SOCIETE- BIBLIOTHÈQUE D’ALMANACH-
ROMAN MOULOUD FERAOUN- « LE FILS DU PAUVRE »
Le fils du pauvre. Roman de Mouloud
Feraoun. Casbah Editions, Alger 2012, 198 pages, 50 dinars.
Grande Kabylie, , an de grâce 1912.Fouroulou (de effer :
cacher) est le premier garçon né viable dans une famille modeste à la limite de
la pauvreté . C’est dire l’importance de la place qui allait lui être
réservée durant toute son enfance et , plus tard, la
responsabilité qu’on allait lui faire porter. Choyé par
tous et toutes (une mère aimante et généreuse , une de ses tantes toute
de tendresse ,et ses sœurs protectrices et dévouées) jamais ridiculisé
parmi le bambins du village en raison d’un prénom tout à fait nouveau.Il fut , tour à tour berger, puis écolier et
collégien puis étudiant (à l’Ecole normale, svp !) et, enfin, instituteur.
Bien que très attaché à
ses parents et à la famille, il a toujours cru (et voulu) en un avenir autre,
différent de celui des siens . Il est vrai que, déjà tout jeune, « homme -enfant »,
voir son père écrasé par un dur labeur pour subvenir difficilement
aux besoins de la famille,est une grande leçon
pratique.
Plus tard, devenu enseignant , marié , il n’oubliera pas et aidera sa famille
à faire face aux nécessités , toujours dures , de la vie.
Voilà donc un récit
autobiographique qui restitue fidèlement une vie certes paraissant simple mais
qui ne pouvait qu’être difficile matériellement en ce temps d’occupation
coloniale, avec beaucoup plus de bas que de hauts.Heureusement,
le livre est traversé par une grosse quantité d’émotions car nous décrivant une
société , certes pauvre, mais baignant non pas dans le bonheur mais dans une
certaine sérénité d’esprit.On y retrouvait certes pas
mal de conflits (assez vite réglés par les Anciens) mais il y avait surtout le
respect des grands, l’ écoute de leurs conseils, la protection des petits
et des faibles, l’attachement familial. On est pauvre mais....heureux
en se battant pour arracher la joie d’une naissance, d’un retour au foyer ou
même d’un sourire.
A noter que dans ce livre, l’auteur décrit la vie dans un village kabyle
dans les années 1920 – 30, pendant la période de la colonisation française.La vie des villageois
est rude, il n’y a pas de luxe, pas de superflu. On vit dans des habitations
sommaires. La principale préoccupation est de se nourrir, de manger à sa faim,
ce qui souvent n’est pas le cas. Les gens souffrent, les femmes meurent en
accouchant, la mortalité des enfants est importante.
L’organisation sociale est telle que les différences entre les uns et les
autres n’apparaissent pas dans la façon de vivre : « Nous sommes tous
de la même condition parce que tous les kabyles de la montagne vivent
uniformément de la même manière. Il n’y a ni pauvres ni riches ».Il décrit aussi, tout particulièrement, lorsqu’il s’en ira
étudier à Alger,la vie et le comportement des
« autres ». Un autre monde........qui ne s’apercevait pas qu’il
était en train de disparaître, avec l’émergence de milliers de « Fouroulou ».
L’Auteur : Né le 8 mars 1913 à Tizi
-Hibel (Grande Kabylie) dans une famille de paysans modestes.Diplômé de l’Ecole
Normale de Bouzaréah (Alger) où il y fit la
connaissance d’Emmanuel Roblès,.Instituteur (au village natal puis
à Taourirt -Moussa), directeur du cours
complémentaire de Larbâa Nath Iraten
, directeur de l’école du Clos Salembier (El Madania ) puis, en 1960, Inspecteur des Centres sociaux.
Assassiné par l’Oas le 15 mars 1962. Inhumé à Tizi Hibel.Auteur de plusieurs romans à partir de 1951,
ainsi que de plusieurs articles et manuels
pédagogiques.
Table des matières :La famille/ Le fils aîné/La guerre/Épilogue/Notes
Extraits : « Nous avons encore
de nombreux poèmes qui chantent des héros communs.Des
héros aussi rusés qu’Ulysse, aussi fiers que Tartarin, aussi maigres que Don
Quichotte » (p 13), « La Djemaa est un refuge sûr, toujours
disponible et gratuit.Le café maure ne tente que les
jeunes et les paresseux » (p17), « L’enfant ordinaire ne fait pas
grand cas de la tendresse de ses parents.C’est pour
lui chose acquise.Il n’y pense même pas, il s’en
lasse lorsqu’on le gâte.Il aspire à des affections
supplémentaires : il fait des avances, cherche des amis, l’ingrat veut
donner son cœur ;il est prêt à trahir sa maman, à préférer un autre à son
père, pourvu qu’il trouve quelqu’un de sûr » (
p83), « Oh ! Il faut les plaindre les pauvres jeunes gens de
chez nous.Les coutumes
veulent les astreindre à être chastes, ils perdent leur innocence et prennent
goût à la débauche avant de connaître la femme.Ce ne
sont pas des monstres.La preuve, c’est qu’ils s’adoucissent
bien vite après le mariage. Seulement, en attendant, ils font toutes sortes de
bêtises » (p 160) , « Les
Kabyles peuvent se vêtir de haillons.Ils se
permettent d’être sales.Ils se passent de sucre et de
café.Mais ils ne peuvent pas se passer d’orge.Leur ventre est un véritable tyran.Ils
sont insupportables avec leur ventre.Ils ressemblent
à tout le reste des humains » (p 186)
Avis :Inimitable style.Pur, simple,humain.Aujourd’hui, il peut paraître vieillot,
alors qu’il correspond parfaitement à son époque, à une manière de s’exprimer
et d’écrire.L’auteur écrit comme il parle d’où
la sincérité et l’empathie. Pour tous ceux qui ont traversé les mêmes itinéraires,même en d’autres
époques, , impossible de ne pas être remué.Aujourd’hui
encore. Une véritable leçon d’écriture et d’humanité.
Citations : « Chacun de nous,
ici-bas, doit connaître la pauvreté et la richesse.On
ne finit jamais comme on débute, assurent les vieux.» (p 17), « Il y a
plusieurs façons de dormir.Il y a le sommeil lourd de
fatigue, le repos calme de la santé, le sommeil pénible de la maladie.La mort, c’est autre chose » (p91), « La
mort toujours le même visage.On s’obstine à y
chercher l’absent alors qu’elle devrait simplement nous faire songer à vivre
dignes » (p 92), « Instituteur ! la plus belle de toutes les
carrières, la mieux payée, la moins pénible, la plus noble » (p 133),
« Non ! ils ont bien raison ceux qui nient l’existence du bonheur
parfait ici-bas : nos amis, les premiers , se chargent de le troubler
» (p 149), « La race ne réussit pas plus que le clocher à
rassembler les gens.Il reste la condition sociale, la
coupe du costume, la situation des parents.... » (p157)