Il est assez rare que l’Eglise d’Algérie s’exprime sur
des sujets politiques, surtout de la part de Jean-Paul Vesco
qui, comme évêque puis cardinal, a surtout évoqué, face à la presse ou dans des
articles, des thèmes relatifs à des phénomènes de société en lien avec ses
croyances, en général d’ordre religieux.
Là,
dans un entretien au journal catholique français « La Croix » (24
mars 2025), le cardinal d’Alger tient des propos historiquement incontestables
sur la relation entre les deux pays dont il se réclame, rejoignant la force
humaniste du cardinal Duval dont il s’avère le digne continuateur.
Il
répond en toute franchise aux questions relatives à la brouille
franco-algérienne suscitée par des milieux politiques français hostiles, même
si, précise-t-il : «Cette crise est sans incidence sur
la vie de l’Eglise en Algérie, mais elle me touche à titre personnel, en tant
que Franco-Algérien.» Ajoutant, qu’en Algérie, «l’Eglise
ne joue pas le moindre rôle politique. (…) En revanche, en France comme en
Algérie, elle peut apporter sa pierre à la construction de la fraternité, à la
culture de l’amitié et de la paix, au respect de la différence y compris religieuse».
«EN ALGÉRIE, L’ATTITUDE
DE LA FRANCE EST VÉCUE COMME INSULTANTE ET INJUSTE»
D’emblée, à ce titre, certainement de binational, il
se dit «inquiet et en colère face aux propos
jusqu’au-boutistes de certains responsables politiques français.
Et
son impact est extraordinaire sur les personnes que je côtoie. Ici, l’attitude
de la France est vécue comme insultante et injuste. Elle vient raviver une
blessure dans l’âme algérienne, dont on ne peut mesurer la profondeur que dans
le temps long d’une vie partagée».
A
propos de ressortissants algériens que le ministre de l’Intérieur souhaite
expulser, Jean-Paul Vesco répond qu’il peut
comprendre mais que là n’est pas «le fond du
problème», à rechercher dans les tréfonds de l’histoire, «dans un passé
colonial non réconcilié, notamment parce qu’il n’y a pas eu de prise de
conscience des conséquences dévastatrices du fait colonial en lui-même sur une
population, de génération en génération.
Dès
lors, la relation franco-algérienne boîte depuis soixante ans, allant de crise
en crise, de tentative de réconciliation en tentative de réconciliation, sans
jamais pouvoir se poser dans la confiance. C’est cet arrière-fond qui fait le
nid de la crise dite des OQTF. Regarder cette réalité en face serait plus
efficace que de tenter en vain de tordre le bras à l’Etat algérien».
A
la question sur l’attentat de Mulhouse, attribué à un OQTF algérien, sujet qui
a tant animé la haine vis-à-vis de l’Algérie, des migrants et des musulmans,
avec l’insécurité mise en avant à cause des étrangers, le cardinal d’Alger
propose une réflexion à la source des réalités complexes :
«Il y a bien sûr un problème migratoire que les séquelles de la
colonisation ne suffisent pas à expliquer.
Ce
sentiment d’insécurité, auquel s’ajoute le temps qui passe et la montée des
communautarismes, rend plus difficile encore le travail de réconciliation. Mais
il est nécessaire. Ne pas en avoir conscience est se condamner à demeurer pris
dans les rets du passé.»
«TOUT COLONIALISME EST LE
VIOL D’UN PEUPLE »
Alors que l’Eglise de France, ses paroisses et ses
écoles sont pris dans la spirale des dénonciations des abus sexuels qui
prennent une ampleur jour après jour, Jean-Paul Vesco
ne craint pas d’énoncer que «tout colonialisme est le
viol d’un peuple par la négation de son identité, de son histoire, par la
spoliation de sa terre, par la domination humiliante et parfois par la violence
brutale.
Dans
l’histoire coloniale française, la colonisation de l’Algérie, colonie de
peuplement, est celle qui a laissé le traumatisme le plus profond, qui se
transmet de génération en génération. Ma conviction est qu’il y a entre la
France et l’Algérie un rapport non réglé d’abuseur à abusé».
Au
journaliste qui, naïvement, estime que le prélat fait un parallèle exagéré, Vesco insiste et confirme : «La
question des abus sexuels dans l’Eglise nous a rendu plus attentifs aux dégâts
humains qu’ils causent. J’ai acquis la conviction que ce qui est vrai pour une
personne peut aussi l’être pour un peuple. Aucun Français vivant aujourd’hui
n’est, à titre personnel, responsable de cet abus d’un peuple sur un autre, et
certainement pas les Français d’Algérie qui ont dû quitter leur pays de
naissance au moment de l’indépendance, victimes eux aussi de l’histoire. De
même, l’immense majorité des prêtres ne sont pas responsables des abus sexuels
dans l’Eglise. Et pourtant dans l’un et l’autre cas, il nous faut assumer une
responsabilité collective.»
MACRON
ET TEBBOUNE : ARTISANS D’UNE RÉCONCILIATION HISTORIQUE ?
Une responsabilité qui doit passer par une «prise de conscience collective que j’appelle aujourd’hui !
Pourra-t-elle passer autrement que par un geste fort entre deux hommes d’Etat ?
Comment cacher que j’ai espéré que les présidents Tebboune et Macron soient les
artisans de cette réconciliation historique…»
Car,
regrette-t-il, «les conséquences (d’un divorce) ne
seraient pas seulement une rupture de relations diplomatiques avec un pays,
mais le divorce silencieux de millions de Français musulmans, pas seulement
franco-algériens et souvent parfaitement intégrés, avec le pays dans lequel ils
vivent et qu’ils contribuent à faire vivre. C’est ce qui est en train de se
produire et c’est l’une des raisons principales de ma colère.»