CULTURE- OPINIONS ET POINTS DE VUE- CINEMA/AVIS BACHIR
DERAIS (2025)
©Fb,
Bachir Derais, réalisateur, fin juillet 2025
Cinéma
algérien : chronique d’une relance contrariée ou otage des conflits
internes ?
« Dès
son arrivée à la tête de l’État, le président Abdelmadjid Tebboune a affiché
son ambition de redynamiser l’industrie cinématographique nationale. En 2020,
il crée un Secrétariat d’État à la cinématographie, confié à Youcef Sehairi, un proche du cinéaste Ahmed Rachedi.
Ce dernier, acteur historique du cinéma algérien, est à l’origine de cette
initiative.
Cette
nomination, perçue comme un contournement de la ministre de la Culture Malika Bendouda, engendre des tensions internes. Bendouda, marginalisée, vide progressivement le Secrétariat
d’État de toute substance.
Quelques
mois plus tard, elle propose sa suppression, entérinée lors du premier
remaniement ministériel. Sehairi est limogé.
Une
guerre d’influence entre Bendouda et Rachedi
Écarté du
dispositif, Ahmed Rachedi revient par la grande porte
en février 2021, nommé conseiller spécial à la présidence, chargé du cinéma. Il
devient rapidement la figure centrale de la politique cinématographique.
Le conflit
entre Rachedi et Bendouda
se transforme en guerre d’influence. Bendouda est
évincée, remplacée par Wafaa Chaalal.
Cette dernière ne reste que brièvement à la tête du ministère : ses propos sur
une chaîne égyptienne, affirmant que sa génération était plus à l’aise en
français qu’en arabe, précipitent son départ. Soraya Mouloudji lui succède.
Conseiller
influent, Rachedi mène plusieurs réformes
controversées, dont la suppression du FDATIC (Fonds de développement de l’art,
de la technique et de l’industrie cinématographique). Ce fonds, créé en 1968 et
réformé en 1990, avait permis l’émergence d’une nouvelle génération de
cinéastes et soutenait la production indépendante.
Structures
imposées et chaos administratif
Le 24
octobre 2021, deux décrets présidentiels sont signés sur proposition de Rachedi :
Création de
El Djazairi, société nationale dédiée à la production
d’un film sur l’émir Abdelkader ;
Création du
Centre national pour l’industrie cinématographique (CNIC).
Ces deux
entités sont directement placées sous l’autorité du Premier ministre, écartant
de fait le ministère de la Culture. À ce moment-là, le pays compte déjà huit
structures étatiques liées au cinéma, sans véritable coordination ni vision
unifiée.
Rachedi concentre alors tous les pouvoirs :
nomination des responsables, validation des projets, recrutement. Il tente de
reconstituer un modèle inspiré de l’ONCIC des années 1970, qu’il avait dirigée.
Mais deux
ans plus tard, cette politique centralisée est jugée inefficace. Rachedi est écarté à son tour.
Le CNIC et
El Djazairi sont replacés sous la tutelle du
ministère de la Culture par décret présidentiel. Le projet de film sur l’émir
Abdelkader reste à l’état de chantier.
Une
reprise en main difficile
Soraya
Mouloudji hérite alors d’un secteur sinistré : absence de financements,
structures désorganisées, climat de défiance. Elle met en place un mécanisme
provisoire de soutien, distribuant une centaine de petites aides symboliques
aux projets déposés au ministère. En parallèle, elle organise les Assises
nationales du cinéma au CIC (Club des Pins), afin de dresser un état des lieux
du secteur et poser les bases d’une nouvelle loi.
Deux mois
après ces assises, une loi sur le cinéma est votée par les deux chambres du
Parlement.
Jugée en contradiction
totale avec les recommandations des professionnels, elle suscite une vague de
contestation. De nombreux acteurs du secteur saisissent directement le
président de la République pour en demander la suspension.
Dans la
foulée, Soraya Mouloudji est limogée et nommée ministre de la Solidarité
nationale.
Elle est
remplacée par Zoheir Balalou,
nommé ministre de la Culture en date du 19 novembre 2024.
Une
nouvelle tentative de réforme
À peine
installé, Zoheir Balalou, sur
instruction du président Tebboune, convoque de nouvelles assises du cinéma,
semblables à celles de 2022. Les professionnels y expriment à nouveau leurs
doléances et dénoncent à l’unanimité la loi adoptée en 2024.
Plusieurs
recommandations sont émises, notamment la création d’un Centre national du
cinéma (CNC) sur le modèle français, garant d’un cadre institutionnel stable et
d’un financement pérenne.
À ce jour,
le secteur est en stand-by, dans l’attente de mesures concrètes. La communauté
cinématographique reste suspendue à l’issue de cette nouvelle phase de
transition. »