COMMUNICATION- ETRANGER- FRANCE/ECOLE JOURNALISME PARIS/ RACHAT PAR
INVESTISSEURS (2025)
© https://www.nouvelobs.com/media, 22 janvier 2025
Le rachat de l’Ecole supérieure de Journalisme de Paris par un groupe
d’investisseurs, dont Bernard Arnault et Vincent Bolloré, est, pour les
signataires de cette tribune – plus de 650 étudiants en journalisme, de
26 écoles ,centres ,
instituts....... spécialisés en journalisme
–, une « nouvelle expression de la subordination de l’indépendance
journalistique à des intérêts économiques, politiques et idéologiques »,
face à laquelle un front commun est demandé.
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Nous, journalistes en formation,
dénonçons le rachat de l’Ecole Supérieure de Journalisme (ESJ) de Paris par un consortium
de milliardaires conservateurs.Le rachat de l’ESJ Paris par
un groupe d’investisseurs, comprenant Bernard Arnault (propriétaire du
« Parisien », des « Echos » et de « Paris
Match »), Rodolphe Saadé (BFMTV, « la
Provence »), Vincent Bolloré (Canal+, Europe 1, CNews,
« le Journal du Dimanche »…), la famille Habert-Dassault (« le Figaro »),
Stanislas et Godefroy de Bentzmann (fortune estimée à
700 millions d’euros) ainsi que Pierre Gattaz (500 millions d’euros), soulève de graves inquiétudes
quant à l’avenir de la formation des journalistes et à l’indépendance des
médias en France.Ce raid sur la plus vieille école de
journalisme au monde est une attaque contre la profession, et ce dès sa
formation. Aurons-nous la garantie du respect de la
déontologie journalistique alors
que certains propriétaires précédemment cités permettent la diffusion de
contenus fréquemment épinglés par l’Arcom [le régulateur de
l’audiovisuel] ? Aurons-nous la garantie du respect de l’indépendance
des étudiant·es dans leur apprentissage du métier et
dans l’exercice de la profession en sortie d’école ?Par
cette tribune, nous affirmons notre ferme condamnation face à l’ingérence de
ces grandes fortunes dans le contenu éditorial des médias qu’elles possèdent.
Les exemples récents en témoignent de manière flagrante et inquiétante. CNews, anciennement iTélé, a
pris un virage réactionnaire depuis
son rachat par Vincent Bolloré en 2016. Le directeur de la rédaction de
« la Provence », appartenant au milliardaire Rodolphe Saadé, soutien affirmé d’Emmanuel Macron, a été suspendu après une « une » jugée « anti-Macron ». Le directeur de la rédaction
des « Echos » a été « débarqué » par Bernard
Arnault,
patron de LVMH et actionnaire principal du média, après la publication
d’articles qui « auraient déplu à l’actionnaire », selon la Société des Journalistes [du quotidien
économique].Ce rachat est une nouvelle expression de la subordination de
l’indépendance journalistique à des intérêts économiques, politiques et
idéologiques. Cette intrusion dans les rédactions ne vise pas le profit. Il
s’agit d’utiliser les médias pour asseoir un projet politique conservateur et
réactionnaire. La concentration médiatique, déjà problématique en France,
s’intensifie. Aujourd’hui, selon le journal « Libération »,
huit milliardaires et deux millionnaires contrôlent 81 % de la diffusion
des quotidiens nationaux. Cinq milliardaires détiennent 57,2 % des
audiences des chaînes télévisées généralistes et 47,6 % de celles des
radios nationales généralistes.
Etudiant·es signataires de cette tribune,
nous voulons alerter sur l’impact que pourrait avoir un tel rachat sur la
confiance qu’a le public envers les médias. Si, selon le dernier sondage « la
Croix »-Kantar, 56 % des Français·es considèrent que ces derniers ne sont pas
indépendants « aux pressions de l’argent », alors quel
signal ce rachat envoie-t-il à un public déjà méfiant ? Comment garantir
une information « de qualité, complète, libre, indépendante et
pluraliste », comme l’énonce la Charte d’Ethique professionnelle des
Journalistes de 1918, dans ce contexte ?Ce rachat
franchit un cap en s’attaquant directement à la formation des journalistes. Par
cette tribune, nous condamnons l’entreprise capitalistique et réactionnaire que
les membres de ce consortium mènent sur le secteur médiatique. Nous y voyons la
volonté de former des journalistes soumis·es à
l’agenda politique et économique clairement assumé par certains de ces
milliardaires. La nomination de Vianney-Marie Audemard
d’Alançon, entrepreneur proche des milieux
conservateurs, à la présidence de l’ESJ Paris illustre cette ambition. Son objectif est de former des journalistes « non-wokes, pro-entreprises et économie de
marché », rapporte « Libération ».
Une telle orientation trahit l’héritage dreyfusard de cette école et
menace d’en faire un vecteur d’idéologies racistes, classistes, sexistes et queerphobes. Autrement dit : une idéologie d’extrême
droite.
Nous, étudiant·es
en journalisme, appelons à un sursaut de notre profession et de la société
civile pour protéger l’indépendance des médias. Ce front commun doit se
traduire par la mise au ban de toute institution scolaire dont la volonté des
propriétaires est d’influencer le débat pour préserver leurs intérêts
politico-économiques, la sanction irrévocable et systématique par l’Arcom des médias qui ne respectent pas les principes
fondamentaux du journalisme, par l’instauration de lois pour réduire la
concentration médiatique et garantir l’indépendance des rédactions.Nous
appelons également toutes les institutions médiatiques et éducatives à s’unir –
à l’image des salarié·es mobilisé·es du groupe Bayard – pour défendre une
information libre et une formation journalistique intègre.Nous,
futur·es journalistes, refusons de céder à cette
emprise et affirmons notre engagement en faveur d’un journalisme digne, éthique
et indépendant.