COMMUNICATION-
OPINIONS ET POINTS DE VUE- MÉDIAS ET CONFIANCE/ENTRETIEN AIDAN WHITE, FÉVRIER 2025
© https://fr.globalvoices.org/Metamorphosis Foundation/Traduit parChristine Ghafoor/
12/02/2025
Aidan White est
le fondateur du Ethical Journalism
Network (EJN – Réseau pour un journalisme
éthique). Il a été secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes (FIJ) pendant 25 ans et a beaucoup œuvré en tant que
journaliste et défenseur des droits humains, de l'éthique et de la liberté de
la presse. Il a joué un rôle clé dans la création d'initiatives mondiales
telles que l’IFEX et l’INSI, a fait partie du panel de nomination IMPRESS en 2014 et a édité des rapports influents de
l’EJN sur des sujets tels que la liberté des médias, la corruption et le
journalisme à l'ère de la post-vérité, avant de quitter son poste de directeur
de l’EJN en 2018 et d’en devenir président honoraire en 2021.Dans cet entretien,
il aborde la question du manque de confiance dans les médias à l'échelle
mondiale et, le cas échéant, les mesures à prendre pour y remédier. L'entretien
a été édité pour des raisons de longueur et de clarté.
Portalb.mk
: Pourquoi y a-t-il aujourd'hui un manque de confiance dans les médias ? /Aidan White (AW): Nous vivons à une époque où la confiance pose un
problème majeur, non pas parce que le public ou le monde en général est
spécifiquement opposé au journalisme, mais en raison de la manière dont les
gens reçoivent l'information aujourd'hui. Il existe une quantité incroyable de
préjugés, de propagande et de communications abusives, en particulier sur les
réseaux sociaux. Les gens sont confus et incertains de ce qui est vrai et de ce
qui ne l'est pas. En conséquence, ils ne font plus confiance à l'information, même
lorsqu'elle est bien documentée ou produite par des scientifiques et des
chercheurs crédibles, ce qui est essentiel pour comprendre le monde.Ce manque de confiance est
dû à plusieurs facteurs. L'un d'eux est la nature changeante de la
communication elle-même. La désinformation, les contenus abusifs, les
informations contraires à l'éthique et incorrectes, les mensonges malveillants
et la propagande sont omniprésents. Cela crée un environnement d'information chaotique.Sur le plan politique,
nous voyons des gouvernements et divers acteurs utiliser les réseaux
d'information pour diffuser des informations trompeuses et des communications
abusives. Cette ingérence affecte les processus démocratiques, tels que les
élections. Ce chaos de l'information a changé les gens : ils font désormais
moins confiance aux sources d'information externes et s'appuient plutôt sur
leurs réseaux proches et personnels pour s'informer. Cela inclut les amis, les
voisins et les groupes communautaires comme ceux de WhatsApp. Ce passage à des
communautés étroites et localisées pour les nouvelles et les informations a
créé un problème de confiance plus large, ce qui est très dangereux. Le danger
réside dans le fait que des informations malveillantes peuvent avoir une
influence indue sur la société. Par exemple, il est devenu très facile de
diffuser des discours de haine, d'inciter à la violence et d'exacerber les
tensions, en particulier en période de conflit ou de déclin économique. Les
médias jouent un rôle crucial dans la lutte contre ce phénomène. Le journalisme
professionnel a la responsabilité sociale de fournir des informations fiables
au public.
.Portalb.mk: Mais les médias ont-ils prouvé qu'ils étaient
suffisamment dignes de confiance ? Je parle en particulier des médias professionnels./ AW: Nombreux
sont ceux qui, dans les médias, pensent qu'ils l'ont fait, mais je ne crois pas
que ce soit le cas. Ils ne l'ont pas prouvé de manière convaincante. Prenons
l'exemple des États-Unis. Les médias professionnels américains pensaient qu'ils
disaient la vérité – et ils le faisaient, dans une large mesure. Ils ont
rapporté les défauts de Donald Trump : sa misogynie, son racisme, ses
violations présumées de la loi, son manque de fiabilité et tous les procès qui
lui ont été intentés. Cependant, en dépit de ces vérités, de nombreuses
personnes ont continué à voter pour lui.
Portalb.mk: Pourquoi ?/
AW:Si les médias se sont attachés à présenter
le vrai Trump, ils n'ont pas réussi à se connecter aux réalités de la vie des
électeurs. Nombre d'entre eux ne se sont pas souciés des accusations portées
contre lui. Pour eux, la vérité sur Trump était secondaire. Ce qui importait
davantage, c'était leur conviction qu'il pouvait améliorer leur vie sur le plan
économique ou subvenir aux besoins de leur famille. Beaucoup de ces électeurs
étaient issus de milieux socio-économiques défavorisés et les médias ont
négligé leurs priorités. C'est leur erreur. Dire la vérité ne suffit pas. Les
médias américains ont tiré une leçon importante : il est essentiel non seulement
de rapporter la vérité, mais aussi d'entrer en contact avec les gens, de
comprendre leurs points de vue et leurs motivations. Sans ce lien, même le
rapport le plus précis ne trouvera pas d'écho.
Portalb.mk: Dans l'une de vos interventions, vous avez mentionné
que les médias étaient devenus élitistes, ou qu'ils risquaient de le devenir.
Pouvez-vous nous en dire plus ?/ AW: Volontiers. L'un des problèmes du
journalisme aujourd'hui est la fracture entre les médias et le grand public.
Les figures élitistes des médias pensent souvent qu'elles comprennent le monde
mieux que le public et qu'elles ont l'autorité pour dire aux gens comment et
quoi penser. Cette attitude est dangereuse.Les
médias d'information et les journalistes ne doivent pas être élitistes ; ils doivent
faire partie de la société. Ils doivent comprendre tous les niveaux de la
pyramide sociale – comment les gens vivent, travaillent et pensent. Si les
médias ne parviennent pas à établir un lien avec les personnes situées au bas
de la pyramide, celles-ci les ignoreront. C'est cette déconnexion qui s'est
produite aux États-Unis et lors de nombreuses élections dans le monde.Cette année, nous avons
assisté à une vague d'élections dans le monde entier et, dans presque tous les
cas, les électeurs ont envoyé des messages forts aux gouvernements en place.
C'est ce qui s'est passé en France, en Grande-Bretagne, dans toute l'Europe et
aux États-Unis. Ces résultats montrent à quel point les médias n'ont pas réussi
à établir un lien avec le public, ce qui a entraîné une dangereuse érosion de
la confiance.Les médias ont
besoin de la confiance du public pour fonctionner efficacement. Pour y
parvenir, ils doivent être transparents, responsables et connectés aux
personnes qu'ils servent.
Portalb.mk: Comment les médias peuvent-ils alors rétablir la
confiance du public ?/ AW: Pour
rétablir la confiance du public, les médias doivent se concentrer sur trois
domaines clés. Tout d'abord, ils doivent s'engager à respecter les valeurs du
journalisme professionnel, en adhérant à des principes éthiques tels que
l'exactitude grâce à des reportages basés sur les faits, l'indépendance par
rapport aux influences politiques ou corporatives, l'humanité en évitant
l'exploitation des groupes vulnérables ou l'incitation à la violence, et la
responsabilité en corrigeant les erreurs et en assumant la responsabilité des
fautes commises. Deuxièmement, la transparence est essentielle ; les
organisations de médias doivent communiquer clairement qui les possède, comment
elles sont financées, quelles sont leurs politiques et si elles ont des
préjugés politiques ou financiers. Enfin, les médias doivent se rapprocher du
public en s'engageant directement, en écoutant les préoccupations des gens et
en comprenant leurs points de vue.
Portalb.mk: Comment les médias peuvent-ils démontrer ces
engagements dans la pratique ?/
AW: Les médias peuvent adopter des mécanismes pour prouver leur
crédibilité, tels que l'auto-évaluation et la certification de leur
indépendance. Un bon exemple est la Journalism Trust Initiative (JTI –
Initiative pour la confiance dans le journalisme), qui encourage les
organisations de médias à produire des rapports détaillant la manière dont
elles respectent les droits de l'homme, adhèrent à la déontologie
journalistique et qui décrivent leurs structures de propriété et leurs
politiques éditoriales. Ces rapports doivent ensuite être vérifiés par des
organismes d'audit indépendants et, une fois certifiés, les médias peuvent les
présenter au public comme preuve de leur transparence, de leur conduite éthique
et de leur professionnalisme. Cette certification vérifiable contribue à
instaurer la confiance, car elle permet aux gens de confirmer de manière
indépendante les affirmations des médias.
Portalb.mk: Pourquoi est-ce important ?/ AW: Dans un monde où règnent la
tromperie, le mensonge et la malhonnêteté, des mécanismes tels que la Journalism Trust Initiative sont essentiels. Ils
constituent un moyen crédible pour les médias de démontrer leur fiabilité et de
regagner la confiance du public