JUSTICE- ENQUÊTES
ET REPORTAGES- AFFAIRE ANEP. ANAJ/KHOMRI A., 2025
© Salima Tlemçani/El Watan, lundi 5 mai 2025
Le pôle financier près le tribunal de Sidi M’hamed, à Alger, a poursuivi, dimanche 4 mai 2025, l’examen
de l’affaire relative à la gestion de l’Agence nationale des loisirs et de la
jeunesse (Analj) et de l’Agence nationale d’édition
et de publicité (Anep).
Les
auditions avaient commencé mercredi dernier, avec les cadres dirigeants de l’Anep , dont Abdelkader Khomri, jugé pour «abus de
fonction», «octroi d’indus avantages», «dilapidation de deniers publics»,
«blanchiment d’argent et enrichissement illicite», tandis que les trois autres
cadres, Lazahri Labter,
directeur de l’édition, Ahmed Boucena, ancien PDG et
ancien DGA, ainsi que Labsi, directeur des finances
et de la comptabilité, sur lesquels pèsent trois chefs d’inculpation, à savoir
«abus de fonction», «dilapidation de deniers publics» et «octroi d’indus
avantages».
Lors
de son audition, Lazhari Labter
a expliqué qu’à son arrivée à l’agence, il a trouvé une convention d’achat de
10% des actions de la maison d’édition Hachette et des droits d’édition, en
précisant que Abdelkader Khomri, alors PDG de l’Anep,
l’a chargé de l’édition.
Selon
lui, le choix de sa personne «ne reposait pas sur le copinage, comme l’a
déclaré Ahmed Boucena l’ancien PDG de l’Anep, mais sur mon profil de journaliste, écrivain et poète». Il a affirmé avoir édité «tous
les livres dont les droits d’édition ont été achetés, alors que l’Agence était
connue beaucoup plus pour la publicité. Elle n’a jamais fait de l’édition» et a ajouté : «Lorsque je l’ai quittée, des
dizaines de livres d’auteurs majoritairement algériens et étrangers ont été
édités. Il y a des éditions de 1000 ouvrages seulement, mais lorsqu’il s’agit
d’auteurs de renom, comme Ahlam Mosteghanemi, Amine
Maalouf ou encore Rachid Boudjedra, le nombre est de
loin plus important.»
Selon
lui, «le livre est une longue chaîne», précisant : «Ce
n’est pas à mon époque que le préjudice a été causé, puisque la plupart
des livres ont été édités, soit 256 en trois ans. Le reste était en master,
c’est-à-dire en format CD, et prêt à être édité. Cela n’a pas été fait, parce
que Boucena a, dès sa nomination en tant que PDG,
gelé l’édition. Après mon départ, les 8 directeurs qui m’ont succédé n’ont pas
poursuivi la tâche. J’ai sauvé l’édition de beaucoup de titres en prorogeant le
délai d’échéance pour qu’ils soient édités.» Il a
expliqué que «le livre est un produit lent» et «qu’il
y a un grand problème de distribution», avant que le juge ne l’interrompt :
«Acheter des droits d’édition pour les revendre à bas prix, n’est-ce pas une
perte ?» Labter : «Mais
bien sûr que c’est une perte. C’est Boucena qui en
est responsable. Il a donné une instruction verbale en disant que le livre ne
rapporte pas, suivie d’une autre instruction, cette fois-ci écrite, dans
laquelle il dit il faut arrêter le livre.»
Appelé
à la barre, Abdelkader Khomri a nié tous les faits et affirmé qu’en 1999,
lorsqu’il a été désigné à la tête de l’Anep, la
politique de l’Etat était basée sur la levée du monopole sur la publicité. «A cette époque, l’Algérie était en négociation avec l’OMC
et parmi les 14 conditions que celle-ci lui a imposées, il y avait la levée du
monopole de l’Etat. Cela a provoqué un tarissement des ressources publiques.
Les travailleurs ne percevaient pas leurs salaires. J’ai demandé une réflexion
pour une éventuelle alternative.
Lors
d’une réunion, à laquelle Boucena en tant que directeur
général adjoint, le représentant du Holding, et d’autres responsables et
moi-même avons pris part, des décisions ont été prises et le procès-verbal a
été signé par Ahmed Boucena, en tant que directeur
général adjoint de l’Anep. Parmi celles-ci, la création de 4 filiales et le Conseil d’administration
les a toutes entérinées. Avec la filiale AME (Agence messagerie express), nous
voulions régler le grand problème de distribution des journaux. Elle a commencé
de zéro et réussi l’exploit de recruter 1500 travailleurs. Il y a eu aussi la
messagerie bancaire, un succès qui a permis d’engranger des milliards de dinars
par an. Cette filiale fonctionne à ce jour.» Le juge : «Parlez-moi plutôt des filiales qui n’ont pas
réussi.»
Khomri : «J’y arrive. La
filiale AME est une réussite, tout comme l’ACS (agence de communication et de
signalétique) Ipsofine n’a pas réussi parce qu’elle
était censée faire les sondages électoraux et cette activité n’était pas
autorisée.» Le juge : «Pourquoi
ne pas l’avoir dissoute en temps opportun ?» Le prévenu :
«J’étais déjà parti en 2004. Elle a été créée en 2002. Je ne peux
dissoudre une entreprise, une année ou deux ans après sa création. Le conseil
d’administration n’a pas demandé sa dissolution. Une augmentation de son
capital a été effectuée, après mon départ, en 2006 et en 2008.»
Le
juge : «Quelle est la filiale qui a été dissoute sans
raison ?» Khomri : «TDA Internet. Elle n’a pas réussi
parce qu’il n’y a pas eu d’entente. TDA, ne nous a pas donné de raison. Le
capital de l’Anep, plus d’un million de dinars a été
restitué à la banque.» Interrogé sur l’achat des
droits d’édition auprès de la maison Hachette, Khomri est revenu sur le
contexte du début des années 2000, marqué par l’organisation du Salon du livre
et la nécessité de tisser des relations avec de grandes maisons d’édition. «Nous avons été approchés par la Maison Hachette qui n’est
pas des moindres. Elle voulait un protocole d’accord dans l’édition du livre», a-t-il déclaré avant que le juge ne le ramène à Dar
Al Farabi et lui demande s’il avait des relations personnelles
avec celle-ci. Khomri : «Mes relations avec elle sont
purement professionnelles.
A
l’époque, chaque jour, Al Ahram consacrait un édito
contre l’Algérie. Notre objectif avec Al Farabi est
d’avoir une tribune dans le monde de l’écriture arabe et ramener le maximum de
maisons d’édition arabes en Algérie pour le Salon international du livre pour
qu’elles nous aident à être plus visibles.»
Pour
ce qui est du nombre des titres, il a répondu qu’il était «bien
étudié» avant de rappeler qu’à l’époque «les maisons d’édition françaises nous
refusaient les livres parce qu’elles considéraient que ce marché en Algérie,
lui appartenait. Pour nous, Dar Al Farabi avait de
bonnes relations directes avec d’autres maisons d’édition, ce qui nous a
poussés à conclure avec elle un protocole d’accord, selon les besoins
stratégiques et en coordination avec l’autorité politique du pays. L’Anep était sous le regard direct de la Présidence.»
Pour
Khomri, «Le nombre important de livres a été édité et
vendu», mais l’expertise, at-il dit, «est restée
entre il a acheté et n’a pas vendu, et non pas qui n’a pas édité et qui n’a pas
vendu. En 2002, j’ai revu les délais d’expiration des droits d’édition qui
expirent en 2005. Je les ai prorogés de 5 ans. J’ai quitté mon poste en 2004 et
laissé un successeur. Je ne suis pas responsable».
Le
juge : «Qui en est responsable ?» Khomri : «Boucena. Ce ne sont pas des
accusations. Les faits qui le prouvent. Les titres que j’ai laissés et dont les
droits d’édition ont été achetés, étaient prêts à être édités mais lui a décidé
de tout geler. C’est lui qui a augmenté le capital d’Ipsofine
pas moi». «Hachette est une
des plus grandes maisons d’édition».
Le
juge a rappelé au prévenu que le protocole d’accord avec Ipsofine
a été signé en 1999, alors qu’il était PDG, mais Khomri a précisé : «II a été signé en début 2000, où il y avait une nouvelle
vision, celle d’être actionnaire puis, il y a eu en 2002, une consultation
financière qui précisait que l’Anep ne peut être avec
une société étrangère qui capitalise par une industrie. Nous n’avons pas créé
une nouvelle entité, nous avons acheté des actions de l’entreprise.». Le juge : «C’est vous qui aviez
signé la prorogation des délais d’expiration…»
Khomri
a confirmé et expliqué que c’était «à titre préventif».
Mais le magistrat réplique : «Vous avez prorogé les
délais parce que vous n’avez pas exécuté le contrat.» Khomri a contesté et cite
pour preuve les rapports «sans réserve» du commissaire
aux comptes.
Le
juge l’a interrogé sur l’achat des actions de la maison d’édition
Hachette.
En
réponse, le prévenu a rappelé qu’à l’époque, le gouvernement avait décidé
d’ouvrir le marché du livre scolaire au privé national et étranger. «Hachette qui est une des plus grandes maisons d’édition
mondiale était intéressée. Nous nous sommes rapprochés d’elle avec l’accord des
plus hautes autorités.
L’expertise
estime que le prix d’achat des actions était élevé, mais sans préciser sur
quelle base repose ce constat. La même chose pour le prix de cession. Nous
avons acheté sur la base d’un protocole qui nous permet, une fois dans le
capital, d’avoir l’exclusivité de l’édition et de la diffusion de millions de
livres. Il est impossible de trouver une entreprise aussi expérimentée qui nous
permet d’éviter des erreurs dans l’édition du livre scolaire que nous avons
vécues dans le passé. C’est tous ces paramètres qui ont aidé à opter pour cette
participation dans le capital. L’Anep est une société
politico-socio-économique. Rien ne se fait sans l’accord de l’autorité concernée.»