VIE POLITIQUE-ETUDES ET ANALYSES- ÉLITES ET
INTELLECTUELS/CHRONIQUE BAD , MARS 2014
Les élites , les intellectuels et les entre-deux (publiée in Le
Quotidien d’Oran, jeudi 13 mars 2014. Belkacem Ahcene-Djaballah)
On
entend (et on lit) souvent dire que le pays n’a pas d’élite, n’a pas
d’intellectuels, n ’a pas d’intelligentsia,n’a
pas de penseurs, n’a pas …n’a pas…Des constats , élaborés vite-fait, produits
d’une réflexion « en diagonale » , beaucoup plus destinés aux
médias, frisant parfois le mépris, en tout cas une certaine ignorance de
la chose intellectuelle vraie et, surtout, entretenant une certaine confusion ,
volontairement ou non, des concepts : « Elite » ,
« Intellectuel », « Leader », « Penseur », etc…..
On a vu,
dernièrement , toute une pièce de théâtre montrant
l’ « intellectuel » comme étant une personne non agissante
dans sa société. On a même entendu , dernièrement, un
ancien décideur , traiter de « lâches » les intellectuels face aux
situations complexes rencontrées .Une « attaque » bien facile à mener
lorsqu’on sait que le terrain de jeu national est , bien souvent ,
lourdement miné. Quelle que soit votre position ,
critique ou non, vous trouverez toujours quelqu’un qui sortira du bois
pour vous « descendre en flammes » et vous laminer. Et, encore heureux si , par la
suite, vous ne vous retrouvez pas insulté ou diffamé ou
« tabassé », ou renvoyé au foyer gérer votre nouveau stress, ou
marginalisé, ou sur une chaise roulante…. Heureusement que le cachot et
l’enfermement n’existent plus, en raison beaucoup plus des « veilleurs
sociaux » (merci, Internet ! merci, la presse indépendante
) que du manque d’agents de la sécurité publique et de juges expéditifs,
de cellules sans matelas et de geôliers peu amènes . Encore que…
DES
CONCEPTS INADAPTES : Premier constat : Les attaques viennent , la plupart du temps, sinon toujours, de nouveaux
politiciens, pour bien d’entre-eux déçus de ne
pas avoir été rejoints par des « spins doctors »
qui leur auraient permis de présenter des programmes politiques bien plus
élaborés et des angles d’attaque efficaces.
Elles viennent ,aussi, de décideurs qui, n’étant pas arrivés à
exploiter totalement , comme ils l’entendent, les matières grises de ceux
« qui écrivent ,qui créent et qui crient », remâchent leurs rancunes
par la critique , l’invective et, parfois, l’insulte directe ou déguisée.
Elles
viennent de pseudo-intellectuels qui, parce qu’ils arrivent à plastronner tous
les vendredis, dans les cafés et salons de quartier, se posent en maîtres de la
pensée, mélangeant religion et politique, passion et raison, idées et
idéologies, esprit critique et esprit de critique….
Elles viennent , aussi, d’anciens vrais intellectuels qui,
aujourd’hui, se retrouvent dépassés par le cours des choses sociétales qui se
développent à une allure folle ,sans respect pour les formes classiques de la
pensée et sans passer par les canons habituellement admis de la critique
Elles
viennent d’intellectuels eux-mêmes qui, bien que dignes du nom, en veulent à une jeune et nouvelle concurrence qui pointe du nez ,
à travers des formes culturelles assez iconoclastes et empruntant des voies
technologiques nouvelles ainsi que des langages inhabituels tant en
langues nationales qu’en langues étrangères
Elles
viennent, enfin, pourquoi le cacher, de certains citoyens de niveau très moyen, incapables de se hisser à la hauteur nécessaire,et nourris à la culture quotidienne
d’informations (écrites ,radio-télévisées et/ou « googleisées »)
bassement populaires
Bref,
l’intellectuel est attaqué de toutes parts, et ce n’est pas parce qu’il ne se
défend pas ou se défend peu que les autres ont raison.Et, comme le dit si bien Michel Audiard,
« un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche »….. notre homme est indubitablement à l’étroit partout. Un peu
plus ici qu’ailleurs ,certainement.
C’est
pour cela qu’il faudrait d’abord et surtout clarifier – en termes simples et
directs pour que tous comprennent - les concepts
qui, chez nous, ont ,toujours, des acceptions « adaptés »
à nos mœurs et nos calculs …..et à nos « intellects ».
LES
ELITES :A
mon sens, une élite est , d’abord, multiple et évolutive . Il y en a
plusieurs. Il y a une élite politique, une autre économique ou industrielle,
une autre journalistique ou publicitaire, une autre dans l’enseignement ou la
recherche, une autre chez les poètes ou les écrivains de romans à l’eau de
rose, une autre syndicale……Une élite c’est, en quelque sorte , un bonhomme ou
un groupe de bonhommes, qui se trouvent en tête d’un cortège et qui
jouent, de façon momentanée (et , en général, non durable , tout dépendant de
la « fortune » ou des appuis du moment) , le rôle de locomotive .Qui
peut faire soit progresser les choses de son secteur avec, à la clé, la
considération , la notoriété et des gains
, soit alors les faire reculer avec ,à la clé, la déconsidération ,
la dégradation et la ruine. Ainsi, Amar Sâadani fait
partie, pour combien de temps encore ?, de l’élite politique ou
partisane de l’Algérie ( alors que Sadi, Boukrouh, Belayat et Belkhadem ne le
sont plus) ,Sellal , Benbada
et Ghoul de l’élite ministérielle (alors que Ouyahia, Soltani et Menasra ne le
sont plus) ,Sidi Said
de l’élite syndicale, Abadou et Tayeb Houari de
l’élite « famille révolutionnaire » (alors que Benbaibèche
ne l’est plus) ….Les exemples foisonnent, et la liste est en constants
changements, les dits-changements très liés à la vie politique , et aux humeurs
et penchants de l’élite des « décideurs » ( comme on dit, le pouvoir
« profond », mélange subtil de pouvoir réel et de pouvoir
administratif……un milliardaire , même général à la retraite, pouvant
difficilement faire « passer » ses désirs pour des réalités ,
s’il n’a pas « dans la poche » , quelque part, un petit fonctionnaire
, placé là où il faut, qui accélérera ou détournera ou fera disparaître un
dossier parfois bien lourd )
Ensuite , une élite (dirigeante ou pas) n’a pas
obligatoirement un niveau intellectuel (mélange équilibré d’instruction, de
culture et d’éducation) élevé. Les exemples ne manquent pas. Dans tous les
secteurs, du plus haut au plus modeste. L’élitisme, tout particulièrement dans
nos pays en développement, est beaucoup plus le fruit de la volonté de réussir,
d’une dose d’intelligence (ou de roublardise), d’opportunisme, de passion, de
courage (ou d’inconscience), aussi, d’absence, bien souvent, de scrupules…Un
peu de tout, de tout un peu
LES
INTELLECTUELS :A
mon sens , pour sa part, l’intellectuel n’est ni multiple, ni changeant.
Il est « un », entier, et on le reconnaît
rapidement. Par sa façon d’être, de parler,de
penser, d’agir…d’exister. Il a , certainement, du
savoir (acquis à l’école au sens large du terme puis , peut-être, à
l’université) , de l’expérience ( le « tas »), de l’éducation, de la
culture…..et beaucoup de générosité, même s’il n’est pas indemne des défauts
communs aux mortels que nous sommes (bien manger, bien vivre, bien …..).
Il peut aimer les honneurs et la reconnaissance , mais
il n’en fait pas un préalable et une nécessité . Il aime parler, mais il veut ,surtout , produire des œuvres :
artistiques, littéraires, philosophiques ….. toutes ,
si possible, porteuses , pour ceux et celles qui les lisent ou les voient, de
sens ; des sens qui influent plus qu’elles n’ influencent. Il analyse, mais il ne manque jamais de livrer des visions
prospectives sans tomber dans les recommandations ni les leçons…. A prendre ou
à laisser , là n’est pas son gros problème.Il
peut lui arriver d’accepter de gérer, généralement pas très longtemps, mais il
garde son autonomie de pensée, ce qui est extrêmement difficile et intenable
(cas de Yasmina Khadra ( ?) et de Zaoui il y a peu , cas de Boudjedra,
Benaissa, Khadda, de Ouettar…..dans une autre vie )
Les
intellectuels existent en Algérie, on les rencontre.Quelques
noms, en vrac. Pardon pour les absents, non oubliés : Hier, Ben Badis,
Mili, Abane, Ben M’hidi,
Dib, Bennabi, Franz Fanon, Lacheraf,
Abbas, Kateb Yacine, Issiakhem, Mouloud Mameri, Alloula, Boudia, Benheddouga Akkache, Teguia, Sahli, A. Meziane, Cheriet, Arkoun,Nabhani Koribaa, Said Chikhi,
Matoub et, toujours Reda Malek, puis Harbi, Benaissa S., Alloula, Kaki, Mimouni, Liabès, Boukhobza, Boucebci, Flici, Khadda, Lacheraf, Assia Djebbar, F. M’rabet, Zaoui, Djeghloul (pourquoi
pas ?) , Ouettar (eh, oui !), Bagtache, Seddik M-Salah, Djilali
Khellas, Laâredj, Benamar Mediène, Djabi, Djerbal, B. Mediène, A. El Kenz, L. Ait Menguellet, Idir….et
,aujourd’hui, beaucoup d’universitaires jeunes et moins jeunes qui pointent le
nez, ; tout particulièrement dans et grâce à la presse écrite qui fournit
des espaces éditoriaux plus variés et plus vastes, les publications
spécialisées étant en nombre restreint et le livre restant encore assez frileux
et se contentant des « anciens », aux œuvres déjà
« validées » par la hiérarchie bureaucratique.
Il est vrai que le terrorisme islamiste a fait
le vide durant les années 90, mais ils sont toujours là, peut-être plus âgés,
peut-être las , peut-être découragés . Il est vrai que les élites des « tabou djanhoum » n’ont pas permis , par leur entêtement ,
leurs calculs et leurs manoeuvres, la formation
ni d’ une bonne relève, ni l’émergence d’intellectuels (trop) critiques .
Surtout par la récupération en offrant des
postes côtés, à avantages matériels multiples . La vie est si chère et la
chair si vive !
LES
ENTRE-DEUX : Bien sûr, il y a les entre-deux. Eparpillés, inconnus de
la masse ,mais admirés par leurs troupes , sachant bien écrire ou bien parler,
et , dans la foulée, se piquant (ou se voulant) d’être des intellectuels parce
qu’ils tiennent le haut du pavé au « Café de commerce » du coin, ils
sont invités à donner leur avis dans des émissions de télé et de radio (il y en
a tellement désormais), ils écrivent de temps en temps ou régulièrement dans la
presse écrite, ils sont « experts » ou consultants (internationaux de
préférence), ils écrivent même des romans , des essais et des poèmes, ils
exposent ou crayonnent des toiles , ils « conseillent »
ou siègent dans des Conseils ou Assemblées , ils monnayent leur présence
médiatique, quelques uns par nécessité ou par calcul
ou pour le « fun »…A leur crédit, l’effort et souvent l’intention de
bien faire. Beaucoup de candidats pour monter en grade ,
mais peu d’élus.Trop de monde au portillon. Une
situation d’autant plus difficile que le champ de la pensée est livré à lui-même
et, surtout, livré à des décideurs plus préoccupés par leur carrière et leur
« matérielle » que par l’ apport d’idées,
véritables forces « vives » au
service du progrès du pays. D’autant plus difficile qu’il n’existe plus de
règles et de repères dans notre monde de la culture, de l’instruction et de l’éducation.Un personnage
(Gabin ? Signoret ?) disait , dans un
film, une autre réplique
d’Audiard : « les cons, ça court les rues » ! Encore que
chez nous, les cons sont , avec le temps, ceux qui
sont bien assis…..les autres , les intellos, étant obligés de courir les rues à
la recherche de leurs libertés confisquéesou
détournées.
ET,
POUR FINIR :Résultat
des courses : On attend toujours un Vaclav Havel….la résurrection de Abbas
, de Ben M’hidi ou de Abane
(en moins « carré » pour ce dernier) …..ou le retour de Ait Ahmed (en
plus jeune)……ou…..le retour de Said Sadi et de Boukrouh (avec
plus d’expérience) ou de Redha Malek (en moins
« tranchant »). Bref, on attend un intellectuel, si possible
encore jeune , devenu homme politique
expérimenté par la force des situations, par hasard ou par nécessité, mais avec des idées claires et modernes et un engagement sans faille, transparent et
honnête , sans retournement de veste et sans (gros ou même tout petit) fil à la
patte ; et non « promu » en raison du nombre des postes, ou des
canapés, déjà occupés, ou en raison du
seul poids de ses livres , de ses
déclarations ou de ses fetwas et encore moins par la
grosseur de son compte en banque ou de
son influence de corrupteur
L’espoir
fait (sur-)vivre !D’accord avec ça , les
jeunes ? Ou , alors, « Elites, Intellos,
Entre-deux et Cie, Barakat,
dégagez ! »