VIE
POLITIQUE – BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN SAMIR TOUATI- « AMIN. UNE
FICTION ALGÉRIENNE »
Amin.Une fiction algérienne. Roman de Samir Toumi. Editions Barzakh, Alger
2024, 247 pages, 1 000 dinars.
Un écrivain à succès, ça n’attire
pas forcément les amitiés désintéressées et c’est ce qui est arrivé à Djamel B,
dans une société totalement soumise (sic !) aux pouvoirs d’un groupe
d’oligarques mafieux,
Ecrivain à succès ? C’est du moins ce que
pensent de lui ceux qui font tout ,pour exploiter à
leur avantage, ses « qualités ».
Pour sa part, sa réussite est
simplement le résultat d’un
concours de circonstances favorables à l’émergence , dans une
société locale habituellement peu
disposée à l’endroit du livre en particulier et de l’écrit en général, et ,dans
une société étrangère, à l’affût ,d’outils de pénétration.
Donc, en panne d’inspiration
, notre homme est contacté par Amine, un bonhomme énigmatique, sorte d’intermédiaire en tout et
rien, « samsar » vivant entre les eaux claires et/ou polluées
de la vie politique, économique et financière du pays, mais extraordinaire
personnage de roman, sur fond d’oligarchie mafieuse et de gouvernance
malsaine .Il est bien introduit dans
tous les cercles et ne manque de rien.
Un marché (« un contrat
faustien ») est proposé.Il
lui donne (ra) accès aux arcanes du « système », à condition qu’il
s’engage à écrire un roman le « décrivant » bien plus que le
dénonçant .
Le contexte s’y prête, l’Algérie
de l’époque (lire et comprendre la
fin de parcours du système Bouteflika) est à la veille, lui affirme-t-on, d’un
basculement, une ambiance de fin de règne planant sur le pays.
On se retrouve donc plongé au
cœur même du « système » et des « pouvoirs » profonds
régnant en maîtres à l’époque.Tout
s’y mêle dans une atmosphère où l’argent, l’alcool, la drogue, les parties
« fines », et les « affaires » règnent en maîtres....en des
lieux fantasmés. Avec, comme marionnettistes,
des personnages , pour la plupart se disant « entrepreneurs »,
« self made men », « adaptés » (celui qui a acquis tous les
codes permettant la prospérité) ou non,
discrets sur leurs protecteurs ou parrains (pour les plus habiles) ou non,
mélangeant la cupidité, les calculs
sordides, les menaces
voilées, l’arrogance,l’absence de scrupules, la
falsification l’opportunisme, l’incontournable religiosité,
cela va de soi .......et l’ignorance souvent crasse .
Le roman sera bel et bien écrit ....mais
jamais publié.Il le
sera bien plus tard.....notre romancier se découvrant
« manipulé » . Acteur principal et complet naïf » sans qu’il ne
se rende compte, il avait
contribué,en
raison de toutes les rumeurs liées à la prochaine parution de son
« explosif » roman, à la chute
du système en place
L’Auteur :Né le 7 juin
1968 à Bologhine, vit et travaille à Alger où
il dirige une entreprise de conseil. Déjà auteur de deux romans, « Alger,
le cri » en 2013 et « L’Effacement » en 2016 ,
ce dernier ayant été adapté au cinéma par Karim Moussaoui. Image de couverture
de Azeddine Krim (« It Kills »,
2024)
Extraits : « Ces
« entrepreneurs » des années 2000
avaient créé un puissant écosystème de fraude autour de leurs activités
»(p 62), « Je ne comprendrais d’ailleurs jamais ce besoin
irrépressible de se confier à un auteur. Désir narcissique et inconscient de
gloire, d’immortalité même, en espérant voir sa vie consignée dans un quelconque
ouvrage ?Ou, simple fascination devant l’aura du
romancier ? (p118), « Je détestais les
« complexes touristiques », leur état de délabrement m’accablait.Ces lieux, devenus si glauques, sont les ruines
de mes souvenirs » (p148), « Ça ne veut rien dire « les
officiels » .Il y a des hommes et des femmes, avec des positions de
pouvoir, plus ou moins élevés, plus ou moins formelles, plus ou moins
usurpées ....Le système n’est rien d’autre que cet agrégat humain, où des
individus bataillent pour maintenir leurs privilèges coûte que coûte» (pp
166-167)
Avis : Il n’y a que les bons écrivains
qui arrivent à transmettre -clairement- au grand public (celui qui lit) une réalité pourtant évidente, grâce à de la
fiction.Des choses que l’on
« savait » mais qui sont , dans ce livre, bien décrites et ....toutes
dites. Pour bien savoir, il s’agit seulement de le lire. « Amin »,
pas si fiction que ça !
Citations : « En Algérie, il faut se
méfier de tout le monde, même de ton ombre » (p 27), « En Algérie, si tu ne
connais personne, tu n’es rien.La clé du succès,
c’est les co-naissances !Il faut toujours
connaître quelqu’un, qui connaît quelqu’un, qui connaît quelqu’un d’autre qui,
lui, en connaît un qui.....et ainsi de suite !Mais attention : les
connaissances , tu dois, toi aussi, leur rendre des services »( p 45),
« Les procédures, les rè-gles, les lois, chez
nous, c’est pour bloquer ceux qui n’ont pas de connaissances.L’administration,
c’est comme une porte blindée : d’un côté , il y a ceux qui ont des
connaissances, de l’autre, ceux qui n’en
ont pas ! » (p 45), « Les
échecs, c‘est comme la vie.Il faut toujours avoir
plusieurs coups d’avance » (p 60), « Le fantasme est un levier de
gouvernance redoutable pour générer de la peur auprès des décideurs et de la
population.....les protecteurs
cultivent en permanence l’opacité qui est, comme on le sait, à l’origine du
fantasme » » (p 65), « Le temps passe vite lorsqu’on écrit.Face aux mots, l’univers se rétrécit et confine l’écrivain
à cet espace blanc , qu’il s’évertue à dilater, en l’emplissant de vie »
(p 157), »Il n’y a pas que dans la littérature que les vies sont si
faciles à « arrêter » .Dans la réalité, on peut aussi décider de
faire passer sa vie à la corbeille pour disparaître à jamais » (pp
208-209)