COMMUNICATION- OPINIONS ET POINTS
DE VUE-COMMUNICATION/ LIBERTE D’EXPRESSION/CONCEPT
La sanction des abus
de la liberté d’expression
https://actu.dalloz-etudiant.fr/
Souhaitons
que la fermeture récente de la chaîne de télévision C8 à la suite de la
décision de ne pas lui attribuer une fréquence TNT décidée par l’Arcom (Autorité de régulation de la communication
audiovisuelle et numérique) permette un débat sur la liberté d’expression et
son encadrement ! Evan Raschel,
professeur à l’Université de Clermont Auvergne, auteur du Précis de
Droit de la presse (Dalloz,
2025), répond aux répondre
questions sur les équilibres en la matière.
Quelle
est la définition de la liberté d’expression ?
Il existe
de nombreuses définitions de la liberté d’expression : tout l’enjeu est
d’identifier la plus pertinente ! Évitons notamment de partager celle que
cherchent à nous imposer actuellement nos « amis »
d’outre-Atlantique… S’il faut en retenir une, la plus belle est celle issue de
l’article 11 rédigé par M. de La Rochefoucauld — de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 en vertu
duquel « La libre communication des pensées et des opinions est un des
droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler,
écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les
cas déterminés par la loi ». « Un des droits les plus
précieux de l’Homme » : cette formule de Mirabeau, réservée à la
liberté d’expression, conforte sa place particulière parmi les libertés. Il
s’agit bien de liberté d’expression, ou plutôt de communication, et pas
seulement de liberté de la presse : les journalistes ne sont pas seuls
concernés puisque « tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer
librement ». Évidemment, l’usage de cette liberté peut dégénérer en abus,
auquel cas une responsabilité, y compris pénale, est envisagée. Cette
responsabilité est le corollaire de la liberté : l’idée essentielle émise
en 1789 fut de supprimer tout mécanisme de censure préalable.
Quel est
l’équilibre général posé par la loi sur la presse de 1881 concernant ses
limites ?
Comme il
vient d’être dit, l’essence de la loi de 1881 est l’affirmation de la liberté,
aussi son article premier dispose : « L'imprimerie et la
librairie sont libres » (formule votée sans discussion par les deux
Chambres en 1881, non retouchée depuis). La censure fut définitivement abolie.
Mais un régime de responsabilité, qui existait déjà depuis notamment des lois
de 1819, fut institué pour sanctionner les abus. Ces abus sont précisément
définis dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
(diffamations et injures, provocations, fausses nouvelles…). L’idée était de
délimiter ainsi les limites de ce qui était permis et interdit, et surtout de
prévoir un régime (procédural notamment) de faveur, pour éviter de dissuader
ceux qui s’expriment. Les choses sont différentes aujourd’hui, car de nombreux
autres lois et codes (pénal, civil, etc.) interdisent certains abus de la liberté
d’expression ; le cas échéant, ce sont les règles procédurales communes
qui s’appliquent.
Quel est
aujourd’hui son champ d’application ?
L’objet historique du droit de la presse, et de la loi
du 29 juillet 1881, au point de lui devoir son appellation, est donc la
« presse », à laquelle est traditionnellement jointe l’édition.
L’apparition de moyens plus modernes de communication n’a pas abouti à une
nouvelle dénomination : le « droit de la presse » reste
l’expression privilégiée, au Palais et à l’Université. Aussi peu intuitif que
cela puisse paraître, il englobe donc les nouveaux médias que sont, d’une part,
l’audiovisuel (radio et télévision), d’autre part, internet et les réseaux sociaux.
Plus largement encore, sont concernés tous les moyens de publication — y
compris orale — de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 sur la
liberté de la… presse. Quelle curieuse construction législative que celle d’un
intitulé qui en contredit l’objet !
Ces dernières décennies furent marquées par la prise
en compte (tardive) du législateur des « nouveaux » moyens de
communication. Cent-un ans jour pour jour après son adoption, la loi sur la
liberté de la presse fut complétée par celle n° 82-652 du 29 juillet
1982 sur la communication audiovisuelle puis celle n° 86-1067 du
30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ; enfin par
celle n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie
numérique (« LCEN ») qui, en substance, ont adapté le contenu de la
loi de 1881, sans revenir sur les proclamations de principe.
Qui peut
être sanctionné pour avoir abusé de la liberté d’expression ?
Toute
personne peut l’être, il n’y a pas de privilège, même si les journalistes,
« chiens de garde de la démocratie » d’après la Cour européenne des
droits de l’homme, bénéficient de certaines règles particulières (notamment, la
protection du secret de leurs sources).
En
matière audiovisuelle, les sanctions émanant de l’Arcom
visent non les personnes individuelles mais les sociétés éditrices qui n’ont
pas su éviter le manquement.
S’agissant
d’internet et des réseaux sociaux, ceux qui postent des contenus illicites
peuvent bien sûr être sanctionnés, mais la masse de ces contenus est telle que
des obligations pèsent désormais sur les acteurs du numérique (notamment les
plateformes). La loi française, complétée par des textes européens et notamment
le fameux règlement « DSA », menace ainsi de sanctions les
« fournisseurs de services intermédiaires ».
Le questionnaire
de Désiré Dalloz
Quel est
votre meilleur souvenir d’étudiant ?
Avec des
amis de la faculté de droit de Tours, nous avions fondé un journal (le « Journal
officieux ») d’information autour de la faculté, mais aussi d’échanges
et de rires. Il fut un outil prisé des enseignants eux-mêmes, qui toléraient
parfaitement même les caricatures que l’on pouvait faire d’eux. Cette
initiative se perpétua par la suite grâce à de nouvelles générations
d’étudiants.
Quels
sont votre héros et votre héroïne de fiction préférés ?
Sans
aucun doute, Cyrano de Bergerac tel qu’il a été magnifié par Edmond Rostand —
mais également le « vrai » Cyrano qui vécut une existence d’une
intense liberté. Cet homme, d’une immense richesse intellectuelle, poursuivit
sa vie durant ses rêves sans jamais céder sur les valeurs qu’il estimait
essentielles : la dignité notamment, et le courage de ses convictions.
Quel est
votre droit de l’homme préféré ?
La liberté d’expression, bien sûr ! Mais à y réfléchir,
je me demande s’il ne s’agit pas plutôt de la liberté de penser. Une liberté
absolue, en tous lieux, en toutes circonstances, qui ne peut être atteinte ni
par les dictatures, ni par une éventuelle détention. La liberté de penser est
consubstantielle à l’être humain, qui a cette noblesse d’être
« pensant » pour reprendre l’une des célèbres « pensées »
de Blaise Pascal (« L’homme est un roseau pensant ». Pascal écrivait
également que « toute la dignité de l’homme est dans sa pensée »).
Évidemment, l’intérêt de la pensée est surtout de pouvoir être extériorisée et
partagée, auquel cas l’on retombe sur la liberté d’expression…