ORGANISATIONS- ASSOCIATION- ÉTUDIANTS
ALGÉRIENS/UNEA HISTORIQUE (1963- 1971)
© Robi Morder/publié
in Germe, Groupe d’études et de recherches sur les mouvements étudiants, août
2023.Extraits
C’est en août 1963 qu’est fondée l’Union nationale des étudiants algériens.
Il faut inscrire dans la longue durée l’histoire de l’UNEA, dans les rapports
conflictuels entre le mouvement étudiant et les pouvoirs publics algériens, en
fait le parti FLN, depuis l’indépendance. Ces questions étaient déjà présentes
dans le contexte particulier de la guerre et ses contraintes (clandestinité,
difficulté de débattre publiquement, réunir des congrès). Les relations avec le
parti FLN et le pouvoir sont marquées par une tension
demeurant tout au long de la vie de l’UNEA entre la subordination vis-à-vis du
parti, donc de l’Etat, et la volonté d’autonomie. La vie de l’Union sera ainsi
scandée par des moments de confrontations, et compromis, jusqu’à la dissolution
de l’UNEA en janvier 1971. « à cette date, selon
Ali El-Kenz se clôt une période marquée par le rôle
extrêmement actif de l’Université algérienne autour de la lutte
d’indépendance. La disparition de l’UNEA en est l’illustration ultime. »
Que représente le monde étudiant algérien pendant cette décennie ? En
1962/1963, selon les statistiques officielles, il y avait 2800 étudiants, ce
chiffre va croître jusqu’à atteindre 19300 étudiants en 1970/1971. Même si la
croissance est importante (multiplication par sept en neuf ans), nous sommes
encore loin de l’université de masse. La population de l’Algérie compte près de
12 millions d’habitants en 1966, plus de 14
millions en 1971. Dans le même temps, l’enseignement secondaire passe de 19500
à 105000 élèves.
De l’UGEMA à l’UNEA
A l’indépendance, Les étudiants dits « musulmans » qui ne
représentaient au début de la guerre qu’un dixième des effectifs de
l’université d’Alger, et étaient encore plus minoritaires dans les facultés de
la métropole, sont désormais majoritaires dans les trois universités d’Alger,
Oran et Constantine.
Après la grève générale de 1956, puis la dissolution de l’UGEMA (Union
générale des étudiants musulmans d’Algérie) par
les autorités françaises en janvier 1958, la plupart des étudiants algériens
étaient allés poursuivre leurs études à l’étranger, en Europe de l’Est, comme
en RFA, aux USA, etc. ou existent des sections. L’une
des questions importantes pour les militants étudiants organisés dans l’UGEMA
touche aux relations avec le nouveau pouvoir et sur l’autonomie du mouvement
lui-même vis-à-vis du FLN et du gouvernement.
Le 5e congrès convoqué pour septembre 1962 à Alger est
révélateur de la crise, la réunion se transforme en fin de compte en
« conférence nationale préparatoire » du congrès. Le 5e congrès
se tiendra finalement en août 1963. Il décide, tout en affirmant la continuité
de l’UGEMA d’un changement de nom, place à l’UNEA, Union nationale des
étudiants algériens, le « M » de musulman est abandonné.
Entre subordination au pouvoir et autonomie étudiante
L’orientation apparaît plutôt progressiste, et les étudiants – malgré les
problèmes – soutiennent les décrets de mars 1963 sur l’autogestion, et
l’orientation dite « socialiste » de Ben Bella. A l’indépendance, le
mot d’ordre est lancé du retour des étudiants en Algérie pour construire le
pays. La tâche des intellectuels est d’acquérir et surtout de mettre leurs
compétences au service de la nation, du peuple, de la révolution. Les étudiants
sont également encouragés, en dehors de leurs cours, à mettre non seulement
leurs têtes mais leurs bras à disposition de l’agriculture, pour les récoltes.
Un Comité d’action révolutionnaire des étudiants à la campagne (CAREC) a pour
objectif « d’aider les comités de gestion qui forment spontanément à
l’initiative des paysans à ce moment là ». Un
autre aspect est le soutien, l’adhésion, aux dimensions internationales
anticolonialistes et antiimpérialistes du pouvoir politique.
En 1965, Ben Bella est renversé par le coup d’État de Boumedienne
du 19 juin, ce qui correspond en gros à la fin de l’année universitaire. Le
coup met fin à la « cohabitation tranquille » à laquelle pouvoir
central et UNEA étaient arrivés. Les sections d’Alger, de Paris condamnent le
coup. A la rentrée d’octobre, sur la base de l’expérience (arrestations de
dirigeants étudiants, dont le président de l’UNEA, répression et reprises en
mains du côté syndical), la direction de l’UNEA, qui était passée dans une
semi-clandestinité, confirme la condamnation le coup. Néanmoins, dans les
rapports de forces de l’époque, des compromis sont possibles avec le nouveau
pouvoir, qui se montre désireux de ne pas s’aliéner les étudiants. La poursuite
de la politique tiers-mondiste par Boumedienne, le
maintien d’un discours « socialiste », la nationalisation de secteurs
de l’économie algérienne font que les équipes militantes de l’UNEA vont,
pendant des années, au prix de débats internes, de séparations, de manœuvres,
maintenir une existence légale, plus ou moins tolérée, à condition de ne pas
franchir certaines frontières.
Les confrontations sont toutefois nombreuses, on en citera quelques unes.
En janvier 1966, des étudiants marocains d’Alger manifestent contre
l’enlèvement de Mehdi Ben Barka, soutenus par leurs camarades algériens. Mais
la tonalité de la manifestation est aussi d’opposition à Boumedienne.
Certains manifestants, 11 Marocains et 6 Algériens responsables de la section
d’Alger, sont arrêtés. La section d’Alger ayant appelé à la grève, le
gouvernement prononce sa dissolution. Le 18 février, le CE de l’UNEA propose un
« plan de normalisation » avec libération des détenus, garanties pour
la tenue d’un congrès démocratique, mais le pouvoir répond en désignant un
nouveau comité directeur, dont le président dénonce « le pouvoir [de Ben
Bella qui] entouré d’une équipe de conseillers apatrides, avait ouvert les
portes de l’UNEA à des pseudo-étudiants ». Sans légitimité, il est
remplacé – toujours par désignation – par un nouveau comité, avec aussi peu de
succès. Est alors constituée une Fédération nationale des étudiants militants
composée uniquement de membres du FLN, avec l’objectif d’aboutir au contrôle du
parti FLN sur l’UNEA. C’est l’élément « noyautage » du tryptique « répression, séduction, noyautage »
En avril 1967,à l’occasion de la Journée mondiale
de la jeunesse contre le colonialisme et le néocolonialisme, une manifestation
a lieu devant le centre culturel de l’ambassade des USA, puis au meeting tenu
au cinéma Majestic. des cris retentirent : » A
bas la réaction ! Démocratie ! Pas de socialisme sans démocratie ! Des
manifestations ont également eu lieu à Oran, où la police est intervenue , plusieurs arrestations s’en suivent.
En 1968, à l’université d’Alger les autorités affichent le 25 janvier une
circulaire gouvernementale intitulée « processus de normalisation
des activités de l’UNEA », L’UNEA, c’est l’Union nationale des étudiants
algériens, et la circulaire prévoit de la réorganiser l’union, ce qui passe par
ma convocation d’assemblées électives, directement supervisées par un membre du
FLN, La participation à ces assemblées est obligatoire, à défaut l’étudiant qui
ne s’y rendra pas sera exposé à des sanctions, dont la suppression de la
bourse. En outre, la liberté de candidature est limitée, une commission
disciplinaire étant chargée d’empêcher les candidatures d’étudiants ayant des
liens avec des « forces occultes ». Cela visait principalement les
membres du comité de section d’Alger pourtant éluen
avril 1967.Enfin, le processus de réorganisation devrait s’achever par un
congrès de l’UNEA en 1969.
Le 2 février, à l’appel de l’union étudiante, a lieu une grève des cours.
La police intervient dans les locaux universitaires, des responsables et
militants sont arrêtés, certains mis au secret et torturés. Les dirigeants en
liberté sont obligés de passer à la clandestinite, et l’UNEA appelle à une grève générale à partir du 5
février, contre la circulaire, contre la violation des franchises
universitaires, pour la libération des étudiants arrêtés, . Celle-ci
trouve un soutien chez les enseignants, et surtout chez les lycéens où la grève
s’étend. A Alger, les AG sont quotidiennes, de nouveau la police intervient,
procède à des arrestations nombreuses mais la plupart sont libérés dans les
jours qui suivent.
Le ministre en charge de l’Enseignement supérieur, Ahmed Taleb Brahimi,
ordonne la fermeture de l’Université d’Alger, le 8 février et ce n’est que le
10 que les médias évoquent le mouvement le qualifiant « hors de
proportion avec les problèmes réels qui se posent».
L’Université est rouverte le 19 février, l’Université rouvre ses portes mais la
grève se poursuit. Alors le FLN lance une campagne de «guerre
aux antiparti», l’UNEA est accusée de vouloir «créer un petit Etat dans
l’Etat», l’hébdomadaire Révolution africaine demande
«la sévérité de l’appareil judiciaire». Pendant plusieurs semaines, l’agitation
se maintient, ponctuée d’arrestations, libérations, négociations officielles ou
officieuses.
Le mouvement va cesser après l’attentat contre Boumedienne
– qui n’est que légèrement blessé – le 25 avril. Les six étudiants détenus à la
prison d’El Harrach cessent leur grève de la faim et les membres du Comité de
section d’Alger sortent de la clandestinité, rejoignent l’Université sans être
inquiétés. La direction nationale de l’UNEA appelle à la reprise des cours, Un
dialogue est tenté entre la présidence et des responsables du comité de section
d’Alger sans résultats, mais le 18 mai, les six étudiants encore détenus sont
libérés, sans jugement. Le gouvernement annonce préparer une réforme de
l’enseignement supérieur, l’UNEA entend que des représentants des étudiants et
des enseignants y participant. Pendant les vacances, en juillet 1968,
deux membres du Comité exécutif en clandestinité sont arrêtés.La répression alterne avec dialogue. le coordinateur du comité de section d’Alger est invité à
intervenir en décembre par le ministre de l’Education, lors de la rentrée
solennelle de l’Université.
Fin de l’autonomie étudiante
La répression de l’année 1968 met fin pendant un temps aux manifestations
et rassemblements de rue selon le témoignage de Claude Nahmias, mais les
escarmouches continuent. Le FLN s’avérant incapable de contourner et
marginaliser l’UNEA, change d’approche. Il décide que le congrès de l’UNEA se
tiendra en 1970, et l’UNEA salue le 12 novembre 1969 un « dialogue
véritable ». 1970 passe, toujours pas de congrès,
malgré l’autorisation de la tenue en janvier d’assemblées dans les facultés. Le
2 janvier 1971, huit étudiants sont arrêtés, accusés de « menées
subversives ». Des grèves partielles commencent dans les trois
universités, et le 15 janvier 1971 l’UNEA est dissoute. Le 20 janvier 1971, par
arrêté, est interdite « la tenue de meetings, l’organisation de
manifestations, la distribution de tracts, de motions, de résolutions et de
pétitions ainsi que l’affichage dans l’enceinte de l’université, des instituts
et des grandes écoles, des cités et restaurants universitaires ».
C’est pour avoir transgressé les règles de l’interdit tracées par le
pouvoir que l’UNEA est dissoute en 1971, « après avoir subi une répression
impitoyable de la part de la police politique, garante de la pensée unique ».
Il n’y a plus d’organisation étudiante, il ne restera aux étudiants qu’à
intégrer l’UNJA (Union nationale de la jeunesse algérienne) qui s’ajoute à la
JFLN (Jeunesse du FLN). Toutefois, la reconquête de la jeunesse étudiante par
le pouvoir se fait au nom d’une orientation plus socialiste, avec les
nationalisations des hydrocarbures, l’ordonnance relative à la « gestion
socialiste des entreprises », la relance de la réforme agraire cette même
année 1971. La réforme de l’enseignement supérieur est finalement rendue
publique l’été 1971].