HISTOIRE- BIBLIOTHÈQUE D’ALMANACH- TÉMOIGNAGE
STANISLAS HUTIN- « UN APPELÉ S’INSURGE CONTRE LA TORTURE »
Algérie 1955. Un appelé s’insurge contre
la torture. Témoignage de Stanislas Hutin. Koukou Editions,
Alger 2025, 143 pages, 1 000 dinars
Côté français, il faut le dire et le
répéter, jusqu’ à un certain moment pas très lointain, ,
on n’a jamais parlé de « Guerre d‘Algérie » , mais seulement
d’ « Évènement ».De ce fait, dans toute l’écriture de
l’Histoire, on s’est contenté de la Grande Histoire, « celle qui fait fi
du détail, de l’individu isolé, des sentiments inavoués, des blessures
intérieures, des larmes retenues, des deuils impossibles ». Et, malheur à celui qui sortait des rangs de cette pédagogie
détournée, se retrouvant boycotté, ignoré, cloué au pilori....échappant de peu
à la guillotine médiatique et/ou académique. Tout cela n’a que mieux mis en
exergue le travail de résistance de chercheurs qui ont osé aller encore plus
loin, encore plus vrai. Tout en sachant que le travail sera rendu difficile en
raison d’un certain silence, des acteurs vrais, comme les soldats français,
appelés ou volontaires. Quant aux politiques, mieux
vaut ne pas en parler
Puis, tout d’un coup, grâce
, à mon avis, à la montée au créneau, en France même, des
résistants algériens, ce fut le grand déclic. La suite est connue. Tout
particulièrement chez ceux, alors jeunes militaires, bien plus
« appelés » que volontaires, qui ont commencé ,
soulageant leurs consciences tourmentées, à raconter les détails de l’Histoire
de la « guerre d’Algérie ». ..aidés en
cela par des chercheurs universitaires soucieux de la Vérité historique :
Sartre, Pierre Henri Simon, Vidal Naquet, Branche,Mauss-Copeau,
Thénault, Stora., et beaucoup d’autres.
On venait de rentrer dans « l'ère
du Témoin » (décrite par Annette Wieviorka, 1998).....des
témoins exacts comme Robert Davezies....et
Stanislas Hutin. On a eu, aussi, hélas, des faux
-témoins). S. Hutin, héritier d’une tradition familiale attachée à
la social-chrétienté et aux convictions humanistes ,
lui, n’a pas attendu ce moment, puisqu’il a , déjà en 1957, commencé à dénoncer
la torture pratiquée , dès le début de la guerre, de large manière, en
Algérie par l’Armée française dont il faisait partie, contre son
gré..... « appelé maintenu » .Même les
enfants ne sont pas épargnés.
L’Auteur : Né à Rennes(France) en 1930.Père, fondateur et directeur du
journal « Ouest-France », député Mrp
démissionnaire du Morbihan. Séminariste chez les jésuites, passé par Madagascar
colonisée, il fait partie des « appelés maintenus » (sous l’uniforme
militaire de l’armée coloniale ) de l’automne 1955 et
envoyés en Algérie. Il dénonce, déjà à partir de 1957, la torture pratiquée
dans une brochure « Des appelés témoigent » . Depuis 2004, Stanislas Hutin milite
dans l'association 4ACG (Anciens appelés en Algérie contre la guerre et leurs
amis) , et il intervient dans
les lycées et collèges pour témoigner.
Table des matières : Préface de Tassadit Yacine/ Préface de Pierre
Vidal-Naquet/Avant-propos/ 9 chapitres/ Postface de Benjamin Stora
Extraits : « L’artillerie
bombarde et écrase un gros douar (note : 8 décembre 1955, région de
Collo) qui est , paraît-il, le foyer des rebelles.Les
jours précédents, des tracts avaient été lancés par hélicoptère ; ils
annonçaient aux habitants l’arrivée des troupes, l ’arrestation des hommes
pour la vérification des papiers ou l'établissement des cartes d’identité, et
ils leur demandaient de quitter le douar qui devait être détruit » (p 33),
« Le 26 au soir, (note : 1955) une patrouille de nuit ramène
quatre suspects.Deux sont passés à la magnéto et
tard, dans la nuit, nous entendons les hurlements... » (p
44), « 11 février 1956. Quant au lieutenant P... !Sa compagnie avait fait prisonnière une femme.Un
soir, le lieutenant dit à une patrouille de nuit : « Emmenez la femme
et faites la corvée de bois.... ». Vieux truc qui nous vient de la guerre d’Indochine.... » (p
62), « Comment être fiers de cette armée devant tant d’anarchie et
de mensonges ? ... » (p 89), « Les
mesures militaires prises par le gouvernement aboutissent peut-être à enrayer
la rébellion armée, mais jamais ne s’éteindra la rébellion intérieure de 99%
des Arabes.Avant cinq ans , nous en
reparlerons !... » (19 mars 1956, p 101), « Faire l’école à des
gamins qui entendaient leurs pères hurler la nuit sous la gégène, c’était franchement
difficile.La pacification
sous le couvert de la guerre ! C’était fou.... ! »
(p 22)
Avis : Enfin
, un (autre) livre -écrit dans un langage simple, sans fard, ni
artifice - qui raconte de l’intérieur de l’armée coloniale, les
comportements horribles, inhumains (torture, viols, rapines, razzias, exécutions
sommaires.....).Toute la panoplie de la répression-extermination.Une
lecture difficilement supportable.Un livre
écrit par un militaire francais qui n’a pu supporter
de telles injustices. A lire absolument.....mais ne
pas laisser entre les mains des enfants et des âmes sensibles.
Citations : « La
Grande histoire fait fi du détail, de l’individu, des sentiments, des
blessures, des larmes, des deuils impossibles » (Tassadit
Yacine, préface, p 8), « Témoigner, ce n’est pas jeter l'opprobre sur son
pays ; c’est au contraire, contribuer à préserver son honneur » (p
20), « Avoir colonisé un pays pour être obligé de le pacifier 100 ans
après, c’est réussi.. ; » (p 93), « C’est épouvantable de faire l’expérience
de la haine ......considérant chaque habitant comme un ennemi » (p94),
« Il y a bien peu d’hommes spirituels, et sans le spirituel l’homme
redevient très vite une bête.Une chose compte avant
tout : l’égoïsme né de la lutte pour la vie » (p 95)