l’industrialisation massive des années 1970 et 1980, notamment sur
l’axe Gué de Constantine-Oued Smar-Rouiba, ont sonné
le glas de cet héritage écologique. Progressivement, l’oued est devenu le déversoir
des rejets industriels bruts, des eaux usées urbaines et ses rives le
réceptacle des déchets de toute nature, le transformant en écosystème malade.
Par ailleurs, les récents aménagements
des berges de l’oued El Harrach, avec la création d’espaces verts, d’aires de
repos et de pistes de promenade, ont déjà offert un nouveau visage au cours
d’eau. Toutefois, cette transformation paysagère, bien que réussie, n’est que
la première étape d’une réhabilitation plus profonde. Pour que cette mission
soit complète et durable, une nouvelle feuille de route s’impose, selon moi,
ciblant directement la source du problème : la qualité de l’eau elle-même.
Que
faudra-t-il préconiser, selon vous. pour atteindre
l’objectif zéro rejet dans l’oued El Harrach ?
Plusieurs actions sont
nécessaires. Il s’agit notamment de la concrétisation totale du Schéma
directeur d’assainissement de la wilaya d’Alger, ainsi que de la prise en
charge des rejets issus des communes de la wilaya de Blida (Bougara,
Larabaa, Meftah et Ouled Selama) qui s’écoulent dans l’oued Djemaa, un affluent de
l’oued El Harrach.
Il est également indispensable d’obliger
toutes les unités industrielles polluantes à se doter de stations de
prétraitement de leurs effluents.
Par ailleurs, la stratégie doit aussi
s’atteler à la gestion de la pollution passive à travers des opérations de dragage.
Cette étape, particulièrement délicate, présente des risques majeurs, notamment
la remise en suspension de polluants, tels que les métaux lourds et les
hydrocarbures, susceptibles de contaminer l’eau en aval et de provoquer des
pics de toxicité.
Une politique adoptant une politique de
tolérance zéro passe par l’application rigoureuse du principe pollueur-payeur
et l’achèvement du raccordement des effluents urbains et industriels prétraités
aux stations d’épuration.
Et pour limiter ces dangers, il est
essentiel de mettre en place des mesures strictes. Le déploiement de barrages
flottants antisédiments pour isoler la zone
d’intervention, ainsi qu’une surveillance continue de la qualité de l’eau en
aval constituent des conditions incontournables à la réussite de cette
démarche.
Une fois extraites, ces boues toxiques
doivent subir un traitement spécifique adapté à leur nature. Plusieurs options
peuvent être envisagées. Le traitement physico-chimique par
stabilisation/solidification est courant : il consiste à mélanger les
sédiments à des liants (comme la chaux ou le ciment) pour piéger chimiquement
les polluants, les rendre inertes et permettre une réutilisation des matériaux
traités en remblai sécurisé.
Pour les contaminants organiques, le
traitement biologique (biorémédiation) peut être une
solution, utilisant des micro-organismes pour dégrader les polluants. En
dernier recours, pour les sédiments les plus dangereux et non traitables, le
stockage définitif dans des centres d’enfouissement technique de classe 1
conçus pour les déchets dangereux est la seule option afin de garantir qu’ils
ne contamineront jamais plus l’environnement.
C’est en menant à bien ce processus
complexe et maîtrisé que les aménagements existants prendront tout leur sens.
La vision finale est celle d’une synergie parfaite, où la propreté de l’eau et
la santé de l’écosystème viennent magnifier les espaces verts et les lieux de
vie créés sur les berges. L’objectif ultime est de transformer l’oued El
Harrach en une réussite écologique totale, où la beauté des aménagements et la
propreté du cours d’eau contribuent à l’amélioration de la qualité de vie du
citoyen.
Une
gouvernance interwilayas pour la réussite du programme
de réhabilitation s’impose, n’est-ce-pas ?
Absolument. La
réussite de cette stratégie ambitieuse dépendra de son pilotage et de sa
gestion. Traversant deux wilayas, l’oued El Harrach exige une coordination
dépassant les périmètres administratifs traditionnels.
La création d’une agence de l’oued, ou
la transformation de l’EPIC de la wilaya d’Alger (Ecoloh),
actuellement chargé de la gestion et de la promotion de l’oued El Harrach
aménagé sur le territoire de la capitale, en une entité unique dotée de prérogatives
interwilayas et intersectorielles, en constituera la
clé de voûte. Cette gouvernance unifiée permettra d’assurer la cohérence des
actions de l’amont à l’aval et de garantir que la renaissance de l’oued El
Harrach devienne, enfin, une réalité durable.
L'oued
El Harrach reste une affaire d’urgence...
La réhabilitation de
l’oued El Harrach est à un tournant décisif. Si la volonté politique est
affirmée et les premiers aménagements paysagers réussis, le plus grand défi
reste à venir : la renaissance écologique du cours d’eau.
L’urgence est double. D’une part, il
faut mettre un terme définitif à la pollution active en appliquant
rigoureusement le principe du pollueur-payeur : imposer le prétraitement des
rejets industriels pour les ramener à un niveau acceptable par la station
d’eaux usées urbaines de Baraki, et finaliser le raccordement de tous les
rejets urbains aux stations d’épuration. D’autre part, il est impératif
d’assainir les sédiments avec méthode, en déployant des technologies qui
garantiront un succès écologique sans créer de risques supplémentaires.