COMMUNICATION-
FORMATION CONTINUE- LECTURE DES MEDIAS ALGERIENS/CINQ QUOTIDIENS PRESSE
PUBLIQUE (III/III)
© Pr Ahmed Cheniki, fb, fin février 2025....
3/ Cinq quotidiens (presse
publique): El Moudjahid, Echaab,
Horizons, El Massa et An Nasr (Édition du 22/02/2025).
Cette fois-ci, j’ai tenté de lire cinq quotidiens gouvernementaux (Echaab, El Moudjahid, Horizons, El Massa et An Nasr). Ce
n’était pas du tout facile. Le niveau des textes et de la forme me semble ne
pas être en adéquation avec les normes professionnelles.
Comme les titres privés, ces journaux recourent à une « une » à plusieurs
titres (à l’exception d’An Nasr dont la « une » me paraît plus attrayante),
comme si la rédaction en chef pensait qu’en inondant leur « couverture » de
nombreux titres, le journal pourrait pêcher de possibles acheteurs, évacuant
toute dimension ludique.
Une « une » devrait être un espace extrêmement beau, élaboré dans le sens d’une
mise en perspective informative et poétique ou ludique. La première page est
faite pour persuader le lecteur d’acheter le journal, c’est elle qui inaugure
le protocole de lecture. L’usage des slogans et un lexique marqué par les jeux
de la propagande, comme c’est le cas dans ces quotidiens, dessert le journal
qui devrait se caractériser par une certaine distance.
La titraille est extrêmement importante.
Un titre, me disaient mes anciens rédacteurs en chef, c’est « la moitié
d’un texte ». J’ai l’impression, en lisant ces cinq quotidiens, que les titres,
les « attaques » et les premières phrases ne seraient pas une priorité.
« L’attaque » qui constitue tout simplement le début d’un texte inaugure le
protocole de lecture, même dans la culture de l’ordinaire, le début est
essentiel. Ainsi, le journaliste prend, depuis le début, le lecteur par la
main, l’incitant à poursuivre la lecture du texte.
La première phrase est fondamentale. C’est ce que ne semblent pas
comprendre les rédactions en chef de ces journaux, prisonniers des clichés, des
stéréotypes et des présupposés idéologiques. Le titre et la première phrase
sont les éléments les plus difficiles à trouver pour un journaliste parce
qu’ils devraient être construits de telle sorte qu’ils susciteraient la
curiosité du lecteur, l’attirer, le séduire.
Les « unes » et les titres sont extrêmement mal construits dans les cinq
quotidiens. Certes, An Nasr se démarque par la présentation d’une « une » aérée
et simple, mais piégée par la mauvaise qualité des titres. Ceux-ci sont
importants. Un titre entretient une relation de complémentarité ou de
redondance avec le texte, pouvant aussi assumer des fonctions poétique
(écriture et rhétorique) et référentielle (informer). Le titre qui a une
fonction désignative, établit la communication avec le lecteur, oriente
partiellement sa lecture, constitue une sorte d’ «
opérateur de marque » (Barthes).
« L’actualité » est prisonnière de l’exécutif, c’est une vision verticale
de l’information qui exclut toute possible investigation ou une plongée dans la
société qui ne semble pas intéresser les directions. Dans les cinq titres, il
n’y a qu’un seul « papier », reportage au Sud, « le village Hassi Mounir à
Tindouf » réalisé par Lefkir Ali Salem qui décrit le
quotidien de ce lieu. Le sujet le plus important, c’est la visite du président
de la République à Oran pour inaugurer la station de dessalement de l’eau de
mer de Cap Bon.
Les mêmes sujets se retrouvent dans les cinq titres, avec de grandes
ressemblances, au niveau de l’agencement des textes. Ce qui permet de
soupçonner qu’ils seraient vraisemblablement une simple reprise ou une
réécriture de textes de l’APS. C’est un travail maison ou des papiers-bureau.
Aucun effort sérieux de multiplication des sources et du questionnement de
l'information n’est consenti.
Même quand il y a une possibilité de faire participer les bureaux régionaux
à un texte d’investigation, par exemple, dans le dossier sur la formation
professionnelle (pages 8 et 9, Echaab, il n’en est
rien). Horizons consacre un dossier au sport scolaire pages (11, 12 et 13),
mais manque l’essentiel, un travail d’enquête sur le terrain.
Il y a très peu d’entretiens. A part, celui réalisé par El Moudjahid avec
le porte-parole d’ICAN France sur « les explosions nucléaires françaises dans
le Sahara algérien », El Watan l’a déjà interviewé
sur le même sujet dans son édition du 10 févier. Il y a eu également un
entretien dans El Massa avec une modéliste qui s’intéresse à l’habillement
traditionnel, Jamila Mansouri dans Echaab.
Le travail évacue toute possible polyphonie ou source plurielle, se
satisfaisant du regard d’en haut d’une société ignorée. Pas d’enquêtes ni de
reportages. Énormément de slogans, de clichés et de stéréotypes. Il n’y a pas
de rubrique internationale autonome, elle est exclusivement alimentée par les
agences internationales, on oublie systématiquement de mentionner le nom des
agences. El Moudjahid a envoyé un de ses journalistes à Niamey (Niger) à la «
clôture des assises nationales pour la refondation », comme si l’événement
était important, il en est revenu avec un compte-rendu où il reprend les
déclarations des différents responsables nigérien en
épousant leurs positions sans prendre une quelconque distance.
La culturelle et la sportive restent dominées par les textes des agences
nationale, l’APS et étrangères. Horizons, An Nasr et El Massa arrivent à
apporter de l’information en sports, le journal établi à Constantine, y consacre
un cahier. Les différentes rubriques culturelles sont très pauvres. Il est,
peut-être à signaler, un bon compte-rendu d’une conférence donnée par le
consultant en affaires énergétiques, Mourad Preure
(Horizons, Walid Souahi). La dernière page ou page-vitrine
d’Echaab et d’El Massa propose des photos de la
visite d'Abdelmadjid Tebboune à Oran (13 pour El Massa et 9 pour Echaab).
Les textes les mieux écrits me paraissent être ceux des agences nationale,
APS et étrangères. L’un des rares textes que j’ai apprécié dans la lecture de
ces cinq titres, c’est une reprise d’un compte-rendu d’un ouvrage élaboré par
le « Centre arabe des recherches et des études politiques » (Philippe Shmiter et Mark Blisher), « La
politique, une science, une introduction critique ».
La non maîtrise des techniques de l'écriture journalistique, l'obsédante
présence de slogans, de clichés et de stéréotypes, la verticalité éditoriale,
l'absence d'investigation et de polyphonie donnent à lire une presse peu
soucieuse du "service public".