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Roman Rachid Boudjedra- "L'Insolation"

Date de création: 13-05-2025 17:43
Dernière mise à jour: 13-05-2025 17:43
Lu: 40 fois


SCIENCES-BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ROMAN RACHID BOUDJEDRA- « L’INSOLATION »

 

L’Insolation. Roman de Boudjedra Rachid. Editions Anep, Alger 2002 (première édition en 1972).253 pages,  400 dinars.

 

Un homme , prof’ de philo de son état (Un « fou » disent-ils ! mais l’est-il vraiment ou ou n’est -ce pas un sage, un être sensé posant un regard critique sur sa société ,  sage que tous les autres ignorent ? ) enfermé dans un asile car s’étant laissé aller à contre-courant des codes sociaux de l’époque,  traditions archaïques et conventions sociales,  petit-bourgeoises. Il avait osé « déflorer » une jeune étudiante ( fi-fille d’un oligarque) qui, d’ailleurs,  ne demandait que ça .

Un séjour assurément forcé qui va l’amener à faire ressurgir -sous forme d’une confession, d’un monologue - l’histoire de sa vie , la sienne , de sa famille , de son entourage immédiat et aussi du pays. Son enfance rejaillit. Voilà qui va entraîner la pensée et les réflexions à aller jusqu’au bout d’elles-mêmes.C’est ce qui fait aussi la beauté de la littérature. C'est aussi ce qui fait la beauté et le génie de l’écriture boudjdréenne. Du Camus, du Kateb... ? Mais,  surtout,  du Rachid Boudjedra tel qu’il s’était révélé au tout début de son parcours d’écrivain-philosophe avec , entre autres , «  La Répudiation » (ce qui lui avait alors valu bien des critiques de la société et des pouvoirs conservateurs de l’époque...et même un certain exil)

On a donc , en vérité, un non-fou qui porte le masque de la folie.Et dans tout le « jeu » de la folie, au milieu d’un vrai asile de « fous », l’auteur opérant par opposition et dédoublement entre le vrai et le faux, le réel et l’irréel, le souvenir et la réalité , va nous montrer le jeu de la folie..... La « folie » de ce personnage lève le voile sur le double jeu de certains personnages qui gravitent autour de lui, notamment sa mère, sa tante, son oncle et Djoha, représentant un microcosme social, l’infirmière et les fous, quant à eux, renvoyant, a contrario, à un macrocosme. Les personnages, dans le texte, fonctionnent comme des signes représentant une classe et une situation sociales presque réelles. En réalité, dans le texte, la folie ne fait que délimiter les marques de la société. Les marginaux sont les hommes de lettres, les artistes, les laissés-pour-compte, les non-fous de l’asile. Cette marge sociale est la souche consciente du peuple. Ils ne sont pas fous mais ils s’écartent de la norme sociale. Ils sont internés parce qu’ils sont la preuve tangible de l’incapacité de la société à reproduire le moule social. Ces fous sont utilisés comme subterfuge de dénonciation et de dévoilement de la facette cachée de la société mais surtout du pouvoir. Ils fonctionnent comme des signes qui renvoient aux conflits sociaux et aux maux du peuple. Et,  les insensés sont, en fait, tous les êtres, hors des murs de l’asile, soumis au pouvoir.

 

 L’Auteur : Né en 1941 à Ain Beïda (Aurès), études en maths et en philo. Enseignant universitaire puis, à partir de 1972, il se consacre à l’écriture. Auteur d’une œuvre considérable , traduite dans le monde entier. 

Extraits : « Nous faisions la guerre et il n’y avait pas de fleurs dans nos songes. Seulement le napalm déversé par les insectes d’acier tourbillonnant  dans le ciel, au-dessus de la lagune. Mille et millier villages détruits.Il nous fallait surgir de l’ombre et même du soleil, frapper et nous faire avaler par les forêts  et les prairies des matins gris »  (p 99), « Oublierait-elle (note : l’infirmière-surveillante) que nous venions de vivre une guerre meurtrière de sept ans, durant laquelle les meilleurs d’entre-nous furent décimés, catapultés, pulvérisés par le bombes et les avions,, le napalm et les services psychologiques ? Oublierait-elle aussi que beaucoup parmi les malades venaient de France où on les avait tellement exploités, brimés, méprisés qu’ils en étaient devenus fous, à aller de métro en bidonville et de bidonville en chantier avec des contremaîtres corses et italiens ou polonaois qui exècrent les Arabes parce qu’ils sont eux-mêmes en butte au racisme des autres habitants du pays , susceptibles et sourcilleux, fiers d’y être nés comme si » (p 120), « Algériens sanguinaires ! Mais oui, sept années qu’ils ont fait la guerre, à massacrer de gentils colons et de rustiques garde-champêtres (Constantine : 20 août 1955.la ratonnade gigantesque fit des centaines de morts, tous algériens, abattus au fusil-mitrailleur par les Européens déchaînés et haineux protégés discrètement par les autorités coloniales de la ville ...) mais tous armés jusqu’aux dents, tirant à vue, jouant aux justiciers du Far West partis à pourchasser les mauvais Indiens... » (p167),                                                                           

Avis :Pour moi, le plus grand jongleur de mots et de phrases de la littérature francophone. A vous y perdre.....avec plaisir ! Pour découvrir le monde intérieur d’un auteur à nul autre pareil.Un peu de Calmus ? Un peu de Kateb Yacine ? Peut-être ! Mais beaucoup, beaucoup  de Boudjedra.....On comprend , en le (re-)lisant pourquoi le monde littéraire français,celle d’hier et celle d’aujourd’hui,  voyant en lui le meilleur d’entre-tous, a commencé (et a contiué de nos jours  encore ) à le  boycotter. Il est vrai que c’est un personnage exceptionnel au caractère plus que trempé,....et à l’algérianité nationale-patriotique aiguisée....et ne s’en laissant pas conter. Qui s’y frotte s’y pique !

Citations « Aller de la prison du père à celle du mari, c’est comme sucer des petits cailloux pour tremper sa faim » (p17), « Les pauvres exagèrent toujours l’avarice des riches » (p 36), « Je me sentais toujours à l’étroit dans une photographie, enfermé définitivement dans le temps et dans l’espace, figé pour l’éternité comme si je n’allais plus vieillir ni jamais quitter tel ou tel décor » (p 218), « Imagine-toi un cadi ! C’est beaucoup plus leste derrière une voiture mortuaire, malgré sa bedaine gorgée d’eau et malgré la sieste faite dans de mauvaises conditions un jour d’enterrement.Un cadi, ça a l’habitude ! Il ne vit que pour ça. Sans les enterreemnts, il n’aurait aucune valeur.Si les gens le respectent, c’est parce qu’ils l’associent à la mort » (p 228)