SOCIETE-BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH-
ROMAN SARAH HAIDAR- « AMÉNORRHÉE »
Aménorrhée. Roman de Sarah Haidar. Editions Barzakh, Alger
2025, 181 pages, 1 000 dinars
Une écrivaine
spécialiste de la déconstruction du « déjà-lu »
romanesque et, surtout, un titre qui
accroche et qui intrigue. C’est quoi l’« Aménorrhée » .Elle est définie
par l'absence de règles chez une femme de 15 ans avec une croissance et des
caractères sexuels normaux. Ce diagnostic est crucial car il signale un
problème de développement sexuel. Des investigations supplémentaires sont
nécessaires pour identifier la cause sous-jacente, qui peut aller de problèmes
hormonaux à des anomalies structurelles. Une prise en charge précoce est
essentielle pour la santé reproductive et le bien-être général de la patiente.
Donc, le titre, "Aménorrhée"fait référence
à l'absence de règles, et suggère une réflexion sur la santé reproductive et
les droits des femmes dans un environnement restrictif.
L’histoire ? il n’y
en a pas , à vrai dire. On a ,
en fait, un roman d’anticipation, que l’on peut qualifier de dystopie. Il se
déroule dans un territoire innommé où une gynécologue (une accoucheuse ?)
à la fois révolutionnaire et cynique, pratique des
avortements clandestins alors que l’IVG est punie de peine de mort. Dans
ce roman polyphonique marqué par une écriture acérée et une volonté de
transcender les poncifs autour des rapports femmes-hommes, le pouvoir patriarcal
est disséqué dans ce qu'il a de plus pernicieux puisque le Régime totalitaire
et féminicidaire décrit par le récit fut instauré par
des hommes prétendument déconstruits.
Dans
une langue aussi violente (à lire avec patience pour bien comprendre) que poétique,
agissant autant par le scalpel de l'analyse que par le vibrato d'un lyrisme
réinventé, l'autrice interroge la construction de la sexualité, de la
maternité, la place assignée aux femmes dans un monde structuré par la
domination, la vacuité du réformisme et la force du collectif féministe
révolutionnaire.
L’incipit s’ouvre sur l’histoire d’une
voix qui constate une transformation imposée, une maternité inévitable dictée
par un système qui interdit toute possibilité d’avortement. La maternité est
vécue comme une contamination, une présence intrusive qui nie toute
individualité. Ce qui devrait être un accomplissement apparaît comme une
dérive, un mouvement hors de soi, une réduction à un corps destiné à porter,
nourrir et enfanter. La narratrice pourtant refuse ce rôle et l’ordre
biologique se heurte à une conscience qui refuse de se plier à l’ordre
établi. L’infanticide n’est pas loin. Cette résistance s’exprime face à
toutes les injonctions qui entourent la maternité..
N’étant ni refuge ni plénitude, la maternité devient une assignation sociale,un rôle joué sous
contrainte.
L’auteure : Née en 1987 à
Alger. Journaliste, écrivaine et traductrice .Plusieurs
romans en arabe et en français. 2005 : Prix « Apulée » décerné par la Bibliothèque nationale d’Alger pour
« Zanadeka » (Apostats).Elle n’avait que
dix-sept ans.Et, en 2013, prix des « Escales
littéraires » pour son premier récit rédigé en langue française,
« Virgules en trombe »
Table : V parties
Illustration de
couverture (couleurs) : Fella Tamzali,
« Enfant au Cheval de Bois » ».Acrylique
sur toile, détail, 2022
Extraits : « Ce cynisme
mercantile n’est pas de mise avec tous mes patients. J ’en reçois de
toutes les couleurs et avec chacun d’entre-eux
j’adopte l’attitude adéquate : croyant avec les croyants ;
athée avec les athées ; basique avec les esprits inachevés ; misogyne
avec les phallocrates....Si bien qu’au bout de trente ans, je ne sais plus
vraiment qui je suis » (p19), « Ces créatures nuisibles qui
pullulent autour de moi ; ces automates faisant leur travail sans haine ni
conviction, mais simplement parce qu’il le faut ; ces ordinateurs de
dernière génération qui dénudent sur d’immenses écrans les vies et les
idées ; ce bruit constant des processeurs qui miment à n’en plus pouvoir
le monde vagissant ; cette salle interminable qui nous avale chaque matin
pour nous vomir au soir, évidés et médiocres ; ces paroles mécaniques et
ces gestes ordonnés qui signent la mort définitive de la poésie... » (pp
62-63), « L’écriture est détestable parce qu’elle ne prend pas parti, non
par lâcheté, mais par stridente vérité ; elle saisit et donne à lire,
limpide et foudroyante, ce que le boléro ne fait que suggérer......C’est pour
cela qu’il faut toujours écrire, dans un sursaut de survie lumineuse......Il
faut écrire pour rendre au mot sa liberté symphonique » (pp 140-141)
Avis : Exercice d’écriture réussi.....pour tous ceux qui aiment beaucoup plus la gymnastique
, souvent déconcertante mais belle , des phrases et des mots qu’une histoire
toute linéaire et tristounette.
Citations : « Le sang ne ment
pas ; quand il s’emballe, créant une sensation physique de submersion, de
noyade infinie, les mécanismes de survie s’enclenchent comme dans tout autre
cas de banal mort imminente » (p35), « Certains de nos choix, si ce
n’est la plupart, sont dictés par un impensé qui s’avère être le seul maître de
nos vies » (pp 38-39), « Quand le maître simule un genou à terre,
les esclaves s’extasient et dansent et chantent victoire ; elles se ruent
sur l’os, s’en disputent le moindre cartilage pour s’approprier le mérite de la
chasse » (p 81), « L’amour est protéiforme ; il n’obéit à aucune
définition statique.Il mue, transhume, disparaît puis
réapparaît.Il est volage et insaisissable »
(p96), « Fascinants, les hommes : despotes domestiques, champions des
biceps et du coup de poing, héros du bricolage et du cuissage, esprits et corps
supérieurs.....Et pourtant, mon Dieu, quelles cruches ! « (p 101),
« La corps à peine formé est pourtant doté d’une sagesse millénaire ;
il accueille sans résister la mort avant même que d’être. Il sait.Il a tout vu à travers les
brumes amniotiques... » (p111), « Contrairement à ce que racontent
les historiens faussaires, ce n’est pas le sexe qui suscite les confessions sur
l’oreiller.C’est le mépris ! » (p 129)