SOCIETE- PRATIQUES- KARAKOU (VÊTEMENT)
Entre les mains des créateurs de haute couture
algériens, il est protégé, revisité, tout en gardant son âme. Parmi ces
créateurs, se distingue Dar Azzi, maison de haute couture et de broderie fondée
en 1965 par Mohamed Lakhdar Azzi. Son savoir-faire s’est transmis de père en
fils pour s’affirmer comme une référence dans le domaine. Son fils Fouad
perpétue aujourd’hui cette tradition. Il explique que le karakou
trouve son origine chez nous en Algérie. Il a été mis en valeur durant
l’époque ottomane, et a été porté par les Algériennes. «Je
me suis rendu en Turquie pour mener mes propres recherches. Une historienne
spécialisée dans la période ottomane m’a confirmé que le karakou
remonte à la période ottomane», précise-t-il. Apparu au XIXe siècle, il est riche
d’influences diverses. Né à la fin de la période de l’empire ottoman, le karakou fut également influencé par l’apport
berbéro-andalous. Le styliste évoque d'autres pièces emblématiques du
patrimoine vestimentaire algérien, telles que la frimla,
la ghlila ou encore la sedriya.
Pour lui, à l’origine,
ces costumes étaient confectionnés pour soutenir le corps
féminin. «Sedriya était
portée sous le karakou et avait éventuellement un
autre rôle avec des manches comme un boléro et un décolleté profond pour préserver
l’élégance du costume gandoura ou karakou»,
ajoute-t-il. Avec le temps, ces habits ont évolué pour devenir des tenues
traditionnelles, portées notamment sur le badroun
m’douar. La ghlila, originaire de Constantine, et la frimla, propre à l’Algérois, remontent, quant à elles, au
XVIe siècle. Ce gilet décolleté, avec ou sans manches, était autrefois la tenue
citadine par excellence. En se raccourcissant, il a donné naissance à la frimla et en s’allongeant jusqu’aux chevilles, il est
devenu le kaftan algérien. Autrefois, ces tenues étaient portées avec dignité.
Les orientalistes en ont d’ailleurs immortalisé l’élégance dans leurs tableaux.
Dans des patios, les femmes et les fillettes, vêtues de ghlila
brodée, prenaient paisiblement leur café, en incarnant la grâce quotidienne
d’un art de vivre raffiné. En revenant sur l’histoire et la richesse du karakou,
le créateur le décrit comme une pièce délicate, confectionnée à l’origine sur
du mlef, un tissu précieux, orné de perles et brodé
avec le motif des feuilles de zarkasha. Ce motif
floral, réalisé en fil d’or ou d’argent, était utilisé par les Andalous avant
la chute de Grenade pour orner les vêtements de l’aristocratie. À Alger, on les
appelle «el noujoum»,
tandis qu’à Tlemcen, Constantine et même en Tunisie, ces motifs sont connus
sous le nom de «l’addes». Cependant, ces
matières nobles et fragiles ne permettaient pas à ces habits d’être portés
longtemps. «Aujourd’hui, pour garantir leur
durabilité, nous utilisons par exemple du velours, une matière résistante, que
nous ornons avec les broderies fetla et medjboud», explique le designer. Il ajoute que pour
moderniser ces costumes, les stylistes jouent désormais sur les coupes, tout en
veillant à préserver la décence et l’élégance qui caractérisent ce vêtement
traditionnel. S’agissant des motifs, Azzi indique qu’ils restent variés, allant
du floral à des touches géométriques ou animalières, limitées à des symboles
légers comme le papillon ou l’oiseau figé. «La fetla reste la matière la plus noble. Le medjboud, quant à lui, était autrefois réservé aux hommes,
on le retrouve dans la fantasia, sur les bottes, la selle et le burnous, comme
celui porté par l’Émir Abdelkader», précise-t-il. Dans les ateliers Azzi, la
confection d’un karakou nécessite environ 200 heures
de travail, réparties sur deux mois. Selon le spécialiste, autrefois, les
matériaux utilisés (alliages d’or et d’argent) rendaient ces pièces extrêmement
coûteuses et étaient réservées aux classes royales. «Si
l’on utilisait encore ces matières aujourd’hui, les tenues risquent d’être
perdues», note-t-il. C’est pourquoi les
stylistes actuels optent pour des matériaux plus accessibles afin de permettre
aux familles de s’offrir et de porter ces vêtements, tout en maintenant une
certaine noblesse. Pour le moderniser, chaque créateur apporte sa touche
personnelle, sur les formes, les finitions et les détails. La Maison Azzi, quant à elle, défend ce
patrimoine sur la scène internationale. Prochainement, ses créations seront
exposées au Japon et en Italie, où le karakou promet
de séduire un public curieux de découvrir la finesse et la beauté d’un habit
emblématique, toujours porté à travers tout le territoire algérien. Enfin, le créateur lance un appel pour la
protection de cet héritage culturel. «Nous travaillons
à faire classer le karakou au patrimoine mondial de
l’Unesco. Ce serait un pas essentiel pour assurer sa sauvegarde et sa
transmission aux générations futures mais surtout sa protection.» Le karakou reste un joyau parmi
les nombreux trésors vestimentaires que recèle l’Algérie. Ce patrimoine, d’une
richesse inestimable, mérite d’être préservé avec soin, chacun à sa manière,
tel un héritage vivant que l’on transmet de cœur en cœur.