HISTOIRE-
BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ESSAI HOSNI KITOUNI- « HISTOIRE, MÉMOIRE ET
COLONISATION »
HISTOIRE, MÉMOIRE ET COLONISATION. Essai de Hosni Kitouni, Chihab Editions, 221
pages, 1 200 dinars
On le connaissait infatigable chercheur de références
historiques ayant trait à la période coloniale.C’est
pour cela que la dernière œuvre de l’auteur n’étonne pas. S’appuyant sur des
sources historiques souvent méconnues (cachées dans des archives
presqu’interdites à la consultation ou délibérement
ignorées par les historiens d’outre-Méditerannée) ,
l’auteur s’en est allé à nous faire découvrir les pratiques concrètes du
colonisateur au fur et à mesure de la « conquête » , avec son cortège
de violences inouïes :liquidations de masse dans le Dahra (entre autres) ,
viols, pillages et spoliations, séquestres, impôts ethniques etc… Autant
d’actes barbares ayant un impact démographique sur la population algérienne et
conduisant à une paupérisation généralisée.On est
alors loin , bien loin, très loin des « aspects positifs de la
colonisation » en Algérie en particulier et en Afrique en général.
En introduction de son ouvrage, l’auteur revient sur
la spécificité du « colonialisme de peuplement », à savoir un
processus de remplacement / substitution des populations. Un mode opératoire « potentiellement
génocidaire, c’est à dire une entreprise globale irréductible au massacre, par
laquelle le colonisateur détruit les personnes, les fondements de leur
existence, s’attaque à leur patrimoine culturel, à leur économie, aux
détenteurs de savoir, aux élites religieuses, aux lieux de culte, aux
bibliothèques, c’est à dire en dernière analyse, détruit les infrastructures de
vie afin de priver les communautés de leur capacités à se régénérer et à
assurer leur souveraineté ». Voilà qui nous ramène aux exactions commises
actuellement par le colonisateur israélien en Palestine et à Gaza en
particulier.
Des « similitudes anthropologiques » entre
les massacres de Gaza et ceux de la guerre d’Algérie (1830 -1871) sont
relevées. Pour exemple concret, durant leurs exactions, les soldats ont trouvé
le moyen de faire des « selfies » pour immortaliser leurs horreurs.
Les correspondances des « généraux », les articles de la presse
locale d’Algérie
fourmillent
de descriptions macabres et horrifiantes « qui , toute proportion gardée,
préfigurent ce à quoi nous assistons aujord’hui à
Gaza . Ces auto-narrations sont destinées aux parents ,
aux amis, elles racontent sans voile et sans honte les plus abominables
cruautés».
En historien rigoureux, il examine de manière critique
et avec minutie , parmi tous les multiples
« massacres en vase clos » ,le narratif d’un événement
« emblématique » de la conquête ,
« L’enfumade des Ouled Riah », à Nekmaria, en juin 1845 ; un massacre commis par
Saint Anaud (800 à 1000 hommes, femmes enfants
et vieillards ou bien plus) .
L’Auteur : Etudes en économie (Paris VIII Vincennes), enseignant durant quelques années avant de
rejoindre la télévision algérienne où il écrit et réalise des émissions
culturelles et de nombreux documentaires historiques et sur le patrimoine, chercheur associé à l’Université d’Exeter en
Angleterre entre 2018 et 2021. Chercheur indépendant en Histoire du fait
colonial. Déjà auteur d’une monographie sur « la Kabylie orientale dans
l’histoire » (2013) et d’un essai sur le « Désordre colonial » (2028)
et de plusieurs études consacrées à la violence et aux changements induits par
les dépossessions massives au cours du XIXème siècle
Sommaire :Introduction/ Livre
I : Formation d’un imaginaire collectif .Esthétiser l’horreur ;
Invention d’un euphémisme, enfumade ; Invention d’un récit et mythe de la
réitération : Discours de gauche et violences systémiques ; Massacres
coloniaux et repentance/ Livre II : Enquête.Omission
et mensonges de l’historiographie française / Livre III : Les vaincus
n’ont pas d’histoire ; La colonisation , un génocide ? ; Le
« célèbre four du Dahra » / Livre IV : Changer de
perspective ou une histoire des Ouled Riah ; Le Dahra, un pays imprenable ; Que
s’est-t-il passé à l’intérieur de la grotte ? ;Le
revanche des Sbeha ou l’échec de Saint Arnaud/
Bibliographie
Extraits : « Entre 1830 et
1871, plus d’une centaine de villes ont
été dévastées, 5 millions d’hectares dépossédés, 336 tribus réduites à
la misère totale, 1,2 millions d’Algériens ont été massacrés ou ont
disparu » (p12), « L’Algérie s’est imposée durant toute la
seconde moitié du XIXè siècle comme un véritable
laboratoire où s’élaborent les pratiques de la guerre totale dans l’espace
impérial de la Nation et celle d’un savoir de racialisation des colonisés fondé
sur leur appartenance religieuse à l’Islam.L’Algérie
a remodelé l’imaginaire impérial de la France » (p 29), « Il y
a là ( commentaire d’un ouvrage de Antoine Porot,
décrivant le colonisé: « Notes de psychiatrie musulmane ») une
évolution remarquable du discours colonial de racialisation qui passe de la
légitimation de l’infériorisation des indigènes par des préjugés ethnoculturels
à des arguments pseudo-scientifiques » (p 70), « On constate
que plus la question
coloniale déborde sur le champ
public, provoque des conflits mémoriels anxiogènes, plus elle s’éloigne comme
objet de connaissance, d’investigation et de recherche.Pas
une thèse (note : au sein de l’Université française) ne
traite par exemple du racisme colonial, des dépossessions des terres, du
travail gratuit, de la guerre coloniale, de prise d’otage, des razzias, de
l’impôt arabe, des viols, de l’oppression culturelle et liguistique,
de la sexualisation des rapports de domination, etc... » (p109),
« Contre les mythes coloniaux d’une Algérie latino-chrétienne, les islahistes opèrent un renversement en mettant en avant une
identité algérienne sémite et musulmane qui aurait existé depuis la nuit de
temps » (p117), « La massacre des Ouled Riah n’est ni le premier du genre, ni le plus horrible, ni
le dernier, sa particularité est d’être devenu le plus célèbre mythe guerrier
problématisant la question de la violence en situation coloniale » (p151),
« Malgré une guerre terrible de plus de 40 ans et face à une des armées les
plus puissances du monde, les Algériens ont su préserver les ressorts de leur
résilience....les Algériens ont résisté sous des formes multiples et complexes
pour faire échouer le projet de leur extermination physique et
civilisationnelle » (p213)
Avis :Passionnant ! Mais pourrait
être déprimant pour les êtres et/ou âmes sensibles à la lecture des massacres
commis par l’armée coloniale française. Intéressant sur le plan méthodologiquee avec une autre façon méticuleuse d’analyser
et d’écrire l’histoire de la colonisation. Recherche poussée....peut-être
un trop « chargée » de détails bibliographiques. A lire absolument et
ne pas se décourager face au style assez académique et émouvant mais très
pédagogique
Citations : « Toute colonisation
de peuplement vise à éliminer les natifs pour les remplacer par une
immigration massive » (p
9), « Violence donc de l’irréversible, le massacre creuse un fossé de
sang et de haine au présent et dans l’imaginaire des générations
futures» (p 15), « Le passé colle à la terre et la terre est essaimée
de lieux de mémoire » (p55), « Les massacres ne sont pas un but
délibéré de la guerre, mais un succédané à son échec.Autrement
dit, le massacre survient quand la brutalité ordinaire ne parvient pas à ses
buts : soumettre les populations » (p154)
----------------------------------------------------------------